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Derniers kilomètres en Afrique

Km 61’227, Ksar Sghir, Maroc.

Mercredi 4 juillet 2018, j’ai rejoint la méditerranée. Puis, dès le lendemain, le détroit de Gibraltar et mon point final du continent africain: Tanger.
Aujourd’hui, je me repose dans cette même Tanger.

Le départ est imminent, un de ces jours probablement.

Voici un texte écrit à 40 km de Tanger. Peut-être le dernier que je vous partage depuis le continent africain.

Mais pas de crainte on se retrouve de l’autre côté, en Andalousie. Bientôt…

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« Aujourd’hui règne comme une odeur de fin sur la côte sud du détroit de Gibraltar.. Mon dernier jour de route sur le continent africain. Après 55’318 kilomètres, les 40 kilomètres qui me sépare de Tanger sont une distance que j’ai parcouru plus de 1’382 fois en Afrique.

Et après 1’310 jours en Afrique, les quelques heures qui me sépare de cette même Tanger formeraient l’équivalent d’une dizaine de secondes par rapport à une journée de 24 heures. Sur une distance de 1’000 kilomètres, à proportion gardée, ces 40 kilomètres ne seraient que 720… mètres.

Des miettes.

Des miettes qui, pourtant, me saisissent l’esprit comme rarement. Sur les bords de la méditerranée je vis là mes derniers instants sur le continent africain. Intense, ils sont les derniers d’une aventure fascinante qui m’a mené aux 4 coins du continent africain. Qui m’a mené, parfois, au bout de moi même. Mais toujours proche des gens. De ces cultures à la fois si rude et accueillante, dont l’ordre et la structure sont bien souvent régie par des logiques qui différent des miennes.

Une Afrique qui m’a longtemps fait rêver. Qui m’a beaucoup testé. Et que j’ai appris, de jour en jour, à aimer. Au point de ne plus vouloir la quitter, la regarder avec le regret de partir et, déjà, l’envie de revenir. Car malgré l’excitation que me procure l’approche des retrouvailles avec les miens, ma culture et mon pays, c’est avec le cœur noué que j’ai sobrement rejoint la méditerranée, hier, avant de me glisser dès aujourd’hui sur les côtes du détroit de Gibraltar. Balayé par le vent comme rarement, sous des bourrasque renversant tables et poubelles, balançant parfois les parasols des plages au milieu d’un sable volant, je m’approche inévitablement de Tanger, mon point de départ du continent africain.

Il me reste quelques heures, une après-midi de route. Quelques côtes en bord de mer. Et le silence de mes pensées qui gigotent puis s’étouffent, qui crient au monde des mots qui n’existent même pas, qui restent coincé là, dans mon esprit silencieux. Dans mes pensées qui s’en vont dans le lointain de cette mer, la méditerranée, où se termine dorénavant mon horizon. Et derrière laquelle se situe mes origines, mon enfance.

Derrière laquelle j’aperçois bientôt les côtes espagnoles qui se dressent comme la terre qu’un marin, en mer depuis 43 mois, aperçois à nouveau. En lui, en moi, ce mélange de joie et d’appréhension, comme si, tu vois, on rentre à la maison.

Mais finalement, à travers ces phrases qui ne sortent pas comme je le voudrais, c’est un sentiment de gratitude qui m’habite, de cette chance d’avoir pu vivre ça, cette reconnaissance envers moi-même de l’avoir choisi, et envers le monde, tout ceux que j’ai croisé, de m’avoir accueilli, de m’avoir partagé. De m’avoir permis. De m’avoir fait Roi malgré mes airs de vagabonds.

De m’avoir offert le toit, ouvert la porte d’une maison.

De m’avoir grandit.

Merci, et à bientôt.

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Olivier « Zitouni » Rochat

Chaouen

Km 61’078, Chefchaouen, Maroc.

À 50 kilomètres de la méditerranée et 100 de l’Espagne, Chefchaouen m’offre une dernière pause sur le continent africain. Un dernier regard bleuté venu casser la nostalgique mélancolie qui accompagne mes pas depuis plusieurs semaines déjà. Un dernier repos, un dernier plaisir, en cette semaine qui devrait, et sera, être la dernière sur le continent africain. Au dernier lundi suit le dernier mardi, au dernier tajine suit un autre dernier, il est presque temps de casser enfin l’ambiance nostalgique qui m’habite, cachant même la tristesse et la joie qu’accompagne ce sentiment partagé d’excitation et d’appréhension, pour enfin franchir la mer, traverser la méditerranée.

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Les maisons y sont, presque toutes, peintes en bleu, offrant une atmosphère particulière

Mais à 600 mètres d’altitude, perché dans les montagnes du Rif, je m’égare dans les rues abruptes de la Médina, la vieille ville, si particulière de « Chaouen ». Les maisons y sont, presque toutes, peintes en bleu, offrant une atmosphère particulière, peut-être unique, à celui qui s’égare dans ces ruelles aux allures de labyrinthes.

Chefchaouen m'offre une dernière pause sur le continent africain.

Chefchaouen m’offre une dernière pause sur le continent africain.

Je me lève à l’aube pour profiter de la quiétude de l’heure (5h30) et m’égarer simplement à travers les ruelles désertes de Chaouen.

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Je me lève à l’aube pour profiter de la quiétude de l’heure (5h30)

Mais ce n’est pas tant pour l’agréable fraîcheur de l’heure, ni pour profiter d’une de ces longues journée débutée avant l’aube, les plus belles à mes yeux, que je me lève ainsi tôt. Non, c’est parce que Chaouen, ses habitants, ses touristes, dorment encore.

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Chaouen, ses habitants, ses touristes, dorment encore.

À cette heure matinale seuls quelques chats traînent dans les ruelles, régnant en maîtres, silencieux et nonchalant, de la Médina. Je m’évade alors de rues en rues, grimpant d’un escalier à l’autre, attendant patiemment que les façades rendue bleus sombre par les instants de l’aube se transforment en bleu ciel sous l’éclat lumineux de l’astre montant qui nous a permis la vie. Et, peu à peu, la vie, justement, refait surface, on se réveille. Une boutique ouvre, puis une femme passe, transportant un énorme sac, un homme qui part aux affaires. Les façades bleutées s’éclaircissent enfin face au soleil montant toujours plus haut dans le ciel.

seuls quelques chats traînent dans les ruelles, régnant en maîtres

seuls quelques chats traînent dans les ruelles, régnant en maîtres

Si le bleu est une couleur, à Chaouen il en est 1000. Des milliers de tons du clair au ciel, rappelant la mer en ces montagnes, qui tournent parfois au violet, ou suis-je trahit par l’ombre de ce vignoble surplombant la rue? Le vert qu’y glisse ses feuilles vient d’un éclat transformer cette ruelle en un tableau, un Van Gogh, un Picasso, et les pots de fleurs, orange, jaune, rouge, viennent apporter encore des traits éclatant à ce festival de couleurs bleuté, cet arc en ciel.

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les pots de fleurs, orange, jaune, rouge, viennent apporter encore des traits éclatant à ce festival de couleurs bleuté, cet arc en ciel.

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Quelques gamins apportent leurs oranges, une table et puis on presse le fruit et se dresse déjà quelques stands de jus d’orange alors qu’en face une porte, toujours bleue, s’ouvre laissant place à différentes formes d’arts locaux.
Mais plus de Choukran ni de Salam pas plus que de Bonjour, on me parle en anglais. Me voici bientôt coincé parmi un groupe de touriste russes s’étalant sur une ruelle entière alors que plus loin ce sont des asiatiques, ma connaissance quasi nulle de ce vaste continent ne me permettant pas de leur donner une nationalité je vais les appeler ainsi, qui prennent d’assaut un escalier. À tour de rôle on se photographie.

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Je m’évade alors de rues en rues, grimpant d’un escalier à l’autre, attendant patiemment que les façades rendue bleus sombre par les instants de l’aube se transforment en bleu ciel sous l’éclat lumineux de l’astre montant qui nous a permis la vie.

 

Le Maroc est de contraste. Dans ses montagnes reculées, l’âne y est encore un moyen de transport. À Chaouen, on fait la queue pour prendre en photo un escalier.

Les rues se remplissent et les chats, qui régnaient en maître il y a une heure encore, se faufilent entre les jambes et les murs, cherchant de la nourriture pour les plus audacieux. Une fuite pour les autres. Ils ne règnent plus en maître en témoigne ce chaton crevé qui gît au sol, comme écrasé par le diable. Tristement peut-être, cela ne me touche guère. Oh je l’aurai bien sauvé, mais il est trop tard. Et bien souvent en Afrique l’Animal, lorsqu’il n’est pas sacré ou utilisé pour le travail, est traité comme le terme qui l’y renvoie, un animal. L’Animal naît animal, et meurt animal. L’Animal est animal. N’en déplaise aux russes qui l’aperçoivent juste après moi.
L’oeuvre, terrible s’il en est, probable d’un scooter, le seul type de véhicule motorisé que j’ai vu circuler dans ces ruelles.

Plus loin une famille de mexicain, si je me fie au maillot que porte le père, se prend en photo devant cette porte décorée où je passe pour la troisième fois au moins alors que l’espagnol, la langue, devance parfois l’anglais. Au fond l’Espagne est s’y proche qu’on peut y venir en week-end depuis les villes du sud de pays et je l’entends résonner souvent dans les discussions qui tournent autour de moi ou lorsqu’un marocain me salue d’un « Hola ».

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Chaouen me semble suffisamment grande et belle pour attirer plein de monde

De Madrid à Tokyo, de Moscou à Mexico, Chaouen à quelques airs d’international lorsque « retentit » midi. Le soleil est maintenant brûlant et les multiples bleus des façades et autres escaliers s’éclaircissent à la lumière de juillet. Les rues abondent de monde et les souks, toujours si vivants et colorés, m’étouffent. Il est temps pour moi de battre en retraite et de retrouver mon auberge et ma chambre, bien marocaine quant à elle. La fraîcheur y est conservée mais l’eau si glacée que j’attendrai le plus chaud du jour pour me rafraîchir.

On m’interpelle quelques fois encore. On me propose un guide, du hachich, sans trop insister. Chaouen me semble suffisamment grande et belle pour attirer plein de monde, mais suffisamment petite pour ne pas s’y perdre et me laisser respirer un minimum.

Je m’égare l’esprit qui, devenu trop subjectif pour m’en apprendre plus, n’insiste guère et me laisse bercer par la douceur qu’est la vie lorsqu’on a le temps de la contempler.

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je me laisse bercer par la douceur qu’est la vie lorsqu’on a le temps de la contempler.

Olivier Rochat

 

Sous le soleil de juin

Km 60’730, Tahla, Maroc.

Ce n’est pas un adieu, c’est juste un au revoir.

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Peu à peu, au rythme qui fut le mien depuis près de 4 années maintenant (ou plutôt « qu’est devenu le mien après… »), mon esprit se tourne inévitablement à ce qui pourrait s’apparenter à la partie la plus délicate d’un voyage au long cours: le retour.

Pourtant la fin de ce voyage à proprement parler me semble loin encore et cette fin là, ce moment si particulier où je retrouverai les  » miens » et poserai mon vélo et le mode de vie qui l’accompagne, autant socialement que matériellement, pour de bon, marquant inévitablement une fin, certes, mais avec elle le début d’autre chose, n’est pas encore d’actualité.

Non depuis quelques jours c’est autre chose qui m’occupe l’esprit : quitter l’Afrique.

Mais il est vrai que depuis mon arrivée au Maroc j’ai fait traîner la chose. À tel point que le Maroc est devenu, aujourd’hui, le premier pays africain dans lequel j’ai pédalé plus de 5’000 km. Il faut dire qu’entre déserts et montagnes le Maroc m’en a mis, constamment, plein la vue et plein les jambes. Et puis, avec une culture riche et intéressante, un peuple accueillant et un coût de la vie assez bas, j’ai bien profité de ce pays où je verrai, bientôt si tout va bien, mon dernier tampon africain orner mon passeport. Ce sera alors le 104ème.

Et dernière « preuve écrite », s’il en faut, de mes entrées et sorties de ces différents territoires africain si fascinant, à mes yeux, les uns que les autres. Fascinant comme l’est le monde.

Mais plus encore que par ces multiples intérêts, voir même sont fait d’être le dernier pays africain de mon voyage et au vu du contexte de son apparition dans ce périple, le Maroc fut avant tout une géniale transition. Transition entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe d’où je viens.

Une transition autant culturelle que climatique ou matérielle, puisqu’ici j’ai redécouvert la neige autant que l’avancée des saisons (de l’hiver à l’été dans mon cas) et le rallongement marqué des jours, j’ai officiellement quitté les trophiques mais aussi profité d’un développement matériel global difficilement comparable avec celui vécu sous les trophiques africaines et redécouvert une organisation sociale relativement proche de celles connues en Europe sans compter sur l’agriculture et l’architecture qui, en certaines régions, rappellent grandement celles du pourtour méditerranéen.

Il est vrai que les pays d’Afrique du nord ont la particularité d’avoir, à mes yeux, deux « facettes ». Geographiquement parlant, c’est indiscutable, ils sont en Afrique. Pourtant l’énorme Sahara, plus grand désert chaud au monde, à marqué durant des siècles une barrière difficilement franchissable entre l’Afrique du nord et le reste du continent. Ainsi les échanges commerciaux, par-exemple, furent largement supérieur entre Europe et Afrique du nord qu’entre Afrique du nord et subsaharienne, la méditerranée étant un obstacle bien moindre que ne peut l’être le Sahara. Le climat qui sévit entre le Sahara et la méditerranée est bien plus proche de l’Europe du sud que de l’Afrique subsaharienne. Il est fait de 4 saisons, les jours se rallongent et se raccourcissent et, en conséquence, la société s’organise différemment par rapport à ces changements. Et si c’est toujours en Afrique que je me trouve, depuis près de 100 jours et 5’000 kilomètres il est vrai que c’est une Afrique bien différente avec laquelle j’ai vécu et partagé.

Une Afrique magnifique aux multiples facettes. Mais en plongeant dans les petites vallées du moyen Atlas ma route virevolte entre lac et montagnes alors qu’une étouffante canicule, dès la fin de matinée, vient m’ecraser littéralement, me scotchant à la route à chacune des incessantes montées qu’offrent cette région du monde.

Entre forêt de cèdres et de pins, je trouve parfois mon réconfort dans une petite rivière se faufilant parmi les buissons fleurit dont le rose contraste avec le scintillement extrême de ce soleil de juin. Et, parfois, lorsque le timing est le bon, m’égare à l’ombre d’un café, profitant d’un jus de fruit maison devant un match du mondial.

Tranquillement mais sûrement, la méditerranée se rapproche. Seule quelques détours, toujours (il y a tant à voir et rencontrer) et la douceur de vivre me retienne encore un peu. Et sous le doux regard insistant des coquelicots qui contraste forcément avec la « douleur caniculaire » des ascensions, sans que je ne puisse rien y faire ni contrôler, mon esprit se tourne peu à peu vers une autre partie du monde: l’Europe.

Mais mon esprit, cet esprit qui vit là les derniers jours de cette « transition Afro-europeenne », s’habille sans cesse de multiples visage. De la mélancolie à la joie, de l’excitation à l’appréhension. De la fatigue à l’euphorie, du désir à la satiété. Un million de choses dont je n’ai trouvé mots dans aucune langue, aucune, afin de les décrire.

Car si voyager en Afrique fut un challenge à plus d’un titre, un challenge avant tout humain, mettre mots et phrases sur ce ressenti là est toujours un véritable casse-tête. Casse-tête comme je les aime. Trouver le mot juste et idéal, le placer au bon moment, écrire ce vaste bal, cet infini présent. Pondre quelque chose, un mot qui tombe et qui s’assoit là, qui devient rose qui marche au pas.

Qui s’efface puis se récrit. Qui m’agace comme on dit. Puis recommencer jusqu’au mot suivant, la prochaine phase. Pour, finalement, se satisfaire de cette phrase.

La poser sur le papier, la partager au « monde entier », que ces quelques mots, d’un peu, attendrissent ce départ: « Ce n’est pas un adieu. C’est juste un au revoir »…

Olivier Rochat

A travers le Haut Atlas

Km 60’384, Zeida, Maroc.

Rude et montagneux, sauvage et intraitable, magnifique pourtant.

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Après 6 jours et près de 450 kilomètres dans le haut atlas, je bascule de l’autre côté des montagnes, laissant derrière moi cette magnifique région du monde.

Et avec elle le Sahara. Pourtant, aux portes de ce dernier, se dresse le Djébel Ayachi, 3’700 mètres d’altitude, dont les derniers névés de neige n’ont pas encore fondu, comme un dernier témoignage du rude hiver qui marqua la région.

le Djébel Ayachi, 3'700 mètres d'altitude, dont les derniers névés de neige n'ont pas encore fondu

le Djébel Ayachi, 3’700 mètres d’altitude, dont les derniers névés de neige n’ont pas encore fondu

Mais c’est bien sous une écrasante canicule que je rejoints, enfin, le moyen Atlas. Mais que ce fût dur sur des pentes incessantes pour près d’une semaine gravissant tour à tour une quinzaine de cols dont la majorité à plus de 2’000 mètres d’altitude, frôlant parfois les 3’000.

je me suis enfoncé dans un Maroc rude, traditionnel et somptueux.

je me suis enfoncé
dans un Maroc rude, traditionnel et somptueux.

Mais qu’elle folie faut-il pour affronter, charger d’eau et de nourriture, de tels montagnes ? De tels monstre où la rudesse de certains de ses habitants semblent témoigner de la rudesse où se déroule la vie sous un tel climat? Où chaque village ou presque semble être séparé de son voisin par un col sinueux, une falaise, un ravin où se glisse, tant bien que mal, une route. Un sentier que l’on parcours à dos d’âne.

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À l’intérieur de gorges étroites où la piste qui y mène est, à de biens nombreux endroits, recouverte des éboulements récents

À 1’000 lieues du modernisme des jours derniers, je me suis enfoncé
dans un Maroc rude, traditionnel et somptueux. À l’intérieur de gorges étroites où la piste qui y mène est, à de biens nombreux endroits, recouverte des éboulements récents, au sommet de plateaux dénués de végétation qu’il me faut atteindre après d’interminables ascensions de plusieurs heures qui se redescendent presque à pied tant la pente est raide.

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À l’intérieur de gorges étroites

Jamais le terrain ne fut plat. Impitoyable. D’un rythme lent, presque celui de l’escargot, je me lance à l’assaut d’une montée intraitable. La route semble vouloir défier la gravité en s’élançant jusqu’au ciel mais, comme cloué à la route, mon chargement me ramène inévitablement à ma si simple et compliquée réalité terrestre. Parfois, il me faut même pousser, plantant mon regard sur le prochain virage en me persuadant d’y arriver. Puis recommencer au suivant, et ainsi jusqu’au sommet du col qui me verra basculer dangereusement de l’autre côté de la montagne.

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Après avoir tant lutté pour gravir cette montagne, il me faut maintenant lutter pour ne pas sombrer dans la descente.

Après avoir tant lutté pour gravir cette montagne, il me faut maintenant lutter pour ne pas sombrer dans la descente. Me voici littéralement aspiré par le centre de la terre. La gravité, cumulée au poids de mon chargement, me tire de toutes ses forces, semble vouloir me dévorer et, cumulant les virages par dizaines, mes freins sont mis à rudes épreuves. À tel point que lors des plus longues descentes, une douleur gênante me tord les doigts, m’obligeant même à m’arrêter brièvement, tant la pression exercée est forte et la douleur intense.

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Enfin, une fois la descente terminée, la pente reprend de plus belle. Le prochain col arrive déjà. Au soir, ce n’est pas mes mains qui seront douloureuses, mais bien mes jambes qui se forgent, peu à peu, à ce dur labeur.

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Le plus rude, peut-être. Le plus beau, certainement.

Pourtant cet univers intraitable est peut-être celui que je préfère. Le plus rude, peut-être. Le plus beau, certainement. Avec ces vallées étroites qui, parfois, se transforment en gorge étroites et caillouteuse, ses petites routes de montagnes où le trafic ne semble vouloir s’y aventurer. Sur certaines routes, je ne croiserai pas une seule voiture sur la journée entière. Seule deux motos et quelques mulets partageront, l’espace d’une brève rencontre, ma route.

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ses petites routes de montagnes où le trafic ne semble vouloir s’y aventurer.

Mais, renforcé par le fait de voyager en période du ramadan, la difficulté sera bien là. En effet, les quelques villages que je croisent semblent tous endormi lorsque je les traversent. Pas un café, pas un restaurant, pas même une boutique pourrait me servir de ravitaillement et la nourriture que je transporte ne sera pas de trop comme, parfois, l’accueil des habitants qui m’invitent à boire le thé, accompagné de quelques dattes, pain et confiture. Un accueil irrégulier qui contraste fortement avec l’agressivité des plus jeunes. « Msieu msieu l’argent l’argent » me lance une petite fille au visage cherchant ma pitié. Parfois, on s’accroche au vélo, cherchant à y prendre une bouteille où quelque chose qui traînerait alors que les plus téméraires me suivent sur plusieurs centaines de mètres, défiant sans vergogne toute forme de politesse. Allant jusqu’à cracher dans leur mains avant de chercher à me serrer la main en guise de salut, certains gosses viennent à tirer sur mes nerfs, bien plus que ne le pourrait n’importe lequel des cols que j’attaque.

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Les quelques villages que je croisent semblent tous endormi lorsque je les traversent.

Au fond, c’est bien deux mondes, deux réalités, qui se croisent comme ce fut le cas si souvent lors de ce périple africain. Pourtant, lorsqu’on me lance un ballon, en pleine traversée d’un village, c’est autour de ce dernier que s’improvise une partie. En cercle, puis en « tas désordré », bien vite rejoint par de jeunes adultes, la balle circule de pieds en tête. En sandale où à pied nu, chacun la renvoie en se prenant pour un Messi de l’Atlas. Autour de ce jeu, deux mondes se rejoignent brièvement pour ne former qu’un. Comme si souvent.

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le mois du ramadan, tout juste terminé, laisse place au mois de la coupe du monde.

Et dans un timing parfait, fruit du hasard, le mois du ramadan, tout juste terminé, laisse place au mois de la coupe du monde.

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Place au Dieu football.

Olivier Rochat

De retour sur la route

Km 59’829, Fqih Ben Salah, Maroc.

Le 5 juin 2018.

Je m’égare à travers la campagne marocaine, laissant l’étouffante ville de Casablanca derrière moi. Place, maintenant, à la tranquillité.

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De collines en collines, village après village, je découvre un nouveau visage, un de plus, à ce Maroc dans lequel j’ai déjà pédalé plus de 4’000 kilomètres.

De collines en collines, village après village, je découvre un nouveau visage, un de plus, à ce Maroc dans lequel j’ai déjà pédalé plus de 4’000 kilomètres. Loin des centres touristiques du pays, à mi-chemin entre montagnes et déserts, je découvre une région qui, sans être aussi spectaculaire que les précédentes, n’en demeurent pas moins agréable et plus encore, accueillante.

Aux chaudes journées de juin succède des nuits glaciales qui, me dit-on, n’ont rien de juin. Glaçantes comme l’est surtout l’hiver, elle me surprennent. Me glacent lors de mes premiers bivouac. M’obligeant même à ressortir mes habits chauds. Je m’emmitoufle alors du mieux que je peux, plongeant au plus profond de ma tente, là où le sac de couchage est bien chaud, après m’être cuisiné un couscous de fortune accompagné d’un thé, quelques biscuits. Il fait déjà bien nuit lorsque je m’enfonce enfin dans ma tente.

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Aux chaudes journées de juin succède des nuits glaciales qui, me dit-on, n’ont rien de juin.

Quelques minutes plus tard, une lampe torche vient se pointer sur moi. Un homme surgit, comme sorti de nulle part.

« De quel pays viens-tu me demande-t-il ? Ne veux-tu pas venir dormir chez moi, j’habite dans la ferme là-bas, derrière le virage ».

« Ah, je viens de Suisse!, lui répondis-je. Il est tard, est-ce que ça pose problème si je dors ici? »

« Non aucun souci. Ici au Maroc tu es en sécurité partout ». Continue t-il avant de me tendre un petit saut à l’intérieur duquel se trouve plusieurs yaourt dont je devine au premier coup d’œil leur fabrication maison.
« Tiens, prends en-un! Ils sont à la vanille ».

Je m’exécute avec plaisir, touché et amusé par cette rencontre, inattendue, avec cet homme qui m’offre à manger sans même que nous puissions clairement voir nos visages respectif. L’homme repart dans la nuit. Je m’endors enfin, avant de me réveiller quelques heures plus tard sous « l’éteincelance » de la (pleine) lune qui a fini par se lever.

Le lendemain, toujours sur les routes de campagne, je découvre un pays qui vit, sans surprise, au rythme du ramadan. Un peu au ralenti le jour, presque en accéléré la nuit.
Aux villages paisible, endormi le matin et doucement éveillé l’après-midi, succèdent les champs. On fait les foins.

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Aux villages paisible, endormi le matin et doucement éveillé l’après-midi, succèdent les champs. On fait les foins.

« Tu peux gagner jusqu’à 5 euros par heure, si tu travaille bien. On te donnera 2 dirhams (20 centimes) par botte. » me propose un homme, un marocain domicilié à Toulouse, venus rendre visite à sa soeur qui habite le village. « On forme des groupes de trois. Le travail commence le soir, se termine au matin. Là journée on dort. C’est comme ça. »

Cela ne me surprend guère. Au contraire, s’en est que plus logique. Effectuer ce travail en pleine journée, par cette chaleur, sans boire n’y manger, serait suicidaire. Mais travailler de nuit alors que je viens de reprendre la route ne m’enchante guère, aussi, je continue mon chemin.

Tout de rouge, les coquelicots égaient ma route qui s’enfile collines les unes après les autres, sans répits ni variation, comme pour me préparer aux montagnes vers lesquelles je m’approche sereinement. Les jambes lourdes car plus habituées aux collines après ces 5 semaines de pauses, j’avance lentement. Mais sereinement.

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Tout de rouge, les coquelicots égaient ma route qui s’enfile collines les unes après les autres, sans répits ni variation

Seule la gentillesse des marocains, qui me proposent parfois à manger en pleine journée malgré le ramadan, me sort brièvement de ma douce avancée. Et parfois me touche au cœur, lorsqu’on m’invite carrément… à l’hôtel. Comme quoi, l’hospitalité n’a pas de limite.

« Je n’ai pas de place chez moi », me dit Rachid qui insiste pour que je me repose ici, dans sa ville. Non content de m’offrir une nuit dans un hôtel, il me surprend quelques dizaines de minutes plus tard en m’apportant un plateau de nourriture dans ma chambre.

Touché par cette hospitalité spontanée, je reprends également des forces à l’entame des montagnes qui s’annoncent et qui, après quelques dizaines de cols encore, m’emmèneront en Espagne.

Mais si les paysages marocains ont longtemps semblé vouloir me retenir encore un peu dans cette Afrique, lorsque ceux-ci sont venus à manquer ce sont les gens qui, me semble-il, ont pris le relais.

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Non content de m’offrir une nuit dans un hôtel, il me surprend quelques dizaines de minutes plus tard en m’apportant un plateau de nourriture dans ma chambre.

Olivier Rochat