Km 60’384, Zeida, Maroc.
Rude et montagneux, sauvage et intraitable, magnifique pourtant.
Après 6 jours et près de 450 kilomètres dans le haut atlas, je bascule de l’autre côté des montagnes, laissant derrière moi cette magnifique région du monde.
Et avec elle le Sahara. Pourtant, aux portes de ce dernier, se dresse le Djébel Ayachi, 3’700 mètres d’altitude, dont les derniers névés de neige n’ont pas encore fondu, comme un dernier témoignage du rude hiver qui marqua la région.
Mais c’est bien sous une écrasante canicule que je rejoints, enfin, le moyen Atlas. Mais que ce fût dur sur des pentes incessantes pour près d’une semaine gravissant tour à tour une quinzaine de cols dont la majorité à plus de 2’000 mètres d’altitude, frôlant parfois les 3’000.
Mais qu’elle folie faut-il pour affronter, charger d’eau et de nourriture, de tels montagnes ? De tels monstre où la rudesse de certains de ses habitants semblent témoigner de la rudesse où se déroule la vie sous un tel climat? Où chaque village ou presque semble être séparé de son voisin par un col sinueux, une falaise, un ravin où se glisse, tant bien que mal, une route. Un sentier que l’on parcours à dos d’âne.
À 1’000 lieues du modernisme des jours derniers, je me suis enfoncé
dans un Maroc rude, traditionnel et somptueux. À l’intérieur de gorges étroites où la piste qui y mène est, à de biens nombreux endroits, recouverte des éboulements récents, au sommet de plateaux dénués de végétation qu’il me faut atteindre après d’interminables ascensions de plusieurs heures qui se redescendent presque à pied tant la pente est raide.
Jamais le terrain ne fut plat. Impitoyable. D’un rythme lent, presque celui de l’escargot, je me lance à l’assaut d’une montée intraitable. La route semble vouloir défier la gravité en s’élançant jusqu’au ciel mais, comme cloué à la route, mon chargement me ramène inévitablement à ma si simple et compliquée réalité terrestre. Parfois, il me faut même pousser, plantant mon regard sur le prochain virage en me persuadant d’y arriver. Puis recommencer au suivant, et ainsi jusqu’au sommet du col qui me verra basculer dangereusement de l’autre côté de la montagne.
Après avoir tant lutté pour gravir cette montagne, il me faut maintenant lutter pour ne pas sombrer dans la descente. Me voici littéralement aspiré par le centre de la terre. La gravité, cumulée au poids de mon chargement, me tire de toutes ses forces, semble vouloir me dévorer et, cumulant les virages par dizaines, mes freins sont mis à rudes épreuves. À tel point que lors des plus longues descentes, une douleur gênante me tord les doigts, m’obligeant même à m’arrêter brièvement, tant la pression exercée est forte et la douleur intense.
Enfin, une fois la descente terminée, la pente reprend de plus belle. Le prochain col arrive déjà. Au soir, ce n’est pas mes mains qui seront douloureuses, mais bien mes jambes qui se forgent, peu à peu, à ce dur labeur.
Pourtant cet univers intraitable est peut-être celui que je préfère. Le plus rude, peut-être. Le plus beau, certainement. Avec ces vallées étroites qui, parfois, se transforment en gorge étroites et caillouteuse, ses petites routes de montagnes où le trafic ne semble vouloir s’y aventurer. Sur certaines routes, je ne croiserai pas une seule voiture sur la journée entière. Seule deux motos et quelques mulets partageront, l’espace d’une brève rencontre, ma route.
Mais, renforcé par le fait de voyager en période du ramadan, la difficulté sera bien là. En effet, les quelques villages que je croisent semblent tous endormi lorsque je les traversent. Pas un café, pas un restaurant, pas même une boutique pourrait me servir de ravitaillement et la nourriture que je transporte ne sera pas de trop comme, parfois, l’accueil des habitants qui m’invitent à boire le thé, accompagné de quelques dattes, pain et confiture. Un accueil irrégulier qui contraste fortement avec l’agressivité des plus jeunes. « Msieu msieu l’argent l’argent » me lance une petite fille au visage cherchant ma pitié. Parfois, on s’accroche au vélo, cherchant à y prendre une bouteille où quelque chose qui traînerait alors que les plus téméraires me suivent sur plusieurs centaines de mètres, défiant sans vergogne toute forme de politesse. Allant jusqu’à cracher dans leur mains avant de chercher à me serrer la main en guise de salut, certains gosses viennent à tirer sur mes nerfs, bien plus que ne le pourrait n’importe lequel des cols que j’attaque.
Au fond, c’est bien deux mondes, deux réalités, qui se croisent comme ce fut le cas si souvent lors de ce périple africain. Pourtant, lorsqu’on me lance un ballon, en pleine traversée d’un village, c’est autour de ce dernier que s’improvise une partie. En cercle, puis en « tas désordré », bien vite rejoint par de jeunes adultes, la balle circule de pieds en tête. En sandale où à pied nu, chacun la renvoie en se prenant pour un Messi de l’Atlas. Autour de ce jeu, deux mondes se rejoignent brièvement pour ne former qu’un. Comme si souvent.
Et dans un timing parfait, fruit du hasard, le mois du ramadan, tout juste terminé, laisse place au mois de la coupe du monde.
Place au Dieu football.
Olivier Rochat