Archives pour la catégorie Étape N°10 : Diama-Lausanne

Le voyage est découpé en plusieurs étapes. Retrouvez ici tous les articles de la dixième étape : Diama-Lausanne

El Pico Veleta, le Géant oublié

Km 61’877, El Pico Veleta, Espagne.

« Visible de tous mais inconnu du grand public, le Veleta (la route) a beau être un géant, il reste un géant anonyme. »

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Bon nombres de routes de montagnes sont connues de tout cyclistes (au moins de noms) et dépassent bien souvent ce cadre là. Du géant de Provence, le mont Ventoux, à d’autres géants du tour de France, des alpins Galibier et Alpe-d’Huez au pyrénéen Tourmalet, du tour d’Italie, par le fantasque Stelvio, le sélectif Mortirolo ou le sauvage Gavia, à celui d’Espagne, par le terrible Angliru et ses passages à… 23%, considéré comme l’une des ascensions cyclistes les plus difficiles au monde. En Suisse, les lacets de la Furka côtoient ce qu’il reste du glacier du Rhône, rongé par le réchauffement climatique, ceux de la vieille route du Gothard serpente la montagne et de leurs pavés emportent le voyageur dans un autre temps. Le col du Grand saint Bernard, lui, a vu passer Napoléon et son armée, un jour de mai 1800, 40’000 hommes a ses côtés.

Par leurs paysages et leur histoire, leurs difficultés, quelques ascensions mythiques parfois, leur utilité, ils ont fait parler d’eux, façonné les mythes et fasciné les foules. Que ce soit celles du cyclisme ou du tourisme, en coupe ou carte postale, ils ornent bien des salons. Pour les uns, ils ont vu des noms toucher la gloire, et d’autres la perdre, à genoux devant de tels monstres. Pour les autres, ils ont vu des armées les traverser. Ils ont fait l’histoire. Ils ont fait la gloire.

Et si les pros les grimpes à grande vitesse, quel amateur de vélo n’a jamais rêvé, un jour, d’en grimper l’un ou l’autre? Pour le défi, pour les paysages, dépassant ses propres limites pour devenir, l’espace d’un jour au moins, un « forçat de la route » et, sur les traces des plus grands, des souvenirs pour toujours.

Le Veleta, unique et gigantesque, presque d’une catégorie à part, aurait mérité lui aussi sa place au milieu de tels noms. Il n’a pourtant jamais fait parler de lui. Ou si peu. Et n’a « jamais » fait rêver les foules. Et surtout pas celle de LA Vuelta, le Tour d’Espagne, qui ne l’a jamais gravit.

 

Planté au sud de l’Espagne, au cœur de l’Andalousie, on aperçoit son sommet des kilomètres à la ronde. Deuxième sommet de la Sierra Nevada et troisième d’Espagne, il surplombe Grenade, 3ème ville d’Andalousie. De ce fait le pico Veleta est l’une des montagnes les plus photographiées au monde.

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Planté au sud de l’Espagne, au cœur de l’Andalousie, on aperçoit son sommet des kilomètres à la ronde.

Car si Grenade, 250’000 habitants environ, vit aussi par son importante population estudiantine -plus de 60’000 étudiants-, le tourisme est également omniprésent. L’Alhambra, l’un des plus prestigieux témoins de la présence arabe en Espagne, est l’un des monuments les plus visités d’Europe et attire plus de 2 millions de visiteurs chaque année. Surplombant la ville il est lui-même surplombé du pico Veleta et de ses neiges dont certaines, au versant nord, sont (encore) « éternelles ». Et quiconque visitera l’Alhambra, et Grenade en général, ne pourra manquer d’apercevoir le pico Veleta et ses pentes, blanches en hiver et grises en été, qui domine la ville entière.

Mais la route du Veleta personne n’en parle, même les guides touristiques semblent l’avoir oublié. On y parle bien de la station de ski construite sur ses pentes et qui fait vivre bon nombres de familles durant l’hiver, la Sierra Nevada, mais bon nombre de granadinos (habitants de Grenade) ne savent même pas qu’une route grimpe jusqu’à son sommet.

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L’Alhambra, l’un des plus prestigieux témoins de la présence arabe en Espagne, est l’un des monuments les plus visités d’Europe et attire plus de 2 millions de visiteurs chaque année.

 

Cette route, pourtant, n’est rien d’autre que la plus haute route goudronnée d’Europe et s’arrête à quelques centaines de mètres du sommet. Bien que l’accès y soit réglementé pour les véhicules à moteur sur les 11 derniers kilomètres, elle permet au cyclistes de grimper jusqu’au pico Veleta, qui culmine à 3’396 (3’398 selon les sources) mètres d’altitude, soit presque 600 de plus(!) que la deuxième plus haute route d’Europe. Un géant.

Dans un pays où le cyclisme est si présent, difficile d’imaginer un tel anonymat.

Fasciné depuis mes quinze ans par les routes de montagnes, lorsque j’ai pris connaissance de cette route, qui plus est en plein milieu de mon itinéraire andalous, il m’était impossible de ne pas m’y intéresser. De ne pas m’y plonger, de ne pas le craindre, le Veleta, et, en conséquence, de ne pas le rêver, le vouloir.
Comme un aimant, les virages du Veleta ont attiré mon attention. Difficile, pourtant, de trouver l’information. Quelques sites en parlent bien, mais pas grand chose. Et lorsque l’on m’en parle enfin, c’est pour me déconseiller d’y aller. « Pas joli », « à cette altitude il n’y a pas de végétation » me diras t’on. J’ai hésité. C’est vrai. D’autant plus qu’avec mon chargement grimper des cols ne revêt plus le même plaisir qu’à « vide ». Les jambes semblent tirer une locomotive et c’est sans compter sur la canicule quotidienne des mois de juillet andalous.

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Comme un aimant, les virages du Veleta ont attiré mon attention.

De l’autre côté ces propos ne sont pas ceux de cyclistes et, d’expérience, je sais oh combien que le ressenti d’un col sera différent vu d’une voiture ou d’un vélo, sans compter sur le fait que chacun, de toutes manières, ressentira les choses à sa façon, et ce quel qu’en soit la route et le moyen de transport. Et si je donne dans un premier temps une certaine importance à ces propos, je les oublierai vite dès que le Veleta m’apparaîtra pour la première fois, une cinquantaine de kilomètres avant d’atteindre Grenade.

Majestueux, il surplombe alors des « champs » d’oliviers, et de nombreux névés de neige sont encore visible. Difficile, cependant, d’imaginer une route grimper un tel monstre, ce sommet en forme de bougie, qui me surplombe de près de 3’000 mètres.

Une seule question me vient alors à l’esprit: si je n’y vais pas, comment me sentirais-je une fois parti? Il ne me faut guère plus de 5 minutes pour y répondre: dans le regret. Un peu le même que lorsque l’on refuse une opportunité en or qui paraît audacieuse, par peur que cela se passe mal. Peu m’importe de savoir si je reviendrai dans la région et, après deux jours de repos dans l’agréable ville de Grenade, je me lance à l’assaut de l’interminable montée du Veleta.

Et quelle montée!

L’ascension reste particulière. Longue et régulière, près de 50 kilomètres d’une pente ne faiblissant quasiment jamais, sans pour autant créer de passages vraiment raide. Avec un total de 2’700 mètres de dénivelé positif et presque sans le moindre plat, la difficulté principale reste la longueur et l’altitude, éventuellement les conditions climatiques.

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Rapidement, je prends de l’altitude. Sur une route large et sans charme, les virages se suivent et se ressemblent, les camions passent.

Mais, accueilli à Grenade durant deux jours, je ne compte pas briser le rythme de mes hôtes qui se lèvent tard. Quittant la ville en début d’après-midi je sais bien que je ne rejoindrai le sommet que le lendemain matin, probablement. Pour mieux le ressentir, je dormirai sur ses pentes.

L’ascension débute à Grenade même. Trois routes permettent d’aborder la première partie et si je décide d’éviter la plus facile, j’évite aussi celle de Monachil, réputée plus dur bien que plus belle.

Quelques villages se suivent puis, rapidement, je prends de l’altitude. Sur une route large et sans charme, les virages se suivent et se ressemblent, les camions passent.
De temps à autre j’aperçois Grenade qui
diminue à chaque fois que je peux l’apercevoir. De temps à autre un restaurant, un bar, une station service, me sert de ravitaillement en eau, alors que la route continue de monter, inlassablement. Je l’aborde tranquillement car plus qu’un jeu de jambe, c’est un jeu mental qu’il me faut effectuer. Un jeu de patience et d’abnégation. Un panneau m’indique « altitud 1000, », tout va bien, je monte. Lentement. Mais sûrement. Difficile, cependant, d’imaginer qu’il me reste 2’400 mètres de dénivellation positive, et près de 40 kilomètres d’ascensions continue. Quelques cyclistes passent à toutes vitesse mais je les regarde sans sourciller. Ils disparaissent après un bref et âpre salut. Je ne les reverrai plus. Je suis chargé. Il fait chaud. Et l’ascension ne fait que commencer.

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je monte. Lentement. Mais sûrement. Difficile, cependant, d’imaginer qu’il me reste 2’400 mètres de dénivellation positive, et près de 40 kilomètres d’ascensions continue.

Elle durera toute l’après midi.

Les premiers kilomètres sous l’écrasante chaleur andalouse vont peu à peu laisser place à quelques traits de fraîcheur au fil de l’altitude grimpante, une forêt de pins va apparaître, le panneau « altitud 1500 » va enfin être dépassé, chaque vue de Grenade va me laisser voir une ville de plus en plus petites et lointaines où les maisons individuelles deviennent des « tas vu du ciel » et, tel un décollage au ralenti, je vais continuer à prendre de l’altitude. La station de la Sierra Nevada, sans âme et sans chaleur en été, va venir juste après le panneau « altitud 2’000 », laissant derrière elle une ville devenue minuscule et, devant elle, le pico Veleta, ses neiges fondantes au soleil. Elle marquera aussi mon dernier point de ravitaillement.

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La station de la Sierra Nevada, sans âme et sans chaleur en été, va venir juste après le panneau « altitud 2’000 », laissant derrière elle une ville devenue minuscule et, devant elle, le pico Veleta, ses neiges fondantes au soleil. Elle marquera aussi mon dernier point de ravitaillement.

 

Dès lors, une autre ascension débute.

À 2’500 mètres d’altitude se trouvent les derniers arbres, le dernier bistrot. La route est dorénavant fermée aux véhicules motorisé. Seul les piétons, les cyclistes et quelques véhicules d’entretiens sont autorisés à continuer plus haut.

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La route est dorénavant fermée aux véhicules motorisé. Seul les piétons, les cyclistes et quelques véhicules d’entretiens sont autorisés à continuer plus haut.

Il est presque 20 heures et la station de la Sierra Nevada me paraît déjà bien basse lorsque je passe la barrière. Le vent, à force que je prenne de l’altitude, se renforce. Il vient de la mer et, en conséquence, souffle contre moi. Les jambes sont lourdes et je croise encore quelques cyclistes, quelques marcheurs, lorsque je traverse mon premier névés de neige qui, fondant sous les rayons de l’été, laisse une route humide, formant parfois un petit ruisseau au milieu de la route. Les virages s’accumulent sans discontinuer et c’est derrière l’un deux, me cachant du vent, que je vais doucement me glisser afin d’y passer la nuit, appréciant le coucher de soleil, boule orange scintillant timidement derrière le voile de saleté, poussière et pollution, propre aux longues périodes sans pluie de cette région aride.

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je traverse mon premier névés de neige qui, fondant sous les rayons de l’été, laisse une route humide, formant parfois un petit ruisseau au milieu de la route.

L’espace qui m’est donné est précaire mais, à l’abri du vent, m’est suffisant. Peu avant que le sombre du ciel ne tourne au noir de la nuit, un marcheur passe descendant à la station. Il est le dernier. Je ne le sais pas mais je le sens. Je m’installe. Sans tente car la place ne le permet pas et que probablement le vent la soufflerait s’il venait à se lever plus « sérieusement ». Ce soir ce sera nuit à la belle étoile. Sandwichs au menu, un thé car il fait froid et je m’enroule dans mon sac de couchage comme une marmotte en hibernation. À plus de 2’800 mètres d’altitude, on est plus si loin du zéro degré, je ressors mes pulls, mon écharpe et sous le bruit du vent frappant les barrières des pistes de ski, je m’endors tant bien que mal. Au ciel, les étoiles sont au rendez-vous. Au bas Grenade, une vingtaine de degré en plus, s’illumine de mille feux, ses lumières en contrebas.

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J’ai maintenant les pieds dans la neige mais les yeux porté sur une ville qui transpire et c’est aussi ça, le Veleta.

J’ai maintenant les pieds dans la neige mais les yeux porté sur une ville qui transpire et c’est aussi ça, le Veleta.

Mais le Veleta n’est pas un col pour autant, c’est une ascension, un sommet. Alors que le col, lui, est réputé pour passer par le point le plus haut d’une route reliant deux vallées, le chemin qu’il emprunte est généralement le plus bas, du moins le plus pratique, le plus accessible, pour traverser les montagnes qui séparent les deux vallées. Il ne cherche pas les sommets, au contraire il les évite. Il n’est pas là pour grimper, il est là pour traverser, pour passer. À une époque plus ancienne, sans tunnel, technologie motrice ni aviation, il revêtait une grande importance car il était le seul point de passage entre ces deux vallées (dans bien des cas c’est toujours d’actualité). Mais le Veleta, lui, à la manière du mont Ventoux, ne relie pas
deux vallées. Il n’a pas ce côté essentiel dont l’économie et le développement de vallées entière peuvent dépendre. Non lui il grimpe une montagne où personne ne vit et, hormis pour accéder à la station de ski et l’observatoire qui culmine à 2’800 mètres d’altitude, son utilité est, pour ainsi dire, nulle. Mise à part, bien sûr, celle que vous pourriez bien lui donner. La route du Veleta est une lubie. Elle n’en mène pas moins à un sommet.

 

La nuit sera courte, la nuit sera Belle, la nuit sera fraîche. Et au matin un élément va venir perturber mon avancée, ou plutôt ma terminée, puisqu’à 7 kilomètres du sommet je pouvais sentir la fin dès le réveil: c’est le vent.

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au matin un élément va venir perturber mon avancée, ou plutôt ma terminée, puisqu’à 7 kilomètres du sommet je pouvais sentir la fin dès le réveil: c’est le vent.

Il souffle maintenant plus qu’à moitié comme auparavant. Non maintenant il se déchaîne. Et je ne sais pas s’il crie ou s’il chante, mais lorsqu’il vient frapper les installations de skis gisant là comme morte, enlaidissant ces paysage « nu », j’ai l’impression qu’il me parle. Qu’il me gueule dessus.

Il me faudra deux heures pour en terminer. Deux heures d'un long rictus solitaire et matinale sur les pentes de plus en plus sèches et inhospitalières du Veleta.

Il me faudra deux heures pour en terminer. Deux heures d’un long rictus solitaire et matinale sur les pentes de plus en plus sèches et inhospitalières du Veleta.

Il me faudra deux heures pour en terminer. Deux heures d’un long rictus solitaire et matinale sur les pentes de plus en plus sèches et inhospitalières du Veleta. Une fois les 3’000 mètres passés, seuls quelques morceaux d’herbes survivent, on ne sait trop comment, au dur climat qui sévit à une telle altitude. Même le goudron, acceptable jusqu’ici, semble subir le climat. Sous l’effet du gel qui sévit près des trois-quarts de l’année, la route est de plus en plus rongée, comme par la lèpre ou la morsure d’un requin, au point de parfois se transformer en lambeaux, vaste tas de pierres. De goudrons déchiqueté.

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Sous l’effet du gel qui sévit près des trois-quarts de l’année, la route est de plus en plus rongée, comme par la lèpre ou la morsure d’un requin, au point de parfois se transformer en lambeaux, vaste tas de pierres. De goudrons déchiqueté.

Je passe maintenant plus de temps à pousser qu’à pédaler. Parfois au sortir d’un virage m’envoyant dans l’autre sens, le vent me porte sur quelques dizaines de mètres avant de bifurquer à nouveau, et, d’une prise totale à ce même vent qui me fouette maintenant, il me faut lutter même pour ne pas tomber. Avant d’enfin, luttant toujours pour chaque pas, de pouvoir atteindre la partie droite et presque longiligne où, plus caché du vent, je peux m’évader à nouveau, toujours en direction du ciel.

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C’est sous le regard inquiet d’un bouquetin qui s’enfuit d’une élégance non feinte, plongeant sans crainte au bas d’une pente aux allures de falaises, que j’aborde le dernier virage et cette route défoncée qui devient piste, puis, à quelques hectomètres du sommet, presque tas de cailloux. Après quelques efforts saugrenus, tirant mon attirail au-dessus de gros cailloux à près de 3’400 mètres d’altitude sur une pente avoisinant les 10%, je touche au but.

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C’est sous le regard inquiet d’un bouquetin qui s’enfuit d’une élégance non feinte, plongeant sans crainte au bas d’une pente aux allures de falaises, que j’aborde le dernier virage et cette route défoncée qui devient piste

Me voici au sommet du Veleta.

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Me voici au sommet du Veleta.

Et si le vent est terrible, presque dangereux, la vue, elle, est magnifique. Elle me laisse tout le chemin parcouru, les derniers kilomètres de ce matin qui me paraissent minuscule, cette route qui descend jusqu’à la plaine, les forêts d’hier après-midi, presque insignifiante, et Grenade, toujours là mais qui semble vouloir disparaître, devenue si petite. Autour d’Elle toutes ces collines qui d’en bas me paraissaient si pointues et qui d’ici m’apparaissent si plate. Un peu comme d’un avion.

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Tout autour quelques sommets, rocailleux, et à peine plus loin le Mulhaucén, plus haut sommet d’Espagne. Quelques névés gisent encore, mélangeant l’hiver du lieu à la fournaise des vues sur Grenade et l’Andalousie qui transpire encore. Glacé par le vent, réchauffé par la vue, je reste un long moment, accroupis, à contempler le monde, Grenade et le chemin parcouru. Le chemin à venir.

Glacé par le vent, réchauffé par la vue, je reste un long moment, accroupis, à contempler le monde, Grenade et le chemin parcouru. Le chemin à venir.

Glacé par le vent, réchauffé par la vue, je reste un long moment, accroupis, à contempler le monde, Grenade et le chemin parcouru. Le chemin à venir.

J’ai grimpé le Veleta. Et si se fût une lubie, se fût beau quand même. Car même dans l’anonymat de ses pentes, je ne suis pas près de l’oublier.

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Même dans l’anonymat de ses pentes, je ne suis pas près de l’oublier.

Olivier Rochat

Premiers pas en Europe

Avec un peu de retard, mes premiers mots de retour sur le continent européen, le 9 juillet 2018.

Km 61’450, Ronda, Espagne.

Dans la « construction » de ce voyage je n’avais jamais vu, ni abordé, l’Afrique comme une destination.

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Je partirai de « chez moi » (la maison où j’ai grandi), et j’y rentrerai. En cours de route sera l’Afrique. L’Afrique comme enseignant, l’Afrique comme compagnon. L’Afrique comme découverte, l’Afrique comme cheminement. Et pendant trois années et demi, l’Afrique fût un chemin. Pas une destination.

Aujourd’hui je rentre doucement au pays. Je retrouve « mon » continent.

Mais qu’en sera-t-il, de ce retour?

Sera-t-il possible de se réadapter? De retrouver ma place?

C’est des questions que l’on me pose souvent, parfois accompagné de prétendues certitudes sous des airs de « tu n’y arriveras pas! » ou de « si tu as réussi à t’adapter à l’Afrique
te réadapter à l’Europe ne sera pas un problème! ».

Aaaah les certitudes. Mes certitudes. Nos certitudes…

Vilaines certitudes.

Ce qui est certain, semble-t-il (!), ce que chacune d’elles, chacune de mes certitudes, l’une après l’autre, a volé en éclat, explosée en plein vol
sous le poids massif des changements permanents, quotidiens, relatif aux voyages et rencontres. Seules quelques réalités physiques et matérielle demeurent encore. Je suis un homme. Je suis blanc. Je t’aime. Ah ça oui. Et j’aime l’Homme, avec un grand H comme dans « Haïti » ou « Harry » Mais je change. Jour après jour. Parfois ce que j’aime je ne l’aime plus. Et plus j’en sais, moins j’ai l’impression d’en savoir. Ainsi mes convictions deviennent bien incertaines lorsque mes problèmes se transforment en solutions…

Alors comment sera-t-il, ce retour?

Eh bien, mes amis, je n’en sais rien. Pas plus que la route que je prendrai au prochain carrefour. Oh j’ai beau avoir mon idée. Mon plan. Mais ce ne sera ni celle de droite, ni celle de gauche, ni celle du milieu. Ce sera celle sur laquelle je me trouverai après le carrefour. Ce sera celle là que je prendrai…

Et peut-être qu’une seule question mérite d’être posée à l’heure d’aborder ce retour et une éventuelle réadaptation: en ai-je seulement envie?

Et malgré tout le respect que je lui doit, la beauté que je lui vois, je doute que l’Espagne, et plus encore l’Andalousie, m’offre le temps d’une réponse.

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Et malgré tout le respect que je lui doit, la beauté que je lui vois, je doute que l’Espagne, et plus encore l’Andalousie, m’offre le temps d’une réponse.

C’est donc sous des airs de « on verra bien » que je porte mes roues, après une petite heure de bateau, à l’extrême sud du continent européen, le 9 juillet 2018. Tarifa, petite ville côtière dont le phare se targue d’être situé au bout du point le plus méridional (le plus au sud) du continent européen, sera mon port d’entrée, véritable porte de l’Afrique qui est encore bien visible depuis les côtes espagnoles. Sa réputation dans le milieu du surf n’est, semble-t-il, pas usurpée. Le vent y souffle avec une violence toute marine mais remonte les côtes espagnoles la majeure partie du temps. Ainsi, il a tendance à me pousser.

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Tarifa, petite ville côtière dont le phare se targue d’être situé au bout du point le plus méridional (le plus au sud) du continent européen,

Mais dans les premières heures il ne retient guère mon attention, totalement submergée par ce nouvel environnement dans lequel je baigne à présent. En fait, malgré l’excitation qui m’habite, les premières heures sont difficiles. Le matérialisme ambiant, couplée à l’individualisme qui le guide, me submerge de toutes parts et l’expression des visages fermés qui m’entourent ont des airs terribles d’enterrement. Les regards se croisent et s’éloignent dans une ignorance totale. Chacun me semble vivre avec une vitre autour de lui. En Afrique j’aurai payé pour qu’on me laisse tranquille. Ici je payerai pour qu’on me dise bonjour.

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mon attention, totalement submergée par ce nouvel environnement dans lequel je baigne à présent.

Les traversées des premières villes, mêmes petites, sont elles aussi difficile. Trop de routes, on passe de la semi-autoroute au plus intimes pistes cyclables.
Trop de panneaux, sur un rond point j’en compte jusqu’à 20. Six fois, il est indiqué dans quel sens le prendre. Un « stop » est indiqué trois fois (!), en plus de la peinture au sol. Une interdiction de dépasser par deux panneaux identiques distant de quelques mètres, les informations sont partout. Au Nigeria j’ai pédalé des centaines de kilomètres sans voir un seul panneaux d’indiquation. En Espagne j’en ai plus de 20 au kilomètres et parfois même plus que 20 dans un seul et unique champ de vision. Ici un sens unique, un feu rouge, un cul-de-sac. Sur un parking privé je compte plus de panneaux que de places de parc. Interdictions, mises en gardes, limitations, indications, répétitions… On me dit qu’au moins on ne peut se tromper. Je ressens tout le contraire. Les informations me submergent, elles sont partout et me perdent. Je ne sais même plus ce qu’elles essaient de me dire, j’en oublie de m’arrêter devant un piéton qui m’insulte. Puis je m’arrête devant une voiture alors que j’ai la priorité. Je fonctionne à contresens, sans savoir où regarder. De quoi me méfier. La loi et l’information semble avoir pris le pas sur toute forme d’initiative et d’instinct. Je prends celle de dire bonjour et je n’obtiens, en retour, qu’un regard fuyant. Toujours. Ou si souvent…

Pour la première fois depuis longtemps, je me sens seul. Seul et submergé par ce monde avec lequel je n’arrive plus à interagir. Je fonctionne à contresens et, pour un instant, j’ai même envie de disparaître.

Mais comment??? J’ai traversé l’Afrique sans GPS mais une ville de 100’000 habitants semble avoir raison de moi. Comment en sortir??? Quelle route prendre? La route que j’emprunte se transforme en deux voies puis me mènent à un rond point à trois directions où toutes sont interdites au vélo. Je retourne sur mes pas. Les rapports s’inversent. Du manque de choix, je passe au trop de choix. Je veux une route, j’en ai vingt. De l’essentiel je passe au surplus.
Me voici dans des petites ruelles magnifiques mais l’on s’y déplace à sens unique. J’y perd une heure puis même plus. Enfin je trouve une petite route de campagne. Je m’enfuis…

Mais quelle est donc ce nouveau monde?

C’est un choc. Une grosse claque de laquelle je vais, peu à peu, me relever.

À travers la campagne andalouse je retrouve enfin mes esprits. Les petits villages blancs suivront les dernières vues sur le continent africain. Un tortilla accompagnera du chorizo, des tapas une bière fraîche. La « froideur » première des espagnoles laissent place à un sourire, une question, quelques mots, lorsque l’on s’y attarde. J’ai l’impression qu’il me faut « casser la vitre ».

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Les petits villages blancs suivront les dernières vues sur le continent africain.

 

Et puis après avoir été un centre d’attentions quasi permanent pendant plus de 3 ans, je retombe dans un anonymat certains. La richesse, l’intérêt, que représentais ma seule couleur de peau laisse place à un anonymat bienvenu. Je suis redevenu quelconque. De riche à vagabond. On me laisse tranquille, on m’ignore même.

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Les dernières vues sur le continent africain

Les rapports humains ont totalement changé et, petit à petit, je m’adapte à ce nouveau monde. À ce nouvel environnement, plus distant et individualiste, organisé et, presque, mécanique. Tout me semble à la fois si lisse et polis, si « comme il faut » qu’au début je m’étonne devant tout ce matérialisme qui fonctionne si bien mais où spontanéité et instincts semblent avoir du mal à exister. Devant ces cyclistes qui passent à vives allure de leurs habits moulants fluorescents et qui n’ont guère d’autre mots, d’autres gestes qu’un bref salut pour ne pas freiner leur impressionnante avancée. J’ai l’impression d’avoir gagné des droits, mais perdu mes responsabilités.

Mais la beauté de l’Andalousie, à la fois par ses paysages et sa culture, m’offre déjà ses premiers détours. De cols en bords de mer, je goûte au vent puis à l’écrasante canicule des après-midi andalous où les villages somnolent et les commerces se ferment. Où l’ombre, comme ce fût souvent le cas en Afrique, vaut son pesant d’or.

Alors je la cherche moi aussi…

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Olivier Rochat

Derniers kilomètres en Afrique

Km 61’227, Ksar Sghir, Maroc.

Mercredi 4 juillet 2018, j’ai rejoint la méditerranée. Puis, dès le lendemain, le détroit de Gibraltar et mon point final du continent africain: Tanger.
Aujourd’hui, je me repose dans cette même Tanger.

Le départ est imminent, un de ces jours probablement.

Voici un texte écrit à 40 km de Tanger. Peut-être le dernier que je vous partage depuis le continent africain.

Mais pas de crainte on se retrouve de l’autre côté, en Andalousie. Bientôt…

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« Aujourd’hui règne comme une odeur de fin sur la côte sud du détroit de Gibraltar.. Mon dernier jour de route sur le continent africain. Après 55’318 kilomètres, les 40 kilomètres qui me sépare de Tanger sont une distance que j’ai parcouru plus de 1’382 fois en Afrique.

Et après 1’310 jours en Afrique, les quelques heures qui me sépare de cette même Tanger formeraient l’équivalent d’une dizaine de secondes par rapport à une journée de 24 heures. Sur une distance de 1’000 kilomètres, à proportion gardée, ces 40 kilomètres ne seraient que 720… mètres.

Des miettes.

Des miettes qui, pourtant, me saisissent l’esprit comme rarement. Sur les bords de la méditerranée je vis là mes derniers instants sur le continent africain. Intense, ils sont les derniers d’une aventure fascinante qui m’a mené aux 4 coins du continent africain. Qui m’a mené, parfois, au bout de moi même. Mais toujours proche des gens. De ces cultures à la fois si rude et accueillante, dont l’ordre et la structure sont bien souvent régie par des logiques qui différent des miennes.

Une Afrique qui m’a longtemps fait rêver. Qui m’a beaucoup testé. Et que j’ai appris, de jour en jour, à aimer. Au point de ne plus vouloir la quitter, la regarder avec le regret de partir et, déjà, l’envie de revenir. Car malgré l’excitation que me procure l’approche des retrouvailles avec les miens, ma culture et mon pays, c’est avec le cœur noué que j’ai sobrement rejoint la méditerranée, hier, avant de me glisser dès aujourd’hui sur les côtes du détroit de Gibraltar. Balayé par le vent comme rarement, sous des bourrasque renversant tables et poubelles, balançant parfois les parasols des plages au milieu d’un sable volant, je m’approche inévitablement de Tanger, mon point de départ du continent africain.

Il me reste quelques heures, une après-midi de route. Quelques côtes en bord de mer. Et le silence de mes pensées qui gigotent puis s’étouffent, qui crient au monde des mots qui n’existent même pas, qui restent coincé là, dans mon esprit silencieux. Dans mes pensées qui s’en vont dans le lointain de cette mer, la méditerranée, où se termine dorénavant mon horizon. Et derrière laquelle se situe mes origines, mon enfance.

Derrière laquelle j’aperçois bientôt les côtes espagnoles qui se dressent comme la terre qu’un marin, en mer depuis 43 mois, aperçois à nouveau. En lui, en moi, ce mélange de joie et d’appréhension, comme si, tu vois, on rentre à la maison.

Mais finalement, à travers ces phrases qui ne sortent pas comme je le voudrais, c’est un sentiment de gratitude qui m’habite, de cette chance d’avoir pu vivre ça, cette reconnaissance envers moi-même de l’avoir choisi, et envers le monde, tout ceux que j’ai croisé, de m’avoir accueilli, de m’avoir partagé. De m’avoir permis. De m’avoir fait Roi malgré mes airs de vagabonds.

De m’avoir offert le toit, ouvert la porte d’une maison.

De m’avoir grandit.

Merci, et à bientôt.

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Olivier « Zitouni » Rochat

Chaouen

Km 61’078, Chefchaouen, Maroc.

À 50 kilomètres de la méditerranée et 100 de l’Espagne, Chefchaouen m’offre une dernière pause sur le continent africain. Un dernier regard bleuté venu casser la nostalgique mélancolie qui accompagne mes pas depuis plusieurs semaines déjà. Un dernier repos, un dernier plaisir, en cette semaine qui devrait, et sera, être la dernière sur le continent africain. Au dernier lundi suit le dernier mardi, au dernier tajine suit un autre dernier, il est presque temps de casser enfin l’ambiance nostalgique qui m’habite, cachant même la tristesse et la joie qu’accompagne ce sentiment partagé d’excitation et d’appréhension, pour enfin franchir la mer, traverser la méditerranée.

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Les maisons y sont, presque toutes, peintes en bleu, offrant une atmosphère particulière

Mais à 600 mètres d’altitude, perché dans les montagnes du Rif, je m’égare dans les rues abruptes de la Médina, la vieille ville, si particulière de « Chaouen ». Les maisons y sont, presque toutes, peintes en bleu, offrant une atmosphère particulière, peut-être unique, à celui qui s’égare dans ces ruelles aux allures de labyrinthes.

Chefchaouen m'offre une dernière pause sur le continent africain.

Chefchaouen m’offre une dernière pause sur le continent africain.

Je me lève à l’aube pour profiter de la quiétude de l’heure (5h30) et m’égarer simplement à travers les ruelles désertes de Chaouen.

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Je me lève à l’aube pour profiter de la quiétude de l’heure (5h30)

Mais ce n’est pas tant pour l’agréable fraîcheur de l’heure, ni pour profiter d’une de ces longues journée débutée avant l’aube, les plus belles à mes yeux, que je me lève ainsi tôt. Non, c’est parce que Chaouen, ses habitants, ses touristes, dorment encore.

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Chaouen, ses habitants, ses touristes, dorment encore.

À cette heure matinale seuls quelques chats traînent dans les ruelles, régnant en maîtres, silencieux et nonchalant, de la Médina. Je m’évade alors de rues en rues, grimpant d’un escalier à l’autre, attendant patiemment que les façades rendue bleus sombre par les instants de l’aube se transforment en bleu ciel sous l’éclat lumineux de l’astre montant qui nous a permis la vie. Et, peu à peu, la vie, justement, refait surface, on se réveille. Une boutique ouvre, puis une femme passe, transportant un énorme sac, un homme qui part aux affaires. Les façades bleutées s’éclaircissent enfin face au soleil montant toujours plus haut dans le ciel.

seuls quelques chats traînent dans les ruelles, régnant en maîtres

seuls quelques chats traînent dans les ruelles, régnant en maîtres

Si le bleu est une couleur, à Chaouen il en est 1000. Des milliers de tons du clair au ciel, rappelant la mer en ces montagnes, qui tournent parfois au violet, ou suis-je trahit par l’ombre de ce vignoble surplombant la rue? Le vert qu’y glisse ses feuilles vient d’un éclat transformer cette ruelle en un tableau, un Van Gogh, un Picasso, et les pots de fleurs, orange, jaune, rouge, viennent apporter encore des traits éclatant à ce festival de couleurs bleuté, cet arc en ciel.

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les pots de fleurs, orange, jaune, rouge, viennent apporter encore des traits éclatant à ce festival de couleurs bleuté, cet arc en ciel.

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Quelques gamins apportent leurs oranges, une table et puis on presse le fruit et se dresse déjà quelques stands de jus d’orange alors qu’en face une porte, toujours bleue, s’ouvre laissant place à différentes formes d’arts locaux.
Mais plus de Choukran ni de Salam pas plus que de Bonjour, on me parle en anglais. Me voici bientôt coincé parmi un groupe de touriste russes s’étalant sur une ruelle entière alors que plus loin ce sont des asiatiques, ma connaissance quasi nulle de ce vaste continent ne me permettant pas de leur donner une nationalité je vais les appeler ainsi, qui prennent d’assaut un escalier. À tour de rôle on se photographie.

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Je m’évade alors de rues en rues, grimpant d’un escalier à l’autre, attendant patiemment que les façades rendue bleus sombre par les instants de l’aube se transforment en bleu ciel sous l’éclat lumineux de l’astre montant qui nous a permis la vie.

 

Le Maroc est de contraste. Dans ses montagnes reculées, l’âne y est encore un moyen de transport. À Chaouen, on fait la queue pour prendre en photo un escalier.

Les rues se remplissent et les chats, qui régnaient en maître il y a une heure encore, se faufilent entre les jambes et les murs, cherchant de la nourriture pour les plus audacieux. Une fuite pour les autres. Ils ne règnent plus en maître en témoigne ce chaton crevé qui gît au sol, comme écrasé par le diable. Tristement peut-être, cela ne me touche guère. Oh je l’aurai bien sauvé, mais il est trop tard. Et bien souvent en Afrique l’Animal, lorsqu’il n’est pas sacré ou utilisé pour le travail, est traité comme le terme qui l’y renvoie, un animal. L’Animal naît animal, et meurt animal. L’Animal est animal. N’en déplaise aux russes qui l’aperçoivent juste après moi.
L’oeuvre, terrible s’il en est, probable d’un scooter, le seul type de véhicule motorisé que j’ai vu circuler dans ces ruelles.

Plus loin une famille de mexicain, si je me fie au maillot que porte le père, se prend en photo devant cette porte décorée où je passe pour la troisième fois au moins alors que l’espagnol, la langue, devance parfois l’anglais. Au fond l’Espagne est s’y proche qu’on peut y venir en week-end depuis les villes du sud de pays et je l’entends résonner souvent dans les discussions qui tournent autour de moi ou lorsqu’un marocain me salue d’un « Hola ».

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Chaouen me semble suffisamment grande et belle pour attirer plein de monde

De Madrid à Tokyo, de Moscou à Mexico, Chaouen à quelques airs d’international lorsque « retentit » midi. Le soleil est maintenant brûlant et les multiples bleus des façades et autres escaliers s’éclaircissent à la lumière de juillet. Les rues abondent de monde et les souks, toujours si vivants et colorés, m’étouffent. Il est temps pour moi de battre en retraite et de retrouver mon auberge et ma chambre, bien marocaine quant à elle. La fraîcheur y est conservée mais l’eau si glacée que j’attendrai le plus chaud du jour pour me rafraîchir.

On m’interpelle quelques fois encore. On me propose un guide, du hachich, sans trop insister. Chaouen me semble suffisamment grande et belle pour attirer plein de monde, mais suffisamment petite pour ne pas s’y perdre et me laisser respirer un minimum.

Je m’égare l’esprit qui, devenu trop subjectif pour m’en apprendre plus, n’insiste guère et me laisse bercer par la douceur qu’est la vie lorsqu’on a le temps de la contempler.

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je me laisse bercer par la douceur qu’est la vie lorsqu’on a le temps de la contempler.

Olivier Rochat

 

Sous le soleil de juin

Km 60’730, Tahla, Maroc.

Ce n’est pas un adieu, c’est juste un au revoir.

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Peu à peu, au rythme qui fut le mien depuis près de 4 années maintenant (ou plutôt « qu’est devenu le mien après… »), mon esprit se tourne inévitablement à ce qui pourrait s’apparenter à la partie la plus délicate d’un voyage au long cours: le retour.

Pourtant la fin de ce voyage à proprement parler me semble loin encore et cette fin là, ce moment si particulier où je retrouverai les  » miens » et poserai mon vélo et le mode de vie qui l’accompagne, autant socialement que matériellement, pour de bon, marquant inévitablement une fin, certes, mais avec elle le début d’autre chose, n’est pas encore d’actualité.

Non depuis quelques jours c’est autre chose qui m’occupe l’esprit : quitter l’Afrique.

Mais il est vrai que depuis mon arrivée au Maroc j’ai fait traîner la chose. À tel point que le Maroc est devenu, aujourd’hui, le premier pays africain dans lequel j’ai pédalé plus de 5’000 km. Il faut dire qu’entre déserts et montagnes le Maroc m’en a mis, constamment, plein la vue et plein les jambes. Et puis, avec une culture riche et intéressante, un peuple accueillant et un coût de la vie assez bas, j’ai bien profité de ce pays où je verrai, bientôt si tout va bien, mon dernier tampon africain orner mon passeport. Ce sera alors le 104ème.

Et dernière « preuve écrite », s’il en faut, de mes entrées et sorties de ces différents territoires africain si fascinant, à mes yeux, les uns que les autres. Fascinant comme l’est le monde.

Mais plus encore que par ces multiples intérêts, voir même sont fait d’être le dernier pays africain de mon voyage et au vu du contexte de son apparition dans ce périple, le Maroc fut avant tout une géniale transition. Transition entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe d’où je viens.

Une transition autant culturelle que climatique ou matérielle, puisqu’ici j’ai redécouvert la neige autant que l’avancée des saisons (de l’hiver à l’été dans mon cas) et le rallongement marqué des jours, j’ai officiellement quitté les trophiques mais aussi profité d’un développement matériel global difficilement comparable avec celui vécu sous les trophiques africaines et redécouvert une organisation sociale relativement proche de celles connues en Europe sans compter sur l’agriculture et l’architecture qui, en certaines régions, rappellent grandement celles du pourtour méditerranéen.

Il est vrai que les pays d’Afrique du nord ont la particularité d’avoir, à mes yeux, deux « facettes ». Geographiquement parlant, c’est indiscutable, ils sont en Afrique. Pourtant l’énorme Sahara, plus grand désert chaud au monde, à marqué durant des siècles une barrière difficilement franchissable entre l’Afrique du nord et le reste du continent. Ainsi les échanges commerciaux, par-exemple, furent largement supérieur entre Europe et Afrique du nord qu’entre Afrique du nord et subsaharienne, la méditerranée étant un obstacle bien moindre que ne peut l’être le Sahara. Le climat qui sévit entre le Sahara et la méditerranée est bien plus proche de l’Europe du sud que de l’Afrique subsaharienne. Il est fait de 4 saisons, les jours se rallongent et se raccourcissent et, en conséquence, la société s’organise différemment par rapport à ces changements. Et si c’est toujours en Afrique que je me trouve, depuis près de 100 jours et 5’000 kilomètres il est vrai que c’est une Afrique bien différente avec laquelle j’ai vécu et partagé.

Une Afrique magnifique aux multiples facettes. Mais en plongeant dans les petites vallées du moyen Atlas ma route virevolte entre lac et montagnes alors qu’une étouffante canicule, dès la fin de matinée, vient m’ecraser littéralement, me scotchant à la route à chacune des incessantes montées qu’offrent cette région du monde.

Entre forêt de cèdres et de pins, je trouve parfois mon réconfort dans une petite rivière se faufilant parmi les buissons fleurit dont le rose contraste avec le scintillement extrême de ce soleil de juin. Et, parfois, lorsque le timing est le bon, m’égare à l’ombre d’un café, profitant d’un jus de fruit maison devant un match du mondial.

Tranquillement mais sûrement, la méditerranée se rapproche. Seule quelques détours, toujours (il y a tant à voir et rencontrer) et la douceur de vivre me retienne encore un peu. Et sous le doux regard insistant des coquelicots qui contraste forcément avec la « douleur caniculaire » des ascensions, sans que je ne puisse rien y faire ni contrôler, mon esprit se tourne peu à peu vers une autre partie du monde: l’Europe.

Mais mon esprit, cet esprit qui vit là les derniers jours de cette « transition Afro-europeenne », s’habille sans cesse de multiples visage. De la mélancolie à la joie, de l’excitation à l’appréhension. De la fatigue à l’euphorie, du désir à la satiété. Un million de choses dont je n’ai trouvé mots dans aucune langue, aucune, afin de les décrire.

Car si voyager en Afrique fut un challenge à plus d’un titre, un challenge avant tout humain, mettre mots et phrases sur ce ressenti là est toujours un véritable casse-tête. Casse-tête comme je les aime. Trouver le mot juste et idéal, le placer au bon moment, écrire ce vaste bal, cet infini présent. Pondre quelque chose, un mot qui tombe et qui s’assoit là, qui devient rose qui marche au pas.

Qui s’efface puis se récrit. Qui m’agace comme on dit. Puis recommencer jusqu’au mot suivant, la prochaine phase. Pour, finalement, se satisfaire de cette phrase.

La poser sur le papier, la partager au « monde entier », que ces quelques mots, d’un peu, attendrissent ce départ: « Ce n’est pas un adieu. C’est juste un au revoir »…

Olivier Rochat