Km 54’367, Keur Macène, Mauritanie.
Voici un récit de mes derniers jours de route au Sénégal et de mon arrivée en Mauritanie. Écrit le 27 janvier 2018.
C’est avec un brin de nostalgie que j’ai quitté le pays de la Teranga, le Sénégal. Ces derniers jours y auront été délicieux et agréable, tout en gardant un peu de leur rudesse. Mais plus que jamais, jusqu’au dernier jour, le pays de la Teranga (Teranga=accueil, hospitalité) n’aura aussi bien porté son nom que durant cette dernière semaine, passée entièrement avec Pedro. Chaque nuit, en demandant au chef du village, nous sommes bien accueilli. Nourri à foison, invité à boire le thé ou le si important café Touba. Chaque jour nous rencontrons des sénégalais parlant espagnol qui partagent volontiers la discussion avec Pedro. Je les regardes sans vraiment les écouter. Enfin si. Mais sans les comprendre. Ce qui s’en rapproche grandement. L’accueil aura donc été royal et seul les pistes, parfois bosselées, souvent venteuse et par moment horriblement sableuse, nous auront apporté ce brin de rudesse que, au final, nous aimons tant.
Les innombrables épineux du Sahel auront contribué à cette rudesse. Record battu avec 6 crevaisons en 1 seule journée. Le tout sur une piste tellement sableuses que parcourir 5 kilomètres nous aura pris plusieurs heures.
Entrecoupée, certes, de cette indescriptible Teranga, symbole premier – selon moi – de l’Afrique de l’ouest, lorsque nous sommes invités à manger dans un village. Un premier plat arrive. Nous avons très faim. Il est suffisant. Mais vient le deuxième. Impossible de le terminer. Vient ensuite le troisième plat. Il faut goûter. Nous goûtons. Et trois autre plats suivront. 6 plats pour deux, de la nourriture pour 15 personnes offertes à deux étrangers, record battu là aussi. Et après on nous dit que l’Afrique ne mange pas à sa faim… Nous avons failli exploser.
C’est ainsi, dans un accueil total, que nous avons rejoint le fleuve Sénégal. Fleuve qui sépare le Sénégal de la Mauritanie. Et, d’une certaine manière, l’Afrique noire de l’Afrique du nord. Ou pas vraiment. Mais un peu quand même.
En quittant l’Afrique noire
En effet la Mauritanie est un pays bien particulier. D’une superficie deux fois supérieure à celle de la France, il n’est peuplé que de 3,7 millions d’habitants, dont beaucoup de sénégalais venus y travailler. De fait, avec à peine 3,5 habitants au kilomètres carré il est le troisième pays le moins densément peuplé d’Afrique, après la Namibie et le Botswana. Partagé entre le Sahel, au sud, et le Sahara, dans sa majeure partie, le pays s’étend sur plus d’un million de kilomètres carrés, allant des côtes atlantiques à l’ouest, au Sénégal, au sud, puis jusqu’au dunes du Sahara bordant le Mali et l’Algérie.
La Mauritanie fait encore partie -politiquement en tout les cas- de l’Afrique de l’ouest. Pourtant sa culture l’y éloigne beaucoup alors que sa géographie la rapproche plus de l’Afrique du nord. Cette dernière ne vas d’ailleurs pas sans me rappeler le Soudan d’il y a 3 ans, partagé entre Sahel et Sahara lui aussi – mais à l’est du continent – énorme territoire dont certains recoins demeurent parmi les plus chauds et sec au monde (Wadi Halfa, au Soudan, est cité par certains comme le deuxième lieu habité le plus sec au monde après un village chilien – moyenne annuelle de …0,0 mm de pluie – Dongola, ville nubienne elle aussi, comme la ville la plus ensoleillée du monde -plus de 4’000 heures de soleil par an). Pays que j’appelle parfois « pays tampon », celui qui permet de passer de l’Afrique arabe à l’Afrique noire. Les pays au nord bordent la méditerranée. Au sud la forêt tropicale. Ni Afrique subsaharienne ni Afrique du nord. Ou peut-être un peu des deux à la fois.
C’est aussi un pays dont on me questionne souvent au vu de sa sécurité, là encore comme ce fût le cas au Soudan. S’il est vrai qu’une partie du pays est certainement instable et dangereuse, plus particulièrement lorsque l’on est blanc – c’est à dire une cible de choix, qui se revend à bon prix- la partie ouest, longeant l’Atlantique, est beaucoup plus abordable et sous contrôle policier.
Nous entrons par la petite frontière de Diama, que l’on nous a dit beaucoup moins « bordélique » que la terrible Rosso. En effet nous ne nous sommes pas trompés, les formalités de visa sont obtenues sans difficultés ni tentatives de corruptions, au prix indiqué, soit 55 euros pour une durée de 1 mois. Les gens nous laissent tranquille. Presque trop facile.
Dès lors, longeant le fleuve Sénégal mais de l’autre côté cette fois, côté mauritanien, nous entrons en République Islamique de Mauritanie.
Dès la première ville, Keur Macène, nous apercevons un premier choc culturel, si j’ose. Les Maures, les riches commerçants, peuples arabes vêtus de bleu et blanc que nous apercevions régulièrement depuis deux jours déjà, se mélangent – sans vraiment se mélanger – aux noires, les ouvriers. Une nouvelle Afrique débute. L’Afrique arabe pointe son nez, sans pour autant que l’Afrique noire ne soit réellement terminée. Le Sahara se rapproche également, amenant avec lui un changement brutal et fantastique à la fois. Un fantasme de gosse pour moi. Celui des grands espaces et du désert aux nuits fraîches et étoilées et aux journées chaudes et venteuses.
Et puis le muezzin fait maintenant partie à part entière du quotidien, bien qu’il m’accompagne régulièrement depuis plusieurs semaines déjà. Chaque matin nous nous réveillons à son son qui nous surprendra encore à tout moment du jour. L’islam semble avoir définitivement pris le pas sur toute tentative de « déviance morale ». Il semble régler la société d’une main de maître. Alcool et cigarette ont cette fois disparu de tous lieux public, comme remplacés par le thé et la prière. Les contrôles de polices sont aussi du quotidien. Mais jusqu’ici beaucoup plus bureaucratique que de mauvaise fois, ils ne viennent en rien ternir cette nouvelle étape fascinante qui me plonge soudain dans une nostalgie certaine. Celle de l’Afrique noire que je laisse derrière moi. Ici la religion semble réglée au millimètre près. Paradoxe certain tant la société semble désorganisée. Les détritus jonchent les rues, les plastiques s’embrochent sur les épineux, les animaux morts pourrissent au milieu des rues, bref, « tout » semble traîner sans que cela ne gène personne. La prière, elle, semble organisée au millimètre près.
Pourtant, en me plongeant vers cette autre Afrique, je ne peux que me sentir empli de joie et de bonheur. De curiosité également. Un changement radical est en train d’opérer. Il est aujourd’hui inévitable et, plus que ça, il a déjà commencé. Après 3 années entières en Afrique subsaharienne, une page se tourne. Et avec cette autre qui s’ouvre, je ne peux nier ce retour qui s’approche à grand pas. Cette Europe qui est juste là. À la fois si proche et si loin, rendue insaisissable par le Sahara qui m’en sépare. Et puis si malsaine par cette situation terrible et honteuse de notre époque: ce Sahara que je m’apprête à traverser par plaisir, quoi qu’on en dise, c’est le même que des milliers, marchandés comme du bétail, traversent par fuite. Celle des espoirs nouveaux. Pour ne pas dire désespoir tout court. Celle des migrants qui coûtent cher ». Trop, peut-être, quand on n’a pas la bonne couleur de peau pour « s’attaquer » à des états corrompus, eux, par l’ultra compétivité qui règne en premières religions dans ces mêmes états dit laïque et de droits, bien plus souvent de droite. États moralisateur aux possibles. Un comble profond au vu de leur démocratie grandement dépendantes d’États dictatoriaux ainsi que d’un simple regard sur l’histoire. Sur notre histoire. Qui est la « leur » également.
Ne l’oublions pas.
Olivier Rochat