Km 55’013, Nouakchott, Mauritanie.
L’Afrique à vélo, leçon numéro 1: sortir des itinéraires traditionnels.
Je ne vais pas y aller par 4 chemins ces dix premiers jours de route en Mauritanie n’ont pas été beau ou sympathique ni même agréable. Beaucoup plus que ça, ils ont été fabuleux. Accueillant. Venteux. Spectaculaire. Et changeant. Bienvenus, même, tant ils ont apporté un souffle nouveau sur mon périple.
Et cette fois on peut le dire: nous avons quitté l’Afrique noire. Et non sans quelques journées délicieuses longeant le fleuve Sénégal en guise d’adieu. Quittant là la route goudronnée et avec elle le trafic et le contrôle -toujours bienveillant certes- des policiers, nous longeons ainsi le fleuve Sénégal, apercevant, 5 jours après l’avoir quitté, les terres du Sénégal, plus fertiles et « développées », qui émergent sur l’autre rive. Pour la dernière fois.
Une frontière marquante pour un vrai changement
Il faut comprendre que la plupart des frontières d’Afrique ne sont bien souvent ni culturel ni géographique, résultat des colonies qui, il y a environ un siècle, se sont partagé l’Afrique à la manière dont l’on se partage un gâteau d’anniversaire. Encore que les parts -du gâteau- sont généralement plus égales. Ces frontières ne prennent en compte ni les langues ni les ethnies locales. Ces dernières se retrouvent ainsi séparée. À gauche de la frontière on parle le Peul. À droite aussi. Mais une fois à l’école ceux de droites parleront l’anglais, ceux de gauches le français (exemple). Plus tard un passeport éloignera plus encore ce peuple, ou un autre, appartenant aujourd’hui à différentes nations tout en étant, objectivement, le même peuple. Ainsi passer une frontière c’est souvent changer de langues » coloniales », de monnaies, de réseau téléphonique ou de produits de consommation, pour tous résultats « d’importation culturel ». Pourtant, bien souvent, le peuple, la langue locale, reste la même. Les ethnies, les langues, les cultures africaines ne sont si peu prisent en compte dans ce découpage du continent que leurs frontières sont très fictives voire indéfinissable. Les peuples se mélangent, plus encore que les religions qui voient les mosquées pousser en face des églises dans des villages à majorité animistes (!). Le principe de nation tel que nous le connaissons aujourd’hui est un principe aussi récent qu’occidental, pour le moins non-africain. C’est pourquoi, peut-être, l’africain tel que je le vois et vit semble s’identifie d’abord à son continent, l’Afrique, avant de s’identifier à sa nation. Aux yeux du monde, l’africain est bien souvent africain bien avant d’être ivoirien, sénégalais, burundais ou tchadien. Je pense qu’il est avant tout Peul, Yoruba, Massai, Chewa, Sénoufo ou j’en passe. La tribu -ethnie- d’origine compte plus que la nation.
En Mauritanie c’est un peu différent. En tout les cas, ça l’a été pour nous. Pour moi.
La Mauritanie est donc séparée du Sénégal par un fleuve, le fleuve Sénégal. Au sud de ce dernier, le Sénégal, le sahel. Au nord, la Mauritanie, le Sahara. Une frontière géographique, mais culturel également bien que les peul et wolofs, très présents au Sénégal, sont aussi présent en Mauritanie et notamment le long de ce fleuve que nous longeant durant une semaine, ne l’apercevant qu’épisodiquement. Dès que la route nous éloigne du fleuve, les paysages deviennent extrêmement arides, les arbres se raréfient, nous apercevons même nos premières dunes, et les villages sont souvent peuplés de maures vivant dans de grandes tentes pointues, souvent décorées, ressemblant aux nomades.
Lorsque nous replongeons le long du fleuve la végétation augmente, de même que champs et cultures, nous trouvons quelques légumes. Les villages sont construits de magnifiques maisons de terres cuites et peuplés, à grande majorité, de Peul. Nous, nous avons le droit de serrer la main aux femmes.
En quittant la route nationale, nous retrouvons aussi cette campagne si accueillante -et belle- que nous aimons tant. Une piste, bonne, nous mène villages après villages au milieu d’un sahel aride dont la vie, l’eau, tourne essentiellement autour du fleuve Sénégal. Les maisons de terres cuites au fenêtre basse savent rester fraîche même en pleine journée, et les belles mosquées qui les dominent donnent à ces villages un réel attrait, un bonheur pour les yeux.
Au soir, nous demandons à passer la nuit dans un village. Pour ainsi faire et respectant les traditions locales, nous demandons à parler au chef du village. Les enfants, curieux et amusé, nous y mènent. Dès lors la situation sort presque de tout contrôle, les enfants nous communiquant leur joies sans réfléchirs. Ils me baptisent « Neymar », et c’est sous des Neymar! Neymar ! Neymar ! que nous traversons le village. Amusé et un brin taquin, Pedro, en bon madrilène, continue avec un « Hala Madrid » que les enfants reprennent en cœur, et ce jusqu’à ce nous rencontrions enfin le chef du village qui nous accueille en grande pompe, provoquant un attroupement de dizaines et dizaines d’enfants.
Ce soir-là, partagé avec ces villageois dans ce village magnifique bordant le fleuve Sénégal, je le vit, intérieurement parlant, de manière très intense. Très forte. Nous partageons ensemble, comme toujours, le repas. Assis autour d’un grand bol de nourriture, riz, macaronis ou thieboudiène (plat typique sénégalais), plongeant à tour de rôle notre main dans cet énorme bol. En quittant ce village, nous en sommes conscient, nous quittons cette culture là. Nous quittons le sahel. Cette soirée, vécue tant de fois en Afrique noire, sera peut-être la dernière.
A nous le Sahara
En effet, pour rejoindre Nouakchott, la capitale de la Mauritanie, nous empruntons un détour. La plupart des cyclistes rencontrés empruntent la route de la côte, qu’on nous dit ennuyante. Mais en empruntant ce détour de plus de 300 kilomètres à l’intérieur des terre, l’ennui ne sera définitivement pas de la partie. Bien au contraire.
À mesure que nous nous éloignons du fleuve, nous nous rapprochons du Sahara. Ce détour nous permet également de ne pas prendre le vent en pleine face. Il vient du nord-est, nous allons au nord-ouest. Mais plus que ça et bien vite de superbes dunes, spectaculaires et fantastiques, bordent notre route. Les voici qui traversent notre route, goudronnée heureusement, qui foncent sur Nouakchott.
Pour 3 jours nous allons pénétrer l’un des décors les plus spectaculaire que j’ai pu voir directement depuis une route goudronnée. Les villages sont nombreux, parsemés de tentes aux toits -souvent- bleus et maisons souvent colorées. Ils nous facilitent grandement la tâche puisque nous pouvons nous y abriter du vent, nous reposer corps et esprit tout en rencontrant les locaux qui nous invitent souvent à manger.
Les dunes, quant à elles, nous plongent dans un Sahara fantastique. Les buissons qui les habitent parfois nous rappellent au sahel. Les maures qui peuples la région à l’Afrique du nord. La route nationale, jonchée de trous à certains endroits, au danger fréquent des routes africaines. Et les innombrables collines que nous traversons nous apportent vues et difficultés. Je suis éblouis, estomaqué parfois, et je m’avoue me demander parfois outre je suis.
Demeure cette impression aussi prenante qu’incertaine, celle d’avoir changé de monde.
En attaquant le plus grand désert chaud du monde, le Sahara (près de 15 fois la France), nous débutons une partie difficile de notre périple. D’autant plus que nous l’affrontons depuis le sud, alors que le vent vient généralement du nord (plus ou moins). Une partie charnière et inévitable. Une sorte de fantasme pour moi. Ce désert demeure à mes yeux aussi fascinant que certains de ses recoins sont impénétrables.
Sa traversée, pourtant, a débuté de manière éblouissante.
Olivier Rochat