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En Guinée-Bissau

Km 52’939, Quebo, Guinée-Bissau.

Pendant 10 jours j’ai découvert certaines des routes de la Guinée-Bissau, petit pays d’Afrique de l’ouest.

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Un pays où il me fut difficile de réellement me « plonger » dans sa population et la culture qui l’accompagne, tel que je l’avais fait notamment au Burkina Faso, en Côte-d’Ivoire et en Guinée, trois « pays coup de cœur » et surtout par sa population accueillante et colorée, toujours bienveillante et souriant la vie.

Sauf qu’ici en Guinée-Bissau on parle le portuguais, héritage colonial. Héritage également ressenti dans certains village ou ville, dont le centre est parfois construit d’anciens bâtiments colonial souvent abandonné, au mieux repeint. Bien sûr, le portugais est une langue relativement proche du français. Et même si ça ne l’était pas, il n’appartiendrait qu’à moi de l’apprendre. Qui plus est de nombreux bissau-guinéen parlent un peu le français ou l’anglais. Parfois ce sont des guinéens francophone travaillant ici que je croise mais les discussions restent très limitée, sans compter l’énorme différence culturel qui nous sépare, comme dans le reste de l’Afrique subsaharienne. Différence qui, je l’avoue, empêche bien souvent des discussions allant plus loin que de simples questions d’origines, de prénoms, d’âge ou de raison de voyager.

 

C’est donc un peu plus en « retrait » que je m’égare dans la campagne de ce petit pays d’une taille inférieur à celle de la Suisse.

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les pistes tantôt sableuses, bonnes, puis caillouteuse, où je croise quelques villages isolés

 

Les passages goudronnés viennent après les pistes tantôt sableuses, bonnes, puis caillouteuse, où je croise quelques villages isolés et, presque systématiquement, sans le moindre petit commerce, cafétéria ou autre. Au mieux une pastèque, vendue par un vieil homme au bord de la route, me rafraîchira pour un moment. Je ne suis pas à plaindre, c’est certain.

 

Malgré cette difficulté linguistique, difficulté relative certes mais qui me donne l’impression de voyager nu tant l’usage de la parole est important ici dans cette Afrique rurale -une « non-salutation » est vue comme une insulte, une provocation, et dans chaque village l’étranger est censé se présenter-, je fais de belles rencontres et notamment avec Issufi qui a beaucoup voyagé en Europe et notamment en Suisse qu’il connaît bien. Partageant le repas puis passant la nuit chez lui, je peux enfin laisser « sortir les mots », jusqu’ici coincé quelques part en bouche mais retenu, au moment de sortir, par le fait qu’ici, bien souvent, personne ne les comprends.

je fais de belles rencontres et notamment avec Issufi qui a beaucoup voyagé en Europe

je fais de belles rencontres et notamment avec Issufi qui a beaucoup voyagé en Europe

Plus loin c’est Idriss, un jeune Sierra-Leonais qui m’invite chez lui après que l’un des deux drapeaux que j’accroche -sans réelle raison- au devant de mon vélo, drapeau Sierra-Leonais et libériens, l’a interpellé. Modeste, il vit dans une chambre à peine plus grande que son lit, comme c’est souvent le cas dans les villes, mais mon matelas à suffisamment de place pour se glisser confortablement derrière ce dernier. Idriss passe le plus clair de son temps au marché à réparer tout types d’appareil électronique pour survivre. Mais dans un pays où le chômage est probablement plus proche des 100% que des 50%, la vie reste simple et peu diversifiées, chacun survivant du mieux qu’il peut avec ce lointain mais certain rêve en toile de fonds pour la majorité des gens: l’Europe. L‘Europe, la belle Europe, là où la vie est si belle et douce, si riche et si géniale, comme aime à me le rappeler le généreux Idriss dans peut-être la moitié des phrases qu’il m’offre. Suivent ces discussions sans queues ni tête où j’essaie d’expliquer quelque chose à quelqu’un qui, visiblement, ne veut ni ne peut comprendre, et que je ne comprends probablement pas moi-même. L’Europe vue de l’Afrique m’apparaît bien souvent comme une « exoplanète en zone habitable  » doit l’être aux yeux d’un scientifique cherchant à trouver une vie extraterrestre dans l’univers. On vit que pour ça, au point d’en oublier que jusqu’à preuve du contraire, il n’y a que chez nous, sur notre belle petite planète que la vie habite. Que la vie se passe. Que la vie vit.

Mais la critique est bien facile, surtout d’un type « venant d’ailleurs », parti « vivre ailleurs », un ailleurs qu’il ne fait que traverser et dont l’impact sur les communautés qu’il découvre est quasi nulle, au mieux souvenir, au pire oublié. Parfois un tantinet amélioré, si j’ose, par les quelques dollars qu’il laisse derrière lui. Ils nourriront une bouche pour un ou deux ou repas. À peine plus.

Finalement je laisse Idriss derrière moi après quelques beaux matchs de foot regardé, puis reprant ma route zigzaguant du nord au sud, puis du sud au nord, dans ce bien petit pays.

C’est au sud-est du pays que j’ai trouvé mon bonheur, le long du parc national de Dulombi-Boe. Sur les pistes forcément. Ces bonnes vieilles pistes d’Afrique de l’ouest souvent défoncée, au trous de la taille de mon vélo, aux nombreux passages caillouteux avant de me mettre à pousser dans le sable, porter mon vélo pour traverser des rivières sans pont ni pirogues puis me retrouver sur un fin sentier où l’herbe dépasse allègrement ma taille et dont la rosée matinale, venue se déposer à grosses gouttes sur chacun des milliers de bruns d’herbes qui me « fouettent, me trempe littéralement. Le genre de pistes qu’une fois dessus, tu n’essaies que de quitter. Et qu’une fois derrière toi, de retrouver.

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l’herbe dépasse allègrement ma taille et dont la rosée matinale, venue se déposer à grosses gouttes sur chacun des milliers de bruns d’herbes qui me « fouettent, me trempe littéralement.

Un cauchemar pour les habitants du coin. Un paradis pour les voyageurs en guise de découvertes loin des grands axes routiers ou touristiques de notre monde. Oui, c’est égoïste.

Mais ne faut-il pas l’être un peu, égoïste, pour partager mots et photos depuis un téléphone portable qui, inévitablement, d’une manière ou d’une autre, contribue par sa seule création, via l’exploitation minière et meurtrière du Coltan, au massacre de centaines de milliers de personnes à l’est du grand Congo? Ne faut-il pas l’être, égoïste, pour lire et regarder ces mêmes mots et images sur ce même putain de téléphone ? Ne faut-il pas l’être, égoïste, pour accepter, ou choisir, de vivre heureux dans ce monde-là? Celui du permanent « fait ce que j’dis, mais pas ce que j’fais! », d’un monde où, dirait-on, les lois ont pris le pas sur les responsabilités, alors que ces mêmes lois ont été mise en place par des irresponsables… Ne faut-il pas l’être, égoïste, pour fermer les yeux sur toute la misère du monde, plutôt que de les ouvrir et d’en être triste, et plus égoïste encore, au point de risquer le suicide à chaque coin de rue?

Un paradis pour les voyageurs en guise de découvertes loin des grands axes routiers ou touristiques de notre monde. Oui, c'est égoïste.

Un paradis pour les voyageurs en guise de découvertes loin des grands axes routiers ou touristiques de notre monde. Oui, c’est égoïste.

Toujours est-il que ma route, égoïste, s’enfonce dans une forêt de plus en plus dense, où je traverse plusieurs petites rivières. Les villages n’apparaissent plus depuis longtemps le long de cette route qui, bien souvent, est recouverte de branche et de feuille, alors que le ciel m’est caché par ces mêmes branches et feuilles pas encore tombée.

dans une forêt de plus en plus dense, où je traverse plusieurs petites rivières.

dans une forêt de plus en plus dense, où je traverse plusieurs petites rivières.

Soudain, une branche, bien qu’immobile, me paraît trop  » zigzaguante », trop noir aussi. Je m’arrête avant de devoir lui rouler dessus pour passer. Là voici qu’elle bouge, levant sa tête au bout de laquelle son petit regard myope est effrayant par sa langue fourchue qui en sort, un peu comme si elle cherchait à embrasser l’air. Je ne me suis pas trompé, c’est un serpent. Et comme à chaque fois, comme la dernière fois, comme la prochaine fois, j’en sursaute.

Je pense à reculer, mais ne le fais pas. Je m’arrête simplement. Le voici qui me regarde, son cou se dresse, habité d’une force musculaire impressionnante, puis se « gonfle ».. C’est UN COBRA!

Je ne pense maintenant plus à reculer, je le fait. Je détale même. Et quand je me retourne, je suis bien content qu’il ne me suive pas, certains cobra étant réputé pour « chasser » un homme à une vitesse pouvant atteindre les 20 km/h. Il ne me suit pas, mais me fixe, la tête au haut du sol et le cou gonflé pour impressionner son adversaire. Et autant le dire tout de suite: ça fonctionne. Mais rapidement il disparaît dans les bois. Considérant que je les ai eu un jour, je reprends mes esprits puis ma route, un trio de phacochère m’offre un énième sursaut, avant qu’un caméléon vienne illuminer ce début d’après-midi.

Un caméléon vient illuminer ce début d'après-midi.

Un caméléon vient illuminer ce début d’après-midi.

Je retrouve le goudron, me voici au sud du pays. J’essaie tant bien que mal de quitter mon égoïsme, décidant de passer le reste de ma journée ici, où l’on me donne un petit entrepôt ou je déploie ma tente. Les mots manques certes un peu mais l’accueil, lui, est toujours là, comme en témoigne ce plat de riz que l’on m’offre. Comme on offre ici, toujours ou presque, à l’étranger qui ne fait pas que passer. Puis le Real Madrid tappe Séville par 5 buts à 0, Mbappe marque un but après une course folle de 60 mètres et tue le match qui se termine par une nouvelle victoire pour le PSG sous les cris de joie des adolescents présents. On éteint le générateur. Il est tôt mais je suis fatigué. Donc, d’une certaine manière, il est tard.

Égoïste, je vais me reposer, attendant patiemment que le sommeil veuille bien me faire une petite place. Me partager un peu son quotidien.

attendant patiemment que le sommeil veuille bien me faire une petite place. Me partager un peu son quotidien.

attendant patiemment que le sommeil veuille bien me faire une petite place. Me partager un peu son quotidien.

Olivier Rochat

Pas à pas (3 ans en Afrique)

Km 51’743, Farim, Guinée-Bissau.

Le 3 décembre 2017 a marqué ma fin de ma 3ème année en Afrique. 3 ans pour 30 pays, 45’000 kilomètres et des souvenirs pleins la tête dont les plus anciens me renvoient à l’Égypte.

Durant ces 3 ans mon regard sur le monde, l’Afrique, mais aussi « ma » petite Suisse et moi-même a beaucoup changé. Ce qui m’était nouveau, choquant voir extraordinaire à mes débuts en Afrique m’est aujourd’hui devenu bien souvent familier, banal voir inintéressant.

Lorsque ma mère est venu me rendre visite au Togo, en avril dernier, elle posait pied en Afrique pour la toute première fois. Lorsque nous sortions en taxi brousse à la découverte du pays, l’une des premières choses qu’elle me soulignait, c’était les gens marchant le long de la route, et parfois pour plusieurs kilomètres, chargé d’eau, de nourritures, de bagages et/ou d’enfants, le tout en pleins soleil.

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Pendant des siècles et des siècles et jusqu’à récemment, l’Afrique s’est construite, développée, battue, en marchant. Aujourd’hui encore la marche, bien plus qu’un sport, est un moyen de transport largement utilisé dans nombreuses région du continent. Souvent le moins dangereux…

Pour ma part, je vais franchir ce cap imprévu avec quelques mots, une poésie, écrite voici 16 mois le long des routes zambienne, alors en Afrique australe. Il me reste encore à vous remercier, vous tous qui m’avez hébergé, soutenu, aidé, tendu la main -enfin le portefeuille- lorsque mon vélo s’est brisé, offert un café, une main de bananes, un thé, une bouteille d’eau, un sourire, une pensée, un verbe, un adjectif, un proverbe, une idée, quelque chose…

Poétiquement

Farim, Guinée Bissau, le 4 décembre 2017

PAS À PAS

Aux lumières du ciel, à
À la tombée de la nuit
D’un pas presque éternel
Au parfum d’infini

Sur les chemins de goudrons,
Les sentiers de boues,
Dans un sable mouvant,
Et sans la moindre roue.

À la vitesse de ton pas
De ce pas machinal
Je t’aperçois tu t’en vas
Sous une chaleur infernale.

Sur la tête tu transportes
Un bidon rempli d’eau,
Ou des sacs en kilos
C’est l’Afrique que tu portes.

Hier on nous disait
Qu’inférieur tu étais
Et qu’on me pardonne
On t’appelait « Nègre, le sous-homme »

Un moins que rien
Appauvri puis aidé
Eternel immigré
Celui qu’on appelle Africain(e)

Parce que de tes mains
Ni de Rome ni d’Athènes,
De Venise où l’on s’aime
« Tout ça » n’est pas africain.

Mais dis-moi, est-ce que la grandeur
C’est de se dire supérieur ?
Et de construire des palais
Pour y cacher nos imparfaits ?

Moi tu sais d’où je viens,
Les moustiques ne tuent point
Mais les gens passent leur vie au galop
Et s’étouffent avec des trop…

Le suicide est commun
Les égos sont vitaux
Nous sommes tous des chacun
Et face au monde nous parlons trop

Lorsqu’un soldat meurt
Pour des jours on le pleure
Mais le civil qu’il a tué
Même mort reste immigré

Aujourd’hui encore, l’occident te regarde
Il te pille crée des guerres
Puis il revient il prend garde
Il se prend pour ta mère

A pied nu au goudron,
Aux sentiers, sables mouvants,
Je te vois, infini,
Marcher de jour jusqu’à la nuit

L’occident semble n’y voir que faiblesse
Mais lui sous ton soleil sécherait sans sagesse,
Apeuré par sa propre image
Il aime à te dire: sauvage

Tristesse

Il en oublie ce qui t’appartient
Mais qui ne lui appartiendra jamais
Ce qui fait ton chemin, ton destin
Ce qui fait qui tu es…

A la vitesse de ton pas
De ce pas africain
Je t’aperçois tu t’en vas
Il paraît que tu n’as rien

Que richesse n’est tienne
Et que sous tes cieux
Il n’y a que guerre qui vienne
Que seul famine brille dans le fond de tes yeux

Mais c’est oublier
Oublier ce qui t’appartient
Ce que tu as toujours possédé
C’est le Temps qui est tient

Car le Temps t’appartient
Tu sais je le sais je le vois avec lui tu t’en vas
Tu le prends par la main

Ce Temps, Ennemi de l’Homme Blanc
Dépendant du temps qu’il projette
Qui oublie que le Temps ne se vend
Par conséquent ne s’achète…

A pied nu au goudron,
Aux sentiers, émouvant,
Je te vois, infini,
Marcher de jour jusqu’à la nuit

A la vitesse de ton pas
De ce pas africain
Je t’aperçois tu t’en vas
Aussi calme que serein

Sur la tête tu transportes
Un bidon rempli d’eau
Un bébé dans ton dos
C’est la vie que tu portes

Et le Temps dans la main
C’est le Temps qui est tient
Car le Temps est à Toi
L’Occident, lui, ne l’a pas…

A la vitesse de ton pas
Je t’aperçois tu t’en vas

Pas à pas tu poursuis ton chemin
Pas à pas tu construis ton destin

Et le temps avec toi
Car le temps est en toi
Le temps est ton toit

Pas à pas…

Olivier Rochat