Km 55’311, Akjoujt, Mauritanie.
-Sur la route de l’Adrar-
Traverser le Sahara est une aventure différente , une expérience à part. Aussi mystérieuse que fantastique et difficile. Le Sahara nourrit mes fantasmes depuis longtemps. Il les nourrit toujours aujourd’hui. Et puis ici je ressens toute mon impuissance face aux éléments. Face au vent qui transforme 100 kilomètres en infini. 10 kilomètres en heures. 1 kilomètres en distance. Chaque distance, même la plus petite, en challenge. Mais traverser le Sahara est une chose, y vivre en est une autre. Au fond vivre ici, dans ce climat et cet isolement, c’est un « scandale! » Plus que ça une forme d’héroïsme. Quelle force, quelle folie faut-il avoir pour survivre, des siècles durant, dans ce climat là ? Nous quittons la côte, plate et venteuse, sans réel intérêt pour nous. Direction l’Adrar, une région d’Oasis et de montagnes, dans les profondeurs du Sahara. 400 kilomètres nous en sépare. Une seule ville, Akjoujt, au 2/3 de la route. Tout le monde s’y arrête car c’est le seul endroit où l’on y trouve nourriture, gîte et électricité. 4 jours nous ont été nécessaire pour la rejoindre. 4 jours difficile.
Voici un récit écrit le long de cette route:
« Nous voici embarqué à travers le Sahara, le grand désert. Depuis Nouakchott nous avons retrouvé le plat, la répétition de paysages sans saveurs qui l’accompagnent, pour ne pas dire l’ennui, les distances et le vent.
Pour échapper au vent qui souffle plus fort en journée, nous partons dorénavant bien avant l’aube, alors que la nuit est encore noire et que le froid est piquant. Plus que ça, il me gèle. Comprenez, il doit faire… 8°C. Après 3 ans en Afrique, je le ressens comme un -30…
Je m’habille d’un training bien chaud, d’une paire de gants dégotée au marché de Nouakchott, d’un pull sous lequel j’ai double couche, et mon foulard me protège les oreilles. Seul mes pieds gardent un peu de leur liberté. Peut-être plus pour longtemps. Me reste encore à couvrir ma tête de la capuche de mon pull, et puis je m’en vais, réchauffé d’un café chauffé avec un réchaud à gaz péclotant -le froid bon Dieu- et nourri d’un bol de céréales. Nous débutons la journée les yeux encore mi-fermés mais le cœur déjà bien ouvert à l’inconnu des nuits sahariennes. Le ciel y est d’une beauté sans commune mesure. Les étoiles nous parlent. Et moi, je discute avec elles.
Nous laissons sans grand regret l’abri qui nous a servi de nuit, généralement une tente nomade, parfois de rencontre-s également. Les rencontres justement sont souvent rude, sans réel politesse. Au milieu de nulle part vivent quelques nomades qui font paîtres leurs bien courageux chameaux à une bosse. Leurs dromadaires. Parfois ces derniers sont accompagnés de chèvres ou de moutons alors que quelques chiens rôdent. Bien souvent sans être allé à l’école, enfermé dans un vaste infini, le Sahara, les nomades qui les accompagnent ne parlent pas le français et nos quelques mots de langues locales, ils ont l’air de ne pas les comprendre. Entrer en communication avec eux demeure un challenge certain à l’issue incertaine. Mais en ont-t-ils réellement envie ? Difficile à dire. Ils ont d’autres choses à faire, certainement. Ou plutôt non justement, que font-ils, ici, assis au milieu de nulle part? Que sommes nous pour eux, si ce n’est ce mot, « l’argent », que nous lancent celui-ci, d’un sourire trahissant ses dents jaunies par le sucre du thé qu’on boit tant par ici? De l’argent !!!? Ici !!?? Mais pour quoi faire !??? Le néant ne s’achète pas! Ne se vend pas. Enfin, je crois. Ils seraient riche, bien plus même que Donald Trump, si c’était le cas.
Leur réalité me dépasse autant qu’elle me fascine. Je les respecte pour leur mode de vie, car il demeure au milieu d’un climat qui compte parmi les plus rude de la planète. Ce respect est profond, sincère et teinté de fascination, plus encore d’administration. Comme oubliés du reste du monde, ils sont ce que je ne serai jamais. Tout en étant bien plus que ce que je suis et n’ai jamais été. Pourtant je ne les aimes pas tant. Enfin, un peu quand même. Et si ce n’est par leurs manières, c’est par leur force, leur authenticité, que je les aime. Nous essayons, pourtant, de communiquer avec eux. Sans jamais y parvenir. Ou si peu là encore. Ils nous parlent dans leur langue, visiblement le Hassani, sans avoir l’air de comprendre que nous ne comprenons rien de ce qu’ils disent. Ils insistent, persistent et signent. Mais c’est un peu réciproque. Même notre nom, ils n’ont l’air de le comprendre. La distance qui nous sépare me semble grande comme l’est le Sahara et Dieu que l’Afrique noire me semble loin, avec ses sourires et toute sa vie, dans ce vaste infini.
Pourtant, toujours, ils finiront par nous offrir le thé, par séries de trois tasses, et même souvent à manger. Du riz, du couscous ou un mélange de pain écrasé avec une sauce accompagnée de viande de dromadaires. Les légumes n’existent pas ici. Eux non plus ne survivent à ce monde là. Cette nourriture nourrit le corps, c’est vrai, mais Dieu qu’elle est rude.
Pourtant c’est sans conteste le climat qui est le plus rude. Il est encore bien plus rude que le plus rude des nomades.
Seul les matins -et les soirées parfois- nous sont plus doux, sauf par le froid qui nous glace. Oui car le vent y dort, lui. Il est grand temps de partir. Débuter la route.
La nuit nous offre tout son infini, elle aussi. Aveugle des yeux, l’imagination n’en est que plus renforcée. Les lumières rouge des antennes téléphoniques scintillent au loin. Pendant plusieurs dizaines de minutes, nous les apercevons, petits points rouge au fond de la nuit. Parfois c’est un phare qui brille au loin, comme une étoile. Celui d’un véhicule. Il brille au fond de cette ligne droite. Il est si lointain qu’il nous faut bien dix minutes, parfois plus, pour comprendre qu’il bouge, qu’il s’approche. Puis finalement devient deux, s’accompagne d’un bruit de moteur, cligne deux fois pour nous saluer avant de nous passer lentement. C’est un gros camion. Puis le noir, l’inconnu et l’imagination reprennent leurs droits, parfois accompagné d’une lumière rouge, celle de la prochaine antennes téléphonique qui nous accompagne pour la prochaine demi-heure. La nuit est encore longue mais finalement, au bout de quelques dizaines de minutes ou quelques heures, suivant notre heure de départ (entre 2 heures et 6 heures du matin), nous apercevons l’horizon qui, d’une légère teinte orangée dominant le fond du ciel, change peu à peu. Le soleil s’approche. Les étoiles se taisent. C’est à leur tour de dormir. Dommage. Elles me racontaient des histoires. Des poèmes.
Déjà nous distinguons les premiers buissons, au son d’une voiture qui passe. Nous avançons vite et, bientôt, j’aperçois les chiffres de mon compteur: 23 kilomètres ce matin. Un rien. Nous sommes parti tard et le Sahara est si grand. Le soleil s’approche encore. L’orange du soleil qui arrive prend de plus en plus de place à l’horizon. Le noir du ciel passe au bleu marine d’un fond de mer. Le ciel se couvre de couleurs et si le néant nous entoure, le paradis semble quant à lui nous surplomber.
Il fait déjà jour depuis un bon moment lorsqu’enfin le soleil se décide à surgir de l’horizon, boule brillante, à droite -l’est- de notre route. Paradoxalement les températures baissent encore, pour atteindre peu de temps après leurs paroxysme en négatif. Il fait froid. Une trentaine de minutes plus tard, la courbe s’inverse enfin. Le soleil brille au ciel, nous éblouit. Nous apercevons maintenant ce vaste infini. L’horizon est partout et seuls quelques buissons lui résiste un peu, survivant ici et là, nous rappelant à quel point la nature est fantastique. Miraculeuse. Les antennes téléphonique, souvent distantes d’une quinzaine de kilomètres l’une de l’autre, rythmes toujours notre avancée.
Lorsque nous les apercevons, nous avons l’impression d’être tout proche. De pouvoir y arriver rapidement. Ce n’est pas tant le réseau qu’elles sont sensées offrir qui nous intéresse. Ce dernier, de toute manière, est souvent misérable. Sinon inexistant. C’est plutôt l’abri qu’elles nous offrent que nous recherchons, tel un phare en pleine tempête océanique. Un gardien y vit, parfois accompagné de sa famille. Vivant dans une tente, accompagné de chèvres, moutons et/ou chameaux, parfois d’un chien ou d’un chat respirant la solitude à plein nez, tous passent leur journée à attendre. Attendre. Et attendre encore. Ici attendre est une activité à part entière.
Mais parfois c’est jusqu’à quinze kilomètres qui nous en sépare. Le terrain est si plat, si vide, que mettre une distance sur quelque chose en face de nous est un réel challenge. Nous sommes en mer, en fait. L’eau y est de sable comme les vagues y sont de dunes. Ces antennes se dressent en face de nous tel le phare du marin, nous pensons y arriver bientôt, mais pendant plusieurs kilomètres elles semblent garder la même taille, la même insignifiance teintée d’espoir, comme si elles aussi bougeaient avec nous. Comme si l’horizon bougeait lui aussi.
L’infini est rude. Il n’est jamais fini. C’est là toute sa rudesse. Il est si libre qu’il en devient prison. Nous, nous sommes prisonniers de notre liberté. Et suffisamment libre pour comprendre notre impuissance face à cette nature là. Pour la vivre aussi. Une impuissance teintée de solitude. La patience comme seul vertu. Ici, nous ne sommes qu’un grain de sable. Nous sommes redevenu poussière. La bonne nouvelle, c’est que nous l’avons toujours été, poussière. Nous en reprenons simplement conscience.
Et lorsque le vent se lève il est 8 heures, parfois 9 heures ou à peine plus. Et il a faim. Comme toujours. Ce matin il a même deux proies. Vite, il attaque! De plus en plus fort. Avec certitude et violence. Nous nous sentons chassés, humiliés, par ce vent qui balaie le désert et seul une folie philosophique me rappelle que ce n’est point lui qui va contre moi. C’est moi qui vais contre lui. Dans les faits il n’a qu’une direction depuis plusieurs jours. Elle est l’inverse à la nôtre (nord-est pour nous), mais parfois, lorsque la route esquisse un léger changement de direction, il nous frappe de côté, nous violentant, comme s’il essayait de nous pousser au milieu de la route. Nous voici coquille de noix au milieu de l’océan, ou bien grain de sable au milieu du Sahara, c’est selon. Nous luttons maintenant contre le vent pour avancer, mais aussi pour garder notre ligne. Éviter, aussi, de se prendre un camion. Bien vite nous diminuons notre rythme tout en augmentant nos efforts. Le sable est maintenant propulsé en pleine route. Il dessine des vagues ici et là, parfois nous bouffe jusqu’à la gueule. Seul un mur semble pouvoir l’arrêter. Il pénètre partout. Chaque orifice, quel qu’il soit, est transpercé par le sable. Ainsi l’enfer débute. Ainsi l’enfer nous ouvre sa porte. Nous ouvre sa gueule. Pour nous, il est temps de se reposer.
Alors nous visons la prochaine antenne qui se dresse en face de nous, tout en refusant de savoir qu’il nous faudra 45 minutes, peut-être 1 heure, pour l’atteindre. Pour mourir enfin. Ou vivre c’est selon. Et mieux renaître une fois le vent tombé, ce soir ou demain. On ne sait pas. Il nous faut attendre. Car il n’y a qu’en patience, comme me le rappelle sagement Pedro, que nous pourrons dompter le vent avant qu’il nous dompte lui. Si nous ne voulons pas finir en squelettes séchés, fou ou suicidaire, il va nous falloir gérer. Attendre l’accalmie. Et s’y lancer. Repartir au bon moment. Comme le phénix renaît de ces cendres.
Une heure en enfer plus tard, l’antenne a bien grossi. Nous l’atteignons. Il est temps de se protéger, respirer.
La tente qui borde l’antenne est vide. Devons nous y entrer ? Nous entrons. Nous verrons bien. Je suis sûr que le gardien comprendra, après tout c’est encore l’Afrique ici. Les gens sont plus compréhensibles que par chez moi. Ils n’ont pas peur de l’étranger. Et puis dans ce vide là les rencontres sont si rares qu’il ne faut pas les perdres. Elles comptent double. Oui c’est décidé, nous entrons!
À l’intérieur, le vent ne passe plus. Nous l’entendons juste crier, taper à la porte, puis repartir. Nous trouvons là un abri, un véritable oasis. Et l’enfer n’y entre pas. Il reste dehors.
Il est temps de s’asseoir. D’attendre. Et mourir enfin. Mourir en écoutant le vent qui nous chante son opéra. Son Beethoven. C’est qu’il est en forme aujourd’hui. Il se prend pour Eminem mais a la justesse d’un Mozart. La folie aussi. Les notes partent et reviennent, teintée de sable et d’inspiration. C’est qu’il chante fort, le vent. Mais il chante juste. Et ne semble vouloir se calmer. Je l’entends qui chante un Requiem, comme pour nous ordonner « d’arrêter ou mourir ». Ce n’est pas une question. Dorénavant l’arrêt n’est plus une option, c’est une nécessité. Le vent ne pose pas de question. Il impose des réponses.thomas wiesel thomas
Le temps, quant à lui, s’arrête enfin. Nous attendons. Des heures durant. Sans savoir, ni espérer, quand nous repartirons.
Seul quelques mots traînent.
Ils me disent comme tu es belle. Comme je t’aime. Toujours plus. Pi que tu me manque. Toujours plus. Et ce bien au-delà d’un quelconque infini.
Oui. Que je t’aime.
Et le vent n’y peut rien… »
Olivier Rochat