Km 51’743, Farim, Guinée-Bissau.
Le 3 décembre 2017 a marqué ma fin de ma 3ème année en Afrique. 3 ans pour 30 pays, 45’000 kilomètres et des souvenirs pleins la tête dont les plus anciens me renvoient à l’Égypte.
Durant ces 3 ans mon regard sur le monde, l’Afrique, mais aussi « ma » petite Suisse et moi-même a beaucoup changé. Ce qui m’était nouveau, choquant voir extraordinaire à mes débuts en Afrique m’est aujourd’hui devenu bien souvent familier, banal voir inintéressant.
Lorsque ma mère est venu me rendre visite au Togo, en avril dernier, elle posait pied en Afrique pour la toute première fois. Lorsque nous sortions en taxi brousse à la découverte du pays, l’une des premières choses qu’elle me soulignait, c’était les gens marchant le long de la route, et parfois pour plusieurs kilomètres, chargé d’eau, de nourritures, de bagages et/ou d’enfants, le tout en pleins soleil.
Pendant des siècles et des siècles et jusqu’à récemment, l’Afrique s’est construite, développée, battue, en marchant. Aujourd’hui encore la marche, bien plus qu’un sport, est un moyen de transport largement utilisé dans nombreuses région du continent. Souvent le moins dangereux…
Pour ma part, je vais franchir ce cap imprévu avec quelques mots, une poésie, écrite voici 16 mois le long des routes zambienne, alors en Afrique australe. Il me reste encore à vous remercier, vous tous qui m’avez hébergé, soutenu, aidé, tendu la main -enfin le portefeuille- lorsque mon vélo s’est brisé, offert un café, une main de bananes, un thé, une bouteille d’eau, un sourire, une pensée, un verbe, un adjectif, un proverbe, une idée, quelque chose…
Poétiquement
Farim, Guinée Bissau, le 4 décembre 2017
PAS À PAS
Aux lumières du ciel, à
À la tombée de la nuit
D’un pas presque éternel
Au parfum d’infini
Sur les chemins de goudrons,
Les sentiers de boues,
Dans un sable mouvant,
Et sans la moindre roue.
À la vitesse de ton pas
De ce pas machinal
Je t’aperçois tu t’en vas
Sous une chaleur infernale.
Sur la tête tu transportes
Un bidon rempli d’eau,
Ou des sacs en kilos
C’est l’Afrique que tu portes.
Hier on nous disait
Qu’inférieur tu étais
Et qu’on me pardonne
On t’appelait « Nègre, le sous-homme »
Un moins que rien
Appauvri puis aidé
Eternel immigré
Celui qu’on appelle Africain(e)
Parce que de tes mains
Ni de Rome ni d’Athènes,
De Venise où l’on s’aime
« Tout ça » n’est pas africain.
Mais dis-moi, est-ce que la grandeur
C’est de se dire supérieur ?
Et de construire des palais
Pour y cacher nos imparfaits ?
Moi tu sais d’où je viens,
Les moustiques ne tuent point
Mais les gens passent leur vie au galop
Et s’étouffent avec des trop…
Le suicide est commun
Les égos sont vitaux
Nous sommes tous des chacun
Et face au monde nous parlons trop
Lorsqu’un soldat meurt
Pour des jours on le pleure
Mais le civil qu’il a tué
Même mort reste immigré
Aujourd’hui encore, l’occident te regarde
Il te pille crée des guerres
Puis il revient il prend garde
Il se prend pour ta mère
A pied nu au goudron,
Aux sentiers, sables mouvants,
Je te vois, infini,
Marcher de jour jusqu’à la nuit
L’occident semble n’y voir que faiblesse
Mais lui sous ton soleil sécherait sans sagesse,
Apeuré par sa propre image
Il aime à te dire: sauvage
Tristesse
Il en oublie ce qui t’appartient
Mais qui ne lui appartiendra jamais
Ce qui fait ton chemin, ton destin
Ce qui fait qui tu es…
A la vitesse de ton pas
De ce pas africain
Je t’aperçois tu t’en vas
Il paraît que tu n’as rien
Que richesse n’est tienne
Et que sous tes cieux
Il n’y a que guerre qui vienne
Que seul famine brille dans le fond de tes yeux
Mais c’est oublier
Oublier ce qui t’appartient
Ce que tu as toujours possédé
C’est le Temps qui est tient
Car le Temps t’appartient
Tu sais je le sais je le vois avec lui tu t’en vas
Tu le prends par la main
Ce Temps, Ennemi de l’Homme Blanc
Dépendant du temps qu’il projette
Qui oublie que le Temps ne se vend
Par conséquent ne s’achète…
A pied nu au goudron,
Aux sentiers, émouvant,
Je te vois, infini,
Marcher de jour jusqu’à la nuit
A la vitesse de ton pas
De ce pas africain
Je t’aperçois tu t’en vas
Aussi calme que serein
Sur la tête tu transportes
Un bidon rempli d’eau
Un bébé dans ton dos
C’est la vie que tu portes
Et le Temps dans la main
C’est le Temps qui est tient
Car le Temps est à Toi
L’Occident, lui, ne l’a pas…
A la vitesse de ton pas
Je t’aperçois tu t’en vas
Pas à pas tu poursuis ton chemin
Pas à pas tu construis ton destin
Et le temps avec toi
Car le temps est en toi
Le temps est ton toit
Pas à pas…
Olivier Rochat