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Panoramas de Mauritanie

Km 55’838, Nouadhibou, Mauritanie.

-dont 1’528 en Mauritanie-

Durant 1 mois j’ai découvert quelques régions, souvent merveilleuses, de la Mauritanie.

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Les dunes de l’Adrar

En compagnie de Pedro, voyageur espagnol, je me suis fait surprendre par le côté « photogénique » des paysages mauritanien, très particulier et différents de ceux vécus précédemment en Afrique subsaharienne.

En voici quelques uns:

Les villages sont construits de magnifiques maisons de terres cuites et peuplés, à grande majorité, de Peul.

Le long du fleuve Sénégal, les villages sont construits de magnifiques maisons de terres cuites et peuplés, à grande majorité, de Peuls.

Au sud de ce dernier, le Sénégal, le sahel. Au nord, la Mauritanie, le Sahara

Le fleuve Sénégal. Au sud de ce dernier (droite sur la photo), le Sénégal, le sahel. Au nord (d’où la photo est prise), la Mauritanie, le Sahara. Nous quittons l’Afrique subsaharienne. Ici le village de N’gorel, notre dernière nuit parmi les Peuls.

 Une piste, bonne, nous mène villages après villages au milieu d'un sahel aride

Une piste, bonne, nous mène villages après villages au milieu d’un sahel aride. (Photo par Pedro Alonso)

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De Aleg à Nouakchott, nous passons nos premiers kilomètres dans le Sahara. De nombreux nomades côtoient notre route.

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Pour changer du bitume, nous nous égarons sur les dunes que traversent notre route.

 Le Sahara nourrit mes fantasmes depuis longtemps. Il les nourrit toujours aujourd'hui.

Le Sahara nourrit mes fantasmes depuis longtemps. Il les nourrit toujours aujourd’hui.

Après Nouakchott le vent nous balaie. Rien ne le freine. Il nous bouffe littéralement et, parfois, nous roulons de nuit car il y souffle moins fort.

Après Nouakchott le vent nous balaie. Rien ne le freine. Il nous bouffe littéralement et, parfois, nous roulons de nuit car il y souffle moins fort. (Photo par Pedro Alonso)

Ainsi l'enfer débute. Ainsi l'enfer nous ouvre sa porte. Nous ouvre sa gueule.

Ainsi l’enfer débute. Ainsi l’enfer nous ouvre sa porte. Nous ouvre sa gueule. (Photo par Pedro Alonso)

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Enfin, nous débutons l’Adrar, une région plus intéressante, chargée d’Oasis et de montagnes. (Photo par Pedro Alonso)

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Tergit, notre premier oasis. Nous nous y reposerons 1 jour.

Entre les oasis, des dunes nous entourent. Le sable est projeté sur notre route, formant des gonfles importantes, déblayées régulièrement.

Entre les oasis, des dunes nous entourent. Le sable est projeté sur notre route, formant des gonfles importantes, déblayées régulièrement. (Photo par Pedro Alonso)

 le magnifique village de Tounghad, village aux maisons de pierre entourant un oasis en flanc de montagnes

Le magnifique village de Tounghad, village aux maisons de pierre entourant un oasis en flanc de montagnes.

Mais la route pour parvenir à ces lieux isolés n'est jamais facile. Les rivières asséchées sont pleines d'un sable profond. Après de nombreuses collines, il nous faut pousser!

Mais la route pour parvenir à ces lieux isolés n’est jamais facile. Les rivières asséchées sont pleines d’un sable profond. Après de nombreuses collines, il nous faut pousser! (Photo par Pedro Alonso)

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Après le sable, ce sont les cailloux qui nous freinent.

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Le passe Nouatil nous offre quelques merveilleux panoramas.

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Nous avons suffisamment d’espace. Pour nous seul…ou presque.

La route de Choum nous offre encore quelques beaux panoramas ainsi qu'un couché de soleil époustouflant.

De retour sur le goudron, la route de Choum nous offre encore quelques beaux panoramas…

La route de Choum nous offre encore quelques beaux panoramas ainsi qu'un couché de soleil époustouflant.

…ainsi qu’un couché de soleil époustouflant.

Enfin c'est sur le toit d'un train considéré comme le plus long du monde que nous quittons l'Adrar. Il transporte chaque jour d'énormes quantité de minerai de fer. Nous passerons 15 heures sur le haut des minerais.

Enfin c’est sur le toit d’un train considéré comme le plus long du monde que nous quittons l’Adrar. Il transporte chaque jour d’énormes quantité de minerai de fer. Nous passerons 15 heures sur le haut des minerais.

Le train peut mesurer jusqu'à 3 kilomètres de long.

Le train peut mesurer jusqu’à 3 kilomètres de long.

Mais la Mauritanie sait aussi accueillir. Nous y passons nos deux dernières nuit en (très) bonnes compagnies, choyés comme rarement.

Mais la Mauritanie sait aussi accueillir. Nous y passons nos deux dernières nuit en (très) bonnes compagnies, choyés comme rarement.  (Photo par Pedro Alonso)

Olivier Rochat

Adrar 2ème partie:Le chemin de fer

Km 55’785, Nouadhibou, Mauritanie.

Après une semaine magnifique dans l’Adrar, région magnifique du Sahara mauritanien, nous avons quitté cette endroit particulier avec un chemin tout autant particulier: sur le toit d’un train. Un chemin de fer, transportant du fer, qui nous aura arraché aux griffes de l’Adrar pour nous ramener sur la côte. Bref, du fer à toutes les sauces.

sur le toit d'un train. Un chemin de fer, transportant du fer, qui nous aura arraché aux griffes de l'Adrar pour nous ramener sur la côte. Bref, du fer à toutes les sauces.

sur le toit d’un train. Un chemin de fer, transportant du fer, qui nous aura arraché aux griffes de l’Adrar pour nous ramener sur la côte. Bref, du fer à toutes les sauces.

Ville au milieu de nulle part

Un seul commun semble lier toute les villes du monde entre elles : l’eau. Forcément, l’eau c’est la vie. Toutes les grandes villes de notre monde se retrouvent toujours un point en commun: elles sont construites autour d’un point d’eau. Fleuve ou lac, mer ou océan, oasis… L’eau c’est la vie, et la vie se déplace à l’eau

Toutes ? Non, pas vraiment. En effet quelques exceptions viennent changer la donne. Quelques villes sans accès direct à de l’eau potable ou ports commerciaux. Mais ces villes ne se retrouvent pas loin des eaux par hasard, quelques choses a bien du pousser les Hommes à venir s’y installer. Quelque chose de bien plus précieux aux yeux de certains : les richesses du sol. Or ou diamant, gaz ou pétrole, fer, beauxite, coltan ou j’en passe. Ces richesses ont parfois poussé les Hommes à venir vivre dans des zones impensable, pour ne pas dire invivable, dans les zones comptant parmi les plus arides, froides ou chaude du monde où, sans ces richesses, un Homme ne ferait que passer. Il ne serait qu’un voyageur. Un nomade. Pas un sédentaire.

Johannesburg est, à ma connaissance, la plus grande ville de notre monde éloignée de tout point d’eau. Située à plusieurs centaines de kilomètres des côtes les plus proches sur un plateau aride (1’700 mètres d’altitude), Johannesburg ne doit son puissant développement qu’à une raison: la découverte d’or, en 1886. Avant cela, ce n’était qu’un petit village insignifiant. Un hameau. Aujourd’hui, par son agglomération, Johannesburg est la 3ème ville la plus peuplée d’Afrique. Sans accès, aucun, à de l’eau potable car traversée d’aucun cours d’eau, l’acheminement de son eau y est très complexe puisque l’eau consommée par les habitants vient même d’un pays voisin situé au cœur des montagnes: le Lesotho.

Le chemin de fer

Mais j’ai laissé l’Afrique du Sud derrière moi voici près de 2 ans. Retournons donc au Sahara. Plus précisément en Mauritanie, dans les profondeurs du Sahara. Là où les villes minières côtoient les oasis.

 

Nous sommes au bout de nos peines, pensons-nous, lorsque nous atteignons Atar, au cœur de l’Adrar mauritanien. 120 kilomètres, tous goudronné, nous séparent encore de Choum, un village isolé où s’arrête un train mythique, parfois cité comme le plus long du monde. Nous nous y rendons car ce train est notre seul porte de sortie envisageable pour rejoindre le Maroc. En nous enfonçant plus au nord, pas de frontière ouverte et un conflit vieux de 40 ans: celui du Sahara occidental, pays dont l’indépendance n’est reconnue que par une trentaine de pays, ancienne colonie espagnole aujourd’hui appartenant au Maroc. Une seule frontière est ouverte, le long de la côte. Aucune route praticable à vélo relie cette région à la côte, il nous faudrait revenir à Nouakchott pour remonter le pays par la côte. Un détour de quelques 500 kilomètres environs pour un trajet total de 1’000 kilomètres.

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Près de 700 kilomètres et prêt d’un jour de voyage sépare les deux villes par ce train long de presque 3 kilomètres qui transporte chaque jour d’énormes quantité de minerai de fer.

Pour éviter cet énorme détour pas de route, donc, mais un train. Plus que ça, un train qui relie Nouadhibou, capitale économique de la Mauritanie en plein « boum », à Zoueratt, ville minière au cœur du Sahara. Près de 700 kilomètres et prêt d’un jour de voyage sépare les deux villes par ce train long de presque 3 kilomètres qui transporte chaque jour d’énormes quantité de minerai de fer. Entre deux, un village où le train s’arrête, Choum, notre Terminus.

ce train long de presque 3 kilomètres qui transporte chaque jour d'énormes quantité de minerai de fer.

ce train long de presque 3 kilomètres qui transporte chaque jour d’énormes quantité de minerai de fer.

La route de Choum nous offre encore quelques beaux panoramas ainsi qu’un couché de soleil époustouflant. Mais pas grand chose à signaler, c’est donc sans grande difficulté que nous atteignons la gare ferroviaire de Choum où les adolescents, pénibles et insistants, se montrent désagréable, presque agressif. Mais, comme bien souvent, notre bonne étoile nous accompagne… « Le train pour Nouadhibou arrive en fin d’après-midi » nous indique Sheba du haut de son 4X4, « venez-vous reposez chez moi! ».

La route de Choum nous offre encore quelques beaux panoramas ainsi qu'un couché de soleil époustouflant.

La route de Choum nous offre encore quelques beaux panoramas ainsi qu’un couché de soleil époustouflant.

Chez Sheba, nous trouvons là un confort inespéré. Fraîcheur, électricité et nourritures, toujours accompagné de thés, l’après-midi se veut agréable et inespérée. À l’abri des regards insistants des adolescents, nous profitons d’un peu de calme avant le long voyage en train qui va nous arracher à ce monde spectaculaire que fût l’Adrar pour nous déposer, une quinzaine d’heures plus tard si tout va bien, sur les côtes de l’Atlantique. Dans un autre monde, à l’entame du Sahara occidental, loin des canyons et des oasis, où le vent n’est freiné par rien ni personne.

La route de Choum nous offre encore quelques beaux panoramas ainsi qu'un couché de soleil époustouflant.

La route de Choum nous offre encore quelques beaux panoramas ainsi qu’un couché de soleil époustouflant.

Finalement c’est bien après la tombée de la nuit, après 21 heures, que le train arrive. Interminable, le train relie chaque jour Nouadhibou à Zoueratt où il se charge de minerais de fer qu’il ramène le lendemain à Nouadhibou. Les deux trains fonctionnant quotidiennement permettent le passage d’un train par jour dans chaque direction. Au bout du train un wagon est destiné aux voyageurs qui, moyennant 2’500 ouguyas (6 euros), peuvent effectuer le voyage dans un confort très rustique. N’importe qui est également autoriser à voyager gratuitement en grimpant directement dans les wagons de minerai, vide en partant de Nouadhibou mais plein dans l’autre sens, soit le nôtre. Mais ces derniers se devront de s’adapter aux conditions du jour, à son chargement. Vide dans un sens. Conséquent dans l’autre. Fatigué, nous décidons de prendre la première option et d’éviter ainsi le froid de la nuit, la poussière dégagée par le fer, espérant dormir un peu. Du moins, nous le pensons.

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Difficilement mais heureux, je m’endors enfin. Le wagon de fer nous emporte à travers la nuit. Tout en les traversant, nous quittons peu à peu les profondeurs du Sahara. (photo by Pedro)

Un long crissement accompagne cette petite lumière qui marque l’entrée du train en gare.

« Derrière la gendarmerie, tout au fond du train, c’est là que se trouve le wagon des passagers. Mais il faut faire vite, l’arrêt du train est bref ! » nous indique Sheba. Nous nous exécutons, pédalant à contresens du train qui ralentit gentiment. Un homme en uniforme vert militaire nous arrête. Visiblement un douanier. Je lui indique vouloir monter dans le train. « Oui oui, c’est de l’autre côté ! » continue t’il. « Comment ça c’est de l’autre côté, on nous a dit derrière la gendarmerie ». « Oui c’est de l’autre côté insiste-t-il dans un français qu’il ne maîtrise pas bien (mais bien mieux que notre arabe respectif, on est d’accord). Bon, nous repartons dans l’autre sens, à toute vitesse cette fois. Le train s’arrête. Il faut faire vite. Un policier nous arrête à son tour. « Nous cherchons le wagon des passagers ». « Les passagers !??? Mais c’est de l’autre côté ! ». Soit à potentiellement plusieurs kilomètres de là. Le stress s’installe, nous repartons dans l’autre sens, longeant la voie de près. Des hommes chargent ici et là des marchandises en haut de ces wagons chargés de minerai. Mais où est-il ce foutu wagon ??? Vite vite!

Quelques injures volent.

Nous continuons vers le fond du train mais trop tard, nous n’avons plus le temps, le train va partir. « On monte sur les minerai! » me crie Pedro. Il a raison, c’est sûr!!! À la hâte, en panique plutôt, on enlève nos sacoches dans un désordre criant poussé par ce stress profond. Nos bagages tombent du vélos. L’une après l’autre, nous montons les sacoches, les derniers bagages, les bouteilles d’eau ! Il faut monter le tout en haut des wagons, à 3 mètres du sol, s’agrippant comme on peut ici et là, essayant d’aller vite sans se casser la figure. Puis redescendre. Attraper le maximum de choses, les monter en s’agrippant toujours comme on peut, jeter le tout dans le wagon, soit sur les minerais. Et redescendre encore. Vite vite ! Si le train part maintenant nos vélos resterons à quai ! VITE! Et dans un dernier effort, transpirant, nous posons -jetons- nos vélos sur les minerai de fer. Ouf tout y es!!! On vérifie, rien ne manque ! Il était temps…

Ouf tout y es!!! On vérifie, rien ne manque ! Il était temps...

Ouf tout y es!!! On vérifie, rien ne manque ! Il était temps…

Mais le train ne part pas.

Enfin, pas tout de suite. Une voiture passe même lentement le long du train, histoire de vérifier que tout est prêt pour le départ. « Hey là-haut! C’est bon ? » nous lance un homme. Une dizaine de minutes se sont passées. Nous aurions eu le temps. Imbécile ! Je suis un imbécile ! J’en rigole mais finit par répondre « Oui oui, c’est bon! » La voiture continue sa ronde, puis s’éloigne de la voie. Un instant plus tard, le train s’ébranle. Il part. Il quitte Choum, nous quittons l’Adrar. Assis sur quelques tonnes de fer extraites du Sahara. Une bâche est installée dans un coin du wagon, couvrant tant bien que mal une partie des minerais. Une fine couche de poussière de fer, grise, la recouvre ici et là. Quelques dizaines de cartons de dattes sont aussi du voyage. Provenance : Algérie. Et c’est ainsi, entre dattes algériennes et fer mauritanien, que nous nous enfonçons dans la nuit saharienne.

Malgré ce que j’ai souvent lu le train n’avance pas si mal, bien plus vite que les rares trains que j’ai aperçu jusqu’ici en Afrique. Certes, on est loin d’un train européen. Mais de manière régulière, toutes les 2 à 5 minutes peut-être, il lance une « violente » secousse, un gros BOUM qui vient ajouter un peu de rudesse au voyage. La poussière de fer est maintenant propulsée en l’air, plus encore que par l’air et le mouvement du train. Nos sacs, nos vélos, nos habits puis nous mêmes sommes gentiment -mais inévitablement- recouvert de cette fine poussière. Les oreilles, les cheveux, les yeux, tout y passe. On se protège mais ça ne suffit pas. Les dents, elles aussi, n’y échappent pas. Dès lors l’odeur du fer me gagne, le goût aussi. Et il me faudra plus d’une douche et plus d’un jour pour la perdre. Une odeur, un goût, que je ne suis pas sûr de pouvoir oublier un jour. Pas qu’il soit si désagréable en soit. Mais peut-être si particulier.

Ainsi sur le chemin de fer, entouré de fer, recouvert de fer, nous nous enfonçons dans le vaste infini saharien que nous n’apercevrons qu’au matin. La fraîcheur s’installe, devient piquante. Il va falloir s’y…faire! Enfoncé dans mon sac de couchage, capuche fermée après un dernier regards aux étoiles brillantes ce soir, à la demi-Lune qui les accompagnent, je plonge dans un sommeil qui ne sera jamais profond. Pas autant, c’est sûr, que peut l’être le Sahara. Le grand désert.

nous nous enfonçons dans le vaste infini saharien que nous n'apercevrons qu'au matin.

nous nous enfonçons dans le vaste infini saharien que nous n’apercevrons qu’au matin.

Bien conscient que ce soir-là j’ai bouffé du fer comme jamais. Suffisamment, peut-être, pour les 40 prochaines années. Mais les souvenirs de l’Adrar, ses paysages si photogénique, l’accueil reçu, puis cet arrachement brutal et « ferrique » de ce monde féerique, ne s’effaceront jamais. Un sourire intérieur contemple mon visage gribouillé de cette poussière grise. Et mes cheveux (très) sales n’y changeront rien. Gavroche, ce sourire là est simple et authentique. Celui d’une Afrique qui me mène aux larmes intérieures, égoïstement, rien qu’à cette pensée: la quitter.

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Difficilement mais heureux, je m’endors enfin. Le wagon de fer nous emporte à travers la nuit. Tout en les traversant, nous quittons peu à peu les profondeurs du Sahara.

Difficilement mais heureux, je m’endors enfin. Le wagon de fer nous emporte à travers la nuit. Tout en les traversant, nous quittons peu à peu les profondeurs du Sahara.

 Olivier Rochat

La nuit, le crépuscule et l’enfer

Km 55’311, Akjoujt, Mauritanie.

-Sur la route de l’Adrar-

Traverser le Sahara est une aventure différente , une expérience à part. Aussi mystérieuse que fantastique et difficile. Le Sahara nourrit mes fantasmes depuis longtemps. Il les nourrit toujours aujourd’hui. Et puis ici je ressens toute mon impuissance face aux éléments. Face au vent qui transforme 100 kilomètres en infini. 10 kilomètres en heures. 1 kilomètres en distance. Chaque distance, même la plus petite, en challenge. Mais traverser le Sahara est une chose, y vivre en est une autre. Au fond vivre ici, dans ce climat et cet isolement, c’est un « scandale! » Plus que ça une forme d’héroïsme. Quelle force, quelle folie faut-il avoir pour survivre, des siècles durant, dans ce climat là ? Nous quittons la côte, plate et venteuse, sans réel intérêt pour nous. Direction l’Adrar, une région d’Oasis et de montagnes, dans les profondeurs du Sahara. 400 kilomètres nous en sépare. Une seule ville, Akjoujt, au 2/3 de la route. Tout le monde s’y arrête car c’est le seul endroit où l’on y trouve nourriture, gîte et électricité. 4 jours nous ont été nécessaire pour la rejoindre. 4 jours difficile.

 Le Sahara nourrit mes fantasmes depuis longtemps. Il les nourrit toujours aujourd'hui.

Le Sahara nourrit mes fantasmes depuis longtemps. Il les nourrit toujours aujourd’hui.

Voici un récit écrit le long de cette route:

« Nous voici embarqué à travers le Sahara, le grand désert. Depuis Nouakchott nous avons retrouvé le plat, la répétition de paysages sans saveurs qui l’accompagnent, pour ne pas dire l’ennui, les distances et le vent.

Pour échapper au vent qui souffle plus fort en journée, nous partons dorénavant bien avant l’aube, alors que la nuit est encore noire et que le froid est piquant. Plus que ça, il me gèle. Comprenez, il doit faire… 8°C. Après 3 ans en Afrique, je le ressens comme un -30…

Je m’habille d’un training bien chaud, d’une paire de gants dégotée au marché de Nouakchott, d’un pull sous lequel j’ai double couche, et mon foulard me protège les oreilles. Seul mes pieds gardent un peu de leur liberté. Peut-être plus pour longtemps. Me reste encore à couvrir ma tête de la capuche de mon pull, et puis je m’en vais, réchauffé d’un café chauffé avec un réchaud à gaz péclotant -le froid bon Dieu- et nourri d’un bol de céréales. Nous débutons la journée les yeux encore mi-fermés mais le cœur déjà bien ouvert à l’inconnu des nuits sahariennes. Le ciel y est d’une beauté sans commune mesure. Les étoiles nous parlent. Et moi, je discute avec elles.

Nous laissons sans grand regret l’abri qui nous a servi de nuit, généralement une tente nomade, parfois de rencontre-s également. Les rencontres justement sont souvent rude, sans réel politesse. Au milieu de nulle part vivent quelques nomades qui font paîtres leurs bien courageux chameaux à une bosse. Leurs dromadaires. Parfois ces derniers sont accompagnés de chèvres ou de moutons alors que quelques chiens rôdent. Bien souvent sans être allé à l’école, enfermé dans un vaste infini, le Sahara, les nomades qui les accompagnent ne parlent pas le français et nos quelques mots de langues locales, ils ont l’air de ne pas les comprendre. Entrer en communication avec eux demeure un challenge certain à l’issue incertaine. Mais en ont-t-ils réellement envie ? Difficile à dire. Ils ont d’autres choses à faire, certainement. Ou plutôt non justement, que font-ils, ici, assis au milieu de nulle part? Que sommes nous pour eux, si ce n’est ce mot, « l’argent », que nous lancent celui-ci, d’un sourire trahissant ses dents jaunies par le sucre du thé qu’on boit tant par ici? De l’argent !!!? Ici !!?? Mais pour quoi faire !??? Le néant ne s’achète pas! Ne se vend pas. Enfin, je crois. Ils seraient riche, bien plus même que Donald Trump, si c’était le cas.

Nous laissons sans grand regret l'abri qui nous a servi de nuit, généralement une tente nomade, parfois de rencontre-s également.

Nous laissons sans grand regret l’abri qui nous a servi de nuit, généralement une tente nomade, parfois de rencontre-s également.

Leur réalité me dépasse autant qu’elle me fascine. Je les respecte pour leur mode de vie, car il demeure au milieu d’un climat qui compte parmi les plus rude de la planète. Ce respect est profond, sincère et teinté de fascination, plus encore d’administration. Comme oubliés du reste du monde, ils sont ce que je ne serai jamais. Tout en étant bien plus que ce que je suis et n’ai jamais été. Pourtant je ne les aimes pas tant. Enfin, un peu quand même. Et si ce n’est par leurs manières, c’est par leur force, leur authenticité, que je les aime. Nous essayons, pourtant, de communiquer avec eux. Sans jamais y parvenir. Ou si peu là encore. Ils nous parlent dans leur langue, visiblement le Hassani, sans avoir l’air de comprendre que nous ne comprenons rien de ce qu’ils disent. Ils insistent, persistent et signent. Mais c’est un peu réciproque. Même notre nom, ils n’ont l’air de le comprendre. La distance qui nous sépare me semble grande comme l’est le Sahara et Dieu que l’Afrique noire me semble loin, avec ses sourires et toute sa vie, dans ce vaste infini.

Pourtant, toujours, ils finiront par nous offrir le thé, par séries de trois tasses, et même souvent à manger. Du riz, du couscous ou un mélange de pain écrasé avec une sauce accompagnée de viande de dromadaires. Les légumes n’existent pas ici. Eux non plus ne survivent à ce monde là. Cette nourriture nourrit le corps, c’est vrai, mais Dieu qu’elle est rude.

Toujours, ils finiront par nous offrir le thé, par séries de trois tasses, et même souvent à manger.

Toujours, ils finiront par nous offrir le thé, par séries de trois tasses, et même souvent à manger.

Pourtant c’est sans conteste le climat qui est le plus rude. Il est encore bien plus rude que le plus rude des nomades.
Seul les matins -et les soirées parfois- nous sont plus doux, sauf par le froid qui nous glace. Oui car le vent y dort, lui. Il est grand temps de partir. Débuter la route.

La nuit nous offre tout son infini, elle aussi. Aveugle des yeux, l’imagination n’en est que plus renforcée. Les lumières rouge des antennes téléphoniques scintillent au loin. Pendant plusieurs dizaines de minutes, nous les apercevons, petits points rouge au fond de la nuit. Parfois c’est un phare qui brille au loin, comme une étoile. Celui d’un véhicule. Il brille au fond de cette ligne droite. Il est si lointain qu’il nous faut bien dix minutes, parfois plus, pour comprendre qu’il bouge, qu’il s’approche. Puis finalement devient deux, s’accompagne d’un bruit de moteur, cligne deux fois pour nous saluer avant de nous passer lentement. C’est un gros camion. Puis le noir, l’inconnu et l’imagination reprennent leurs droits, parfois accompagné d’une lumière rouge, celle de la prochaine antennes téléphonique qui nous accompagne pour la prochaine demi-heure. La nuit est encore longue mais finalement, au bout de quelques dizaines de minutes ou quelques heures, suivant notre heure de départ (entre 2 heures et 6 heures du matin), nous apercevons l’horizon qui, d’une légère teinte orangée dominant le fond du ciel, change peu à peu. Le soleil s’approche. Les étoiles se taisent. C’est à leur tour de dormir. Dommage. Elles me racontaient des histoires. Des poèmes.

Le ciel se couvre de couleurs et si le néant nous entoure, le paradis semble quant à lui nous surplomber.

Le ciel se couvre de couleurs et si le néant nous entoure, le paradis semble quant à lui nous surplomber.

Déjà nous distinguons les premiers buissons, au son d’une voiture qui passe. Nous avançons vite et, bientôt, j’aperçois les chiffres de mon compteur: 23 kilomètres ce matin. Un rien. Nous sommes parti tard et le Sahara est si grand. Le soleil s’approche encore. L’orange du soleil qui arrive prend de plus en plus de place à l’horizon. Le noir du ciel passe au bleu marine d’un fond de mer. Le ciel se couvre de couleurs et si le néant nous entoure, le paradis semble quant à lui nous surplomber.

Il fait déjà jour depuis un bon moment lorsqu’enfin le soleil se décide à surgir de l’horizon, boule brillante, à droite -l’est- de notre route. Paradoxalement les températures baissent encore, pour atteindre peu de temps après leurs paroxysme en négatif. Il fait froid. Une trentaine de minutes plus tard, la courbe s’inverse enfin. Le soleil brille au ciel, nous éblouit. Nous apercevons maintenant ce vaste infini. L’horizon est partout et seuls quelques buissons lui résiste un peu, survivant ici et là, nous rappelant à quel point la nature est fantastique. Miraculeuse. Les antennes téléphonique, souvent distantes d’une quinzaine de kilomètres l’une de l’autre, rythmes toujours notre avancée.

Lorsque nous les apercevons, nous avons l’impression d’être tout proche. De pouvoir y arriver rapidement. Ce n’est pas tant le réseau qu’elles sont sensées offrir qui nous intéresse. Ce dernier, de toute manière, est souvent misérable. Sinon inexistant. C’est plutôt l’abri qu’elles nous offrent que nous recherchons, tel un phare en pleine tempête océanique. Un gardien y vit, parfois accompagné de sa famille. Vivant dans une tente, accompagné de chèvres, moutons et/ou chameaux, parfois d’un chien ou d’un chat respirant la solitude à plein nez, tous passent leur journée à attendre. Attendre. Et attendre encore. Ici attendre est une activité à part entière.

Mais parfois c’est jusqu’à quinze kilomètres qui nous en sépare. Le terrain est si plat, si vide, que mettre une distance sur quelque chose en face de nous est un réel challenge. Nous sommes en mer, en fait. L’eau y est de sable comme les vagues y sont de dunes. Ces antennes se dressent en face de nous tel le phare du marin, nous pensons y arriver bientôt, mais pendant plusieurs kilomètres elles semblent garder la même taille, la même insignifiance teintée d’espoir, comme si elles aussi bougeaient avec nous. Comme si l’horizon bougeait lui aussi.

L’infini est rude. Il n’est jamais fini. C’est là toute sa rudesse. Il est si libre qu’il en devient prison. Nous, nous sommes prisonniers de notre liberté. Et suffisamment libre pour comprendre notre impuissance face à cette nature là. Pour la vivre aussi. Une impuissance teintée de solitude. La patience comme seul vertu. Ici, nous ne sommes qu’un grain de sable. Nous sommes redevenu poussière. La bonne nouvelle, c’est que nous l’avons toujours été, poussière. Nous en reprenons simplement conscience.

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L’infini est rude. Il n’est jamais fini.

Et lorsque le vent se lève il est 8 heures, parfois 9 heures ou à peine plus. Et il a faim. Comme toujours. Ce matin il a même deux proies. Vite, il attaque! De plus en plus fort. Avec certitude et violence. Nous nous sentons chassés, humiliés, par ce vent qui balaie le désert et seul une folie philosophique me rappelle que ce n’est point lui qui va contre moi. C’est moi qui vais contre lui. Dans les faits il n’a qu’une direction depuis plusieurs jours. Elle est l’inverse à la nôtre (nord-est pour nous), mais parfois, lorsque la route esquisse un léger changement de direction, il nous frappe de côté, nous violentant, comme s’il essayait de nous pousser au milieu de la route. Nous voici coquille de noix au milieu de l’océan, ou bien grain de sable au milieu du Sahara, c’est selon. Nous luttons maintenant contre le vent pour avancer, mais aussi pour garder notre ligne. Éviter, aussi, de se prendre un camion. Bien vite nous diminuons notre rythme tout en augmentant nos efforts. Le sable est maintenant propulsé en pleine route. Il dessine des vagues ici et là, parfois nous bouffe jusqu’à la gueule. Seul un mur semble pouvoir l’arrêter. Il pénètre partout. Chaque orifice, quel qu’il soit, est transpercé par le sable. Ainsi l’enfer débute. Ainsi l’enfer nous ouvre sa porte. Nous ouvre sa gueule. Pour nous, il est temps de se reposer.

Ainsi l'enfer débute. Ainsi l'enfer nous ouvre sa porte. Nous ouvre sa gueule.

Ainsi l’enfer débute. Ainsi l’enfer nous ouvre sa porte. Nous ouvre sa gueule.

Alors nous visons la prochaine antenne qui se dresse en face de nous, tout en refusant de savoir qu’il nous faudra 45 minutes, peut-être 1 heure, pour l’atteindre. Pour mourir enfin. Ou vivre c’est selon. Et mieux renaître une fois le vent tombé, ce soir ou demain. On ne sait pas. Il nous faut attendre. Car il n’y a qu’en patience, comme me le rappelle sagement Pedro, que nous pourrons dompter le vent avant qu’il nous dompte lui. Si nous ne voulons pas finir en squelettes séchés, fou ou suicidaire, il va nous falloir gérer. Attendre l’accalmie. Et s’y lancer. Repartir au bon moment. Comme le phénix renaît de ces cendres.

Une heure en enfer plus tard, l’antenne a bien grossi. Nous l’atteignons. Il est temps de se protéger, respirer.

La tente qui borde l'antenne est vide. Devons nous y entrer ?

La tente qui borde l’antenne est vide. Devons nous y entrer ?

La tente qui borde l’antenne est vide. Devons nous y entrer ? Nous entrons. Nous verrons bien. Je suis sûr que le gardien comprendra, après tout c’est encore l’Afrique ici. Les gens sont plus compréhensibles que par chez moi. Ils n’ont pas peur de l’étranger. Et puis dans ce vide là les rencontres sont si rares qu’il ne faut pas les perdres. Elles comptent double. Oui c’est décidé, nous entrons!

À l’intérieur, le vent ne passe plus. Nous l’entendons juste crier, taper à la porte, puis repartir. Nous trouvons là un abri, un véritable oasis. Et l’enfer n’y entre pas. Il reste dehors.

Nous trouvons là un abri, un véritable oasis. Et l'enfer n'y entre pas. Il reste dehors.

Nous trouvons là un abri, un véritable oasis. Et l’enfer n’y entre pas. Il reste dehors.

Il est temps de s’asseoir. D’attendre. Et mourir enfin. Mourir en écoutant le vent qui nous chante son opéra. Son Beethoven. C’est qu’il est en forme aujourd’hui. Il se prend pour Eminem mais a la justesse d’un Mozart. La folie aussi. Les notes partent et reviennent, teintée de sable et d’inspiration. C’est qu’il chante fort, le vent. Mais il chante juste. Et ne semble vouloir se calmer. Je l’entends qui chante un Requiem, comme pour nous ordonner « d’arrêter ou mourir ». Ce n’est pas une question. Dorénavant l’arrêt n’est plus une option, c’est une nécessité. Le vent ne pose pas de question. Il impose des réponses.thomas wiesel thomas

Le temps, quant à lui, s’arrête enfin. Nous attendons. Des heures durant. Sans savoir, ni espérer, quand nous repartirons.

Seul quelques mots traînent.

Ils me disent comme tu es belle. Comme je t’aime. Toujours plus. Pi que tu me manque. Toujours plus. Et ce bien au-delà d’un quelconque infini.

Oui. Que je t’aime.

Et le vent n’y peut rien… »

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Olivier Rochat

Mauritanie: à nous le Sahara

 Km 55’013, Nouakchott, Mauritanie.

L’Afrique à vélo, leçon numéro 1: sortir des itinéraires traditionnels.

L'Afrique à vélo, leçon numéro 1: sortir des itinéraires traditionnels.

L’Afrique à vélo, leçon numéro 1: sortir des itinéraires traditionnels.

Je ne vais pas y aller par 4 chemins ces dix premiers jours de route en Mauritanie n’ont pas été beau ou sympathique ni même agréable. Beaucoup plus que ça, ils ont été fabuleux. Accueillant. Venteux. Spectaculaire. Et changeant. Bienvenus, même, tant ils ont apporté un souffle nouveau sur mon périple.

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Je ne vais pas y aller par 4 chemins ces dix premiers jours de route en Mauritanie n’ont pas été beau ou sympathique ni même agréable. Beaucoup plus que ça, ils ont été fabuleux. Accueillant. Venteux. Spectaculaire. Et changeant.

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Et cette fois on peut le dire: nous avons quitté l’Afrique noire. Et non sans quelques journées délicieuses longeant le fleuve Sénégal en guise d’adieu. Quittant là la route goudronnée et avec elle le trafic et le contrôle -toujours bienveillant certes- des policiers, nous longeons ainsi le fleuve Sénégal, apercevant, 5 jours après l’avoir quitté, les terres du Sénégal, plus fertiles et « développées », qui émergent sur l’autre rive. Pour la dernière fois.

 Le fleuve Sénégal. Un fleuve qui sépare le Sénégal de la Mauritanie.

Le fleuve Sénégal. Un fleuve qui sépare le Sénégal de la Mauritanie. (photo par Pedro)

Une frontière marquante pour un vrai changement

Il faut comprendre que la plupart des frontières d’Afrique ne sont bien souvent ni culturel ni géographique, résultat des colonies qui, il y a environ un siècle, se sont partagé l’Afrique à la manière dont l’on se partage un gâteau d’anniversaire. Encore que les parts -du gâteau- sont généralement plus égales. Ces frontières ne prennent en compte ni les langues ni les ethnies locales. Ces dernières se retrouvent ainsi séparée. À gauche de la frontière on parle le Peul. À droite aussi. Mais une fois à l’école ceux de droites parleront l’anglais, ceux de gauches le français (exemple). Plus tard un passeport éloignera plus encore ce peuple, ou un autre, appartenant aujourd’hui à différentes nations tout en étant, objectivement, le même peuple. Ainsi passer une frontière c’est souvent changer de langues  » coloniales », de monnaies, de réseau téléphonique ou de produits de consommation, pour tous résultats « d’importation culturel ». Pourtant, bien souvent, le peuple, la langue locale, reste la même. Les ethnies, les langues, les cultures africaines ne sont si peu prisent en compte dans ce découpage du continent que leurs frontières sont très fictives voire indéfinissable. Les peuples se mélangent, plus encore que les religions qui voient les mosquées pousser en face des églises dans des villages à majorité animistes (!). Le principe de nation tel que nous le connaissons aujourd’hui est un principe aussi récent qu’occidental, pour le moins non-africain. C’est pourquoi, peut-être, l’africain tel que je le vois et vit semble s’identifie d’abord à son continent, l’Afrique, avant de s’identifier à sa nation. Aux yeux du monde, l’africain est bien souvent africain bien avant d’être ivoirien, sénégalais, burundais ou tchadien. Je pense qu’il est avant tout Peul, Yoruba, Massai, Chewa, Sénoufo ou j’en passe. La tribu -ethnie- d’origine compte plus que la nation.

 

En Mauritanie c’est un peu différent. En tout les cas, ça l’a été pour nous. Pour moi.

 

Au sud de ce dernier, le Sénégal, le sahel. Au nord, la Mauritanie, le Sahara

Au sud de ce dernier, le Sénégal, le sahel. Au nord, la Mauritanie, le Sahara

La Mauritanie est donc séparée du Sénégal par un fleuve, le fleuve Sénégal. Au sud de ce dernier, le Sénégal, le sahel. Au nord, la Mauritanie, le Sahara. Une frontière géographique, mais culturel également bien que les peul et wolofs, très présents au Sénégal, sont aussi présent en Mauritanie et notamment le long de ce fleuve que nous longeant durant une semaine, ne l’apercevant qu’épisodiquement. Dès que la route nous éloigne du fleuve, les paysages deviennent extrêmement arides, les arbres se raréfient, nous apercevons même nos premières dunes, et les villages sont souvent peuplés de maures vivant dans de grandes tentes pointues, souvent décorées, ressemblant aux nomades.

Dès que la route nous éloigne du fleuve, les paysages deviennent extrêmement arides,

Dès que la route nous éloigne du fleuve, les paysages deviennent extrêmement arides,

Lorsque nous replongeons le long du fleuve la végétation augmente, de même que champs et cultures, nous trouvons quelques légumes. Les villages sont construits de magnifiques maisons de terres cuites et peuplés, à grande majorité, de Peul. Nous, nous avons le droit de serrer la main aux femmes.

Les villages sont construits de magnifiques maisons de terres cuites et peuplés, à grande majorité, de Peul.

Les villages sont construits de magnifiques maisons de terres cuites et peuplés, à grande majorité, de Peul.

En quittant la route nationale, nous retrouvons aussi cette campagne si accueillante -et belle- que nous aimons tant. Une piste, bonne, nous mène villages après villages au milieu d’un sahel aride dont la vie, l’eau, tourne essentiellement autour du fleuve Sénégal. Les maisons de terres cuites au fenêtre basse savent rester fraîche même en pleine journée, et les belles mosquées qui les dominent donnent à ces villages un réel attrait, un bonheur pour les yeux.

 Une piste, bonne, nous mène villages après villages au milieu d'un sahel aride

Une piste, bonne, nous mène villages après villages au milieu d’un sahel aride

Au soir, nous demandons à passer la nuit dans un village. Pour ainsi faire et respectant les traditions locales, nous demandons à parler au chef du village. Les enfants, curieux et amusé, nous y mènent. Dès lors la situation sort presque de tout contrôle, les enfants nous communiquant leur joies sans réfléchirs. Ils me baptisent « Neymar », et c’est sous des Neymar! Neymar ! Neymar ! que nous traversons le village. Amusé et un brin taquin, Pedro, en bon madrilène, continue avec un « Hala Madrid » que les enfants reprennent  en cœur, et ce jusqu’à ce nous rencontrions enfin le chef du village qui nous accueille en grande pompe, provoquant un attroupement de dizaines et dizaines d’enfants.

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Les enfants, curieux et amusé, nous y mènent. Dès lors la situation sort presque de tout contrôle,

Ce soir-là, partagé avec ces villageois dans ce village magnifique bordant le fleuve Sénégal, je le vit, intérieurement parlant, de manière très intense. Très forte. Nous partageons ensemble, comme toujours, le repas. Assis autour d’un grand bol de nourriture, riz, macaronis ou thieboudiène (plat typique sénégalais), plongeant à tour de rôle notre main dans cet énorme bol. En quittant ce village, nous en sommes conscient, nous quittons cette culture là. Nous quittons le sahel. Cette soirée, vécue tant de fois en Afrique noire, sera peut-être la dernière.

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Ce soir-là, partagé avec ces villageois dans ce village magnifique bordant le fleuve Sénégal, je le vit, intérieurement parlant, de manière très intense. Très forte.

A nous le Sahara

En effet, pour rejoindre Nouakchott, la capitale de la Mauritanie, nous empruntons un détour. La plupart des cyclistes rencontrés empruntent la route de la côte, qu’on nous dit ennuyante. Mais en empruntant ce détour de plus de 300 kilomètres à l’intérieur des terre, l’ennui ne sera définitivement pas de la partie. Bien au contraire.

 

En empruntant ce détour de plus de 300 kilomètres à l'intérieur des terre, l'ennui ne sera définitivement pas de la partie. Bien au contraire.

En empruntant ce détour de plus de 300 kilomètres à l’intérieur des terre, l’ennui ne sera définitivement pas de la partie. Bien au contraire. (photo par Pedro)

À mesure que nous nous éloignons du fleuve, nous nous rapprochons du Sahara. Ce détour nous permet également de ne pas prendre le vent en pleine face. Il vient du nord-est, nous allons au nord-ouest. Mais plus que ça et bien vite de superbes dunes, spectaculaires et fantastiques, bordent notre route. Les voici qui traversent notre route, goudronnée heureusement, qui foncent sur Nouakchott.

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Les voici qui traversent notre route, goudronnée heureusement, qui foncent sur Nouakchott.

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rbes dunes, spectaculaires et fantastiques, bordent notre route

Pour 3 jours nous allons pénétrer l’un des décors les plus spectaculaire que j’ai pu voir directement depuis une route goudronnée. Les villages sont nombreux, parsemés de tentes aux toits -souvent- bleus et maisons souvent colorées. Ils nous facilitent grandement la tâche puisque nous pouvons nous y abriter du vent, nous reposer corps et esprit tout en rencontrant les locaux qui nous invitent souvent à manger.

Les villages sont nombreux, parsemés de tentes

Les villages sont nombreux, parsemés de tentes

 nous pouvons nous y abriter du vent

nous pouvons nous y abriter du vent

Les dunes, quant à elles, nous plongent dans un Sahara fantastique. Les buissons qui les habitent parfois nous rappellent au sahel. Les maures qui peuples la région à l’Afrique du nord. La route nationale, jonchée de trous à certains endroits, au danger fréquent des routes africaines. Et les innombrables collines que nous traversons nous apportent vues et difficultés. Je suis éblouis, estomaqué parfois, et je m’avoue me demander parfois outre je suis.

 

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Les dunes, quant à elles, nous plongent dans un Sahara fantastique

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Les buissons qui les habitent parfois nous rappellent au sahel

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Les maures qui peuples la région à l’Afrique du nord (photo par Pedro)

La route nationale, jonchée de trous à certains endroits, au danger fréquent des routes africaines

La route nationale, jonchée de trous à certains endroits, au danger fréquent des routes africaines

les innombrables collines que nous traversons nous apportent vues et difficultés.

les innombrables collines que nous traversons nous apportent vues et difficultés. (photo par Pedro)

Demeure cette impression aussi prenante qu’incertaine, celle d’avoir changé de monde.

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Demeure cette impression aussi prenante qu’incertaine, celle d’avoir changé de monde.

(photo par Pedro)

En attaquant le plus grand désert chaud du monde, le Sahara (près de 15 fois la France), nous débutons une partie difficile de notre périple. D’autant plus que nous l’affrontons depuis le sud, alors que le vent vient généralement du nord (plus ou moins). Une partie charnière et inévitable. Une sorte de fantasme pour moi. Ce désert demeure à mes yeux aussi fascinant que certains de ses recoins sont impénétrables.

(photo par Pedro)

En attaquant le plus grand désert chaud du monde, le Sahara (près de 15 fois la France), nous débutons une partie difficile de notre périple. (photo par Pedro)

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Sa traversée, pourtant, a débuté de manière éblouissante.

Olivier Rochat

D’une Afrique à l’autre

Km 54’367, Keur Macène, Mauritanie.

Voici un récit de mes derniers jours de route au Sénégal et de mon arrivée en Mauritanie. Écrit le 27 janvier 2018.

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C’est avec un brin de nostalgie que j’ai quitté le pays de la Teranga, le Sénégal. Ces derniers jours y auront été délicieux et agréable, tout en gardant un peu de leur rudesse. Mais plus que jamais, jusqu’au dernier jour, le pays de la Teranga (Teranga=accueil, hospitalité) n’aura aussi bien porté son nom que durant cette dernière semaine, passée entièrement avec Pedro. Chaque nuit, en demandant au chef du village, nous sommes bien accueilli. Nourri à foison, invité à boire le thé ou le si important café Touba. Chaque jour nous rencontrons des sénégalais parlant espagnol qui partagent volontiers la discussion avec Pedro. Je les regardes sans vraiment les écouter. Enfin si. Mais sans les comprendre. Ce qui s’en rapproche grandement. L’accueil aura donc été royal et seul les pistes, parfois bosselées, souvent venteuse et par moment horriblement sableuse, nous auront apporté ce brin de rudesse que, au final, nous aimons tant.

L'accueil aura donc été royal

L’accueil aura donc été royal

Les innombrables épineux du Sahel auront contribué à cette rudesse. Record battu avec 6 crevaisons en 1 seule journée. Le tout sur une piste tellement sableuses que parcourir 5 kilomètres nous aura pris plusieurs heures.

sur une piste tellement sableuses que parcourir 5 kilomètres nous aura pris plusieurs heures.

sur une piste tellement sableuses que parcourir 5 kilomètres nous aura pris plusieurs heures.

Entrecoupée, certes, de cette indescriptible Teranga, symbole premier – selon moi – de l’Afrique de l’ouest, lorsque nous sommes invités à manger dans un village. Un premier plat arrive. Nous avons très faim. Il est suffisant. Mais vient le deuxième. Impossible de le terminer. Vient ensuite le troisième plat. Il faut goûter. Nous goûtons. Et trois autre plats suivront. 6 plats pour deux, de la nourriture pour 15 personnes offertes à deux étrangers, record battu là aussi. Et après on nous dit que l’Afrique ne mange pas à sa faim… Nous avons failli exploser.

6 plats pour deux, de la nourriture pour 15 personnes offertes à deux étrangers

6 plats pour deux, de la nourriture pour 15 personnes offertes à deux étrangers

C’est ainsi, dans un accueil total, que nous avons rejoint le fleuve Sénégal. Fleuve qui sépare le Sénégal de la Mauritanie. Et, d’une certaine manière, l’Afrique noire de l’Afrique du nord. Ou pas vraiment. Mais un peu quand même.

 

 Le fleuve Sénégal. Un fleuve qui sépare le Sénégal de la Mauritanie.

Le fleuve Sénégal. Un fleuve qui sépare le Sénégal de la Mauritanie.

En quittant l’Afrique noire

En effet la Mauritanie est un pays bien particulier. D’une superficie deux fois supérieure à celle de la France, il n’est peuplé que de 3,7 millions d’habitants, dont beaucoup de sénégalais venus y travailler. De fait, avec à peine 3,5 habitants au kilomètres carré il est le troisième pays le moins densément peuplé d’Afrique, après la Namibie et le Botswana. Partagé entre le Sahel, au sud, et le Sahara, dans sa majeure partie, le pays s’étend sur plus d’un million de kilomètres carrés, allant des côtes atlantiques à l’ouest, au Sénégal, au sud, puis jusqu’au dunes du Sahara bordant le Mali et l’Algérie.

Sa géographie la rapproche plus de l’Afrique du nord.

La Mauritanie fait encore partie -politiquement en tout les cas- de l’Afrique de l’ouest. Pourtant sa culture l’y éloigne beaucoup alors que sa géographie la rapproche plus de l’Afrique du nord. Cette dernière ne vas d’ailleurs pas sans me rappeler le Soudan d’il y a 3 ans, partagé entre Sahel et Sahara lui aussi – mais à l’est du continent – énorme territoire dont certains recoins demeurent parmi les plus chauds et sec au monde (Wadi Halfa, au Soudan, est cité par certains comme le deuxième lieu habité le plus sec au monde après un village chilien – moyenne annuelle de …0,0 mm de pluie – Dongola, ville nubienne elle aussi, comme la ville la plus ensoleillée du monde -plus de 4’000 heures de soleil par an). Pays que j’appelle parfois « pays tampon », celui qui permet de passer de l’Afrique arabe à l’Afrique noire. Les pays au nord bordent la méditerranée. Au sud la forêt tropicale. Ni Afrique subsaharienne ni Afrique du nord. Ou peut-être un peu des deux à la fois.

C’est aussi un pays dont on me questionne souvent au vu de sa sécurité, là encore comme ce fût le cas au Soudan. S’il est vrai qu’une partie du pays est certainement instable et dangereuse, plus particulièrement lorsque l’on est blanc – c’est à dire une cible de choix, qui se revend à bon prix- la partie ouest, longeant l’Atlantique, est beaucoup plus abordable et sous contrôle policier.

Nous entrons par la petite frontière de Diama, que l’on nous a dit beaucoup moins « bordélique » que la terrible Rosso. En effet nous ne nous sommes pas trompés, les formalités de visa sont obtenues sans difficultés ni tentatives de corruptions, au prix indiqué, soit 55 euros pour une durée de 1 mois. Les gens nous laissent tranquille. Presque trop facile.

Dès lors, longeant le fleuve Sénégal mais de l’autre côté cette fois, côté mauritanien, nous entrons en République Islamique de Mauritanie.

Dès lors, longeant le fleuve Sénégal mais de l'autre côté cette fois, côté mauritanien, nous entrons en République Islamique de Mauritanie.

Dès lors, longeant le fleuve Sénégal mais de l’autre côté cette fois, côté mauritanien, nous entrons en République Islamique de Mauritanie.

Dès la première ville, Keur Macène, nous apercevons un premier choc culturel, si j’ose. Les Maures, les riches commerçants, peuples arabes vêtus de bleu et blanc que nous apercevions régulièrement depuis deux jours déjà, se mélangent – sans vraiment se mélanger – aux noires, les ouvriers. Une nouvelle Afrique débute. L’Afrique arabe pointe son nez, sans pour autant que l’Afrique noire ne soit réellement terminée. Le Sahara se rapproche également, amenant avec lui un changement brutal et fantastique à la fois. Un fantasme de gosse pour moi. Celui des grands espaces et du désert aux nuits fraîches et étoilées et aux journées chaudes et venteuses.

Les Maures, les riches commerçants, peuples arabes vêtus de bleu et blanc que nous apercevions régulièrement depuis deux jours déjà

Les Maures, les riches commerçants, peuples arabes vêtus de bleu et blanc que nous apercevions régulièrement depuis deux jours déjà

Et puis le muezzin fait maintenant partie à part entière du quotidien, bien qu’il m’accompagne régulièrement depuis plusieurs semaines déjà. Chaque matin nous nous réveillons à son son qui nous surprendra encore à tout moment du jour. L’islam semble avoir définitivement pris le pas sur toute tentative de « déviance morale ». Il semble régler la société d’une main de maître. Alcool et cigarette ont cette fois disparu de tous lieux public, comme remplacés par le thé et la prière. Les contrôles de polices sont aussi du quotidien. Mais jusqu’ici beaucoup plus bureaucratique que de mauvaise fois, ils ne viennent en rien ternir cette nouvelle étape fascinante qui me plonge soudain dans une nostalgie certaine. Celle de l’Afrique noire que je laisse derrière moi. Ici la religion semble réglée au millimètre près. Paradoxe certain tant la société semble désorganisée. Les détritus jonchent les rues, les plastiques s’embrochent sur les épineux, les animaux morts pourrissent au milieu des rues, bref, « tout » semble traîner sans que cela ne gène personne. La prière, elle, semble organisée au millimètre près.

le muezzin fait maintenant partie à part entière du quotidien

le muezzin fait maintenant partie à part entière du quotidien

Pourtant, en me plongeant vers cette autre Afrique, je ne peux que me sentir empli de joie et de bonheur. De curiosité également. Un changement radical est en train d’opérer. Il est aujourd’hui inévitable et, plus que ça, il a déjà commencé. Après 3 années entières en Afrique subsaharienne, une page se tourne. Et avec cette autre qui s’ouvre, je ne peux nier ce retour qui s’approche à grand pas. Cette Europe qui est juste là. À la fois si proche et si loin, rendue insaisissable par le Sahara qui m’en sépare. Et puis si malsaine par cette situation terrible et honteuse de notre époque: ce Sahara que je m’apprête à traverser par plaisir, quoi qu’on en dise, c’est le même que des milliers, marchandés comme du bétail, traversent par fuite. Celle des espoirs nouveaux. Pour ne pas dire désespoir tout court. Celle des migrants qui coûtent cher ». Trop, peut-être, quand on n’a pas la bonne couleur de peau pour « s’attaquer » à des états corrompus, eux, par l’ultra compétivité qui règne en premières religions dans ces mêmes états dit laïque et de droits, bien plus souvent de droite. États moralisateur aux possibles. Un comble profond au vu de leur démocratie grandement dépendantes d’États dictatoriaux ainsi que d’un simple regard sur l’histoire. Sur notre histoire. Qui est la « leur » également.

Ne l’oublions pas.

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Après 3 années entières en Afrique subsaharienne, une page se tourne

Olivier Rochat