Km 55’785, Nouadhibou, Mauritanie.
Après une semaine magnifique dans l’Adrar, région magnifique du Sahara mauritanien, nous avons quitté cette endroit particulier avec un chemin tout autant particulier: sur le toit d’un train. Un chemin de fer, transportant du fer, qui nous aura arraché aux griffes de l’Adrar pour nous ramener sur la côte. Bref, du fer à toutes les sauces.
Ville au milieu de nulle part
Un seul commun semble lier toute les villes du monde entre elles : l’eau. Forcément, l’eau c’est la vie. Toutes les grandes villes de notre monde se retrouvent toujours un point en commun: elles sont construites autour d’un point d’eau. Fleuve ou lac, mer ou océan, oasis… L’eau c’est la vie, et la vie se déplace à l’eau
Toutes ? Non, pas vraiment. En effet quelques exceptions viennent changer la donne. Quelques villes sans accès direct à de l’eau potable ou ports commerciaux. Mais ces villes ne se retrouvent pas loin des eaux par hasard, quelques choses a bien du pousser les Hommes à venir s’y installer. Quelque chose de bien plus précieux aux yeux de certains : les richesses du sol. Or ou diamant, gaz ou pétrole, fer, beauxite, coltan ou j’en passe. Ces richesses ont parfois poussé les Hommes à venir vivre dans des zones impensable, pour ne pas dire invivable, dans les zones comptant parmi les plus arides, froides ou chaude du monde où, sans ces richesses, un Homme ne ferait que passer. Il ne serait qu’un voyageur. Un nomade. Pas un sédentaire.
Johannesburg est, à ma connaissance, la plus grande ville de notre monde éloignée de tout point d’eau. Située à plusieurs centaines de kilomètres des côtes les plus proches sur un plateau aride (1’700 mètres d’altitude), Johannesburg ne doit son puissant développement qu’à une raison: la découverte d’or, en 1886. Avant cela, ce n’était qu’un petit village insignifiant. Un hameau. Aujourd’hui, par son agglomération, Johannesburg est la 3ème ville la plus peuplée d’Afrique. Sans accès, aucun, à de l’eau potable car traversée d’aucun cours d’eau, l’acheminement de son eau y est très complexe puisque l’eau consommée par les habitants vient même d’un pays voisin situé au cœur des montagnes: le Lesotho.
Le chemin de fer
Mais j’ai laissé l’Afrique du Sud derrière moi voici près de 2 ans. Retournons donc au Sahara. Plus précisément en Mauritanie, dans les profondeurs du Sahara. Là où les villes minières côtoient les oasis.
Nous sommes au bout de nos peines, pensons-nous, lorsque nous atteignons Atar, au cœur de l’Adrar mauritanien. 120 kilomètres, tous goudronné, nous séparent encore de Choum, un village isolé où s’arrête un train mythique, parfois cité comme le plus long du monde. Nous nous y rendons car ce train est notre seul porte de sortie envisageable pour rejoindre le Maroc. En nous enfonçant plus au nord, pas de frontière ouverte et un conflit vieux de 40 ans: celui du Sahara occidental, pays dont l’indépendance n’est reconnue que par une trentaine de pays, ancienne colonie espagnole aujourd’hui appartenant au Maroc. Une seule frontière est ouverte, le long de la côte. Aucune route praticable à vélo relie cette région à la côte, il nous faudrait revenir à Nouakchott pour remonter le pays par la côte. Un détour de quelques 500 kilomètres environs pour un trajet total de 1’000 kilomètres.
Pour éviter cet énorme détour pas de route, donc, mais un train. Plus que ça, un train qui relie Nouadhibou, capitale économique de la Mauritanie en plein « boum », à Zoueratt, ville minière au cœur du Sahara. Près de 700 kilomètres et prêt d’un jour de voyage sépare les deux villes par ce train long de presque 3 kilomètres qui transporte chaque jour d’énormes quantité de minerai de fer. Entre deux, un village où le train s’arrête, Choum, notre Terminus.
La route de Choum nous offre encore quelques beaux panoramas ainsi qu’un couché de soleil époustouflant. Mais pas grand chose à signaler, c’est donc sans grande difficulté que nous atteignons la gare ferroviaire de Choum où les adolescents, pénibles et insistants, se montrent désagréable, presque agressif. Mais, comme bien souvent, notre bonne étoile nous accompagne… « Le train pour Nouadhibou arrive en fin d’après-midi » nous indique Sheba du haut de son 4X4, « venez-vous reposez chez moi! ».
Chez Sheba, nous trouvons là un confort inespéré. Fraîcheur, électricité et nourritures, toujours accompagné de thés, l’après-midi se veut agréable et inespérée. À l’abri des regards insistants des adolescents, nous profitons d’un peu de calme avant le long voyage en train qui va nous arracher à ce monde spectaculaire que fût l’Adrar pour nous déposer, une quinzaine d’heures plus tard si tout va bien, sur les côtes de l’Atlantique. Dans un autre monde, à l’entame du Sahara occidental, loin des canyons et des oasis, où le vent n’est freiné par rien ni personne.
Finalement c’est bien après la tombée de la nuit, après 21 heures, que le train arrive. Interminable, le train relie chaque jour Nouadhibou à Zoueratt où il se charge de minerais de fer qu’il ramène le lendemain à Nouadhibou. Les deux trains fonctionnant quotidiennement permettent le passage d’un train par jour dans chaque direction. Au bout du train un wagon est destiné aux voyageurs qui, moyennant 2’500 ouguyas (6 euros), peuvent effectuer le voyage dans un confort très rustique. N’importe qui est également autoriser à voyager gratuitement en grimpant directement dans les wagons de minerai, vide en partant de Nouadhibou mais plein dans l’autre sens, soit le nôtre. Mais ces derniers se devront de s’adapter aux conditions du jour, à son chargement. Vide dans un sens. Conséquent dans l’autre. Fatigué, nous décidons de prendre la première option et d’éviter ainsi le froid de la nuit, la poussière dégagée par le fer, espérant dormir un peu. Du moins, nous le pensons.
Un long crissement accompagne cette petite lumière qui marque l’entrée du train en gare.
« Derrière la gendarmerie, tout au fond du train, c’est là que se trouve le wagon des passagers. Mais il faut faire vite, l’arrêt du train est bref ! » nous indique Sheba. Nous nous exécutons, pédalant à contresens du train qui ralentit gentiment. Un homme en uniforme vert militaire nous arrête. Visiblement un douanier. Je lui indique vouloir monter dans le train. « Oui oui, c’est de l’autre côté ! » continue t’il. « Comment ça c’est de l’autre côté, on nous a dit derrière la gendarmerie ». « Oui c’est de l’autre côté insiste-t-il dans un français qu’il ne maîtrise pas bien (mais bien mieux que notre arabe respectif, on est d’accord). Bon, nous repartons dans l’autre sens, à toute vitesse cette fois. Le train s’arrête. Il faut faire vite. Un policier nous arrête à son tour. « Nous cherchons le wagon des passagers ». « Les passagers !??? Mais c’est de l’autre côté ! ». Soit à potentiellement plusieurs kilomètres de là. Le stress s’installe, nous repartons dans l’autre sens, longeant la voie de près. Des hommes chargent ici et là des marchandises en haut de ces wagons chargés de minerai. Mais où est-il ce foutu wagon ??? Vite vite!
Quelques injures volent.
Nous continuons vers le fond du train mais trop tard, nous n’avons plus le temps, le train va partir. « On monte sur les minerai! » me crie Pedro. Il a raison, c’est sûr!!! À la hâte, en panique plutôt, on enlève nos sacoches dans un désordre criant poussé par ce stress profond. Nos bagages tombent du vélos. L’une après l’autre, nous montons les sacoches, les derniers bagages, les bouteilles d’eau ! Il faut monter le tout en haut des wagons, à 3 mètres du sol, s’agrippant comme on peut ici et là, essayant d’aller vite sans se casser la figure. Puis redescendre. Attraper le maximum de choses, les monter en s’agrippant toujours comme on peut, jeter le tout dans le wagon, soit sur les minerais. Et redescendre encore. Vite vite ! Si le train part maintenant nos vélos resterons à quai ! VITE! Et dans un dernier effort, transpirant, nous posons -jetons- nos vélos sur les minerai de fer. Ouf tout y es!!! On vérifie, rien ne manque ! Il était temps…
Mais le train ne part pas.
Enfin, pas tout de suite. Une voiture passe même lentement le long du train, histoire de vérifier que tout est prêt pour le départ. « Hey là-haut! C’est bon ? » nous lance un homme. Une dizaine de minutes se sont passées. Nous aurions eu le temps. Imbécile ! Je suis un imbécile ! J’en rigole mais finit par répondre « Oui oui, c’est bon! » La voiture continue sa ronde, puis s’éloigne de la voie. Un instant plus tard, le train s’ébranle. Il part. Il quitte Choum, nous quittons l’Adrar. Assis sur quelques tonnes de fer extraites du Sahara. Une bâche est installée dans un coin du wagon, couvrant tant bien que mal une partie des minerais. Une fine couche de poussière de fer, grise, la recouvre ici et là. Quelques dizaines de cartons de dattes sont aussi du voyage. Provenance : Algérie. Et c’est ainsi, entre dattes algériennes et fer mauritanien, que nous nous enfonçons dans la nuit saharienne.
Malgré ce que j’ai souvent lu le train n’avance pas si mal, bien plus vite que les rares trains que j’ai aperçu jusqu’ici en Afrique. Certes, on est loin d’un train européen. Mais de manière régulière, toutes les 2 à 5 minutes peut-être, il lance une « violente » secousse, un gros BOUM qui vient ajouter un peu de rudesse au voyage. La poussière de fer est maintenant propulsée en l’air, plus encore que par l’air et le mouvement du train. Nos sacs, nos vélos, nos habits puis nous mêmes sommes gentiment -mais inévitablement- recouvert de cette fine poussière. Les oreilles, les cheveux, les yeux, tout y passe. On se protège mais ça ne suffit pas. Les dents, elles aussi, n’y échappent pas. Dès lors l’odeur du fer me gagne, le goût aussi. Et il me faudra plus d’une douche et plus d’un jour pour la perdre. Une odeur, un goût, que je ne suis pas sûr de pouvoir oublier un jour. Pas qu’il soit si désagréable en soit. Mais peut-être si particulier.
Ainsi sur le chemin de fer, entouré de fer, recouvert de fer, nous nous enfonçons dans le vaste infini saharien que nous n’apercevrons qu’au matin. La fraîcheur s’installe, devient piquante. Il va falloir s’y…faire! Enfoncé dans mon sac de couchage, capuche fermée après un dernier regards aux étoiles brillantes ce soir, à la demi-Lune qui les accompagnent, je plonge dans un sommeil qui ne sera jamais profond. Pas autant, c’est sûr, que peut l’être le Sahara. Le grand désert.
Bien conscient que ce soir-là j’ai bouffé du fer comme jamais. Suffisamment, peut-être, pour les 40 prochaines années. Mais les souvenirs de l’Adrar, ses paysages si photogénique, l’accueil reçu, puis cet arrachement brutal et « ferrique » de ce monde féerique, ne s’effaceront jamais. Un sourire intérieur contemple mon visage gribouillé de cette poussière grise. Et mes cheveux (très) sales n’y changeront rien. Gavroche, ce sourire là est simple et authentique. Celui d’une Afrique qui me mène aux larmes intérieures, égoïstement, rien qu’à cette pensée: la quitter.
Difficilement mais heureux, je m’endors enfin. Le wagon de fer nous emporte à travers la nuit. Tout en les traversant, nous quittons peu à peu les profondeurs du Sahara.
Olivier Rochat