Km 13’747, Fort Portal, Ouganda
Cela fait un moment qu’il avait disparu de mes pédales, ainsi c’est le premier de l’année seulement mais le 4ème du nom, : voici, enfin, le retour en grande pompe du Cri de l’animal. Le regard bestial, le pas banal, pour une rencontre pas banal bien que bestiale: celle de deux bêtes. Souviens-toi! Il y eu, dans un autre monde, une autre époque (même pas 6 mois en fait) le cri du chien errant. En Bulgarie, déjà, il pleuvait. Puis vint le cri du chat vexé, turque de surcroît. Pauvre bête. Enfin, d’un regard plus égyptien, il y eu le cri du Chameau écrit Chamaux car porteur de coups porteur de maux sur toute sa peau. Moi je le mis en mot avant qu’il me mette pièce. Puis l’animal, à travers le désert et les hauts plateaux, resta à terre. Tué, violenté, dans ce continent qui n’aime pas la pitié. Mais aujourd’hui, sous la pluie à nouveau, l’animal vivant est de retour. Il est ressuscité: voici le cri du Baboon pour une rencontre, celle du babouin et de moi, ou de la bête et du bête. Encore une fois…
Me voici en Afrique centrale
Je me dirigeais gentiment, humide, trempé presque énervé en direction de l’ouest de l’Ouganda. La forêt devenait vierge et ma route presque vierge de sens à me demander mais au fond qu’est ce que fous là? Sous cette pluie grotesque dans ce pays magnifique qui parfois me rappelle l’Irlande par sa verdure, parfois la Jungle par ses forêts et juste un peu plus loin les Alpes par ses montagnes… C’est bien joli mais ça serait quand même mieux à la télévision non?
Oui les Parcs Nationaux sont encore loin, il pleut… mais au fond qu’est ce que j’fous là? Trop de question sur mon temps qui s’en va! pensais-je, quand soudain je le vis. Je vis la bête. Au début je la cru bête mais je suis comme ça alors je la vis belle. C’était maintenant la rencontre du bête et de la belle.
De plus, même belle la bête était dix ou quelque chose comme ça je sais pas j’ai pas compté. Dix Baboons en face de moi, posé là, sur cette route principale au travers de tout principe. Les dix (je sais pas exactement combien j’ai pas compté) à me contempler et venir me renifler. Pas de bol, je venais de m’acheter un paquet de biscuit. Le Baboon, en tant que belle, sent ça, sent le paquet de biscuit ouvert et bien caché dans mon sac et sans hésiter vient me le rappeler. Pas bête la bête.
Il gratte, je le regarde dans les yeux. Le Baboon est bête, mais la bête est belle. Bref, je m’arrête. J’aime bien les belles et je sais pas si c’est « il » ou « elle ». Peu importe. J’observe. J’admire. C’est comme au zoo, mais sans les barreaux… Et là si j’veux toucher ça tient qu’à moi. Mais je touche pas j’veux pas gêner, la bête est trop belle pour être touchée par un bête. J’observe. J’admire. Je mitraille…
Le cul haut, très haut, aussi le Baboon reste assis là, très bas. Puis se lève, petit sur son dos qui tombe et s’accroche au bas du ventre de Madame. Madame Baboon s’en va, pas à pas, je sais pas vraiment où. Elle marche au milieu de la route. Avec son cul incroyablement laid, rouge et plissé, à faire fuir ceux qui auraient l’esprit mal tourné. Sauf monsieur Baboon qui à voir les petits qui sont là aiment ça (c’est bien le seul à l’aimer ce cul là).
Pas de bol passe un camion. Enorme bête créé par les bêtes et qui n’a pas l’intention de s’arrêter. Il passe, vite. Mais Baboon ne bouge pas. Le camion passe. Passe. Passe. Puis dépasse Baboon qui ne bouge pas, même frôlé par l’énorme bête, ce camion lancé à vive allure. Mais Baboon n’a pas peur, Baboon est ici comme chat est chez moi, peut-être un peu moins paresseux. Mais à l’aise quand même, pas effrayé pour si peu, pas effrayé par les hommes. Même s’ils sont plus bêtes qu’elle.
Alors je remonte sur ma bête, enfin sur mon Cargo quoi, qui pour l’occasion était resté en contrebas. J’admire la belle une dernière fois en espérant qu’elle reste bête et meure dans la forêt. Car l’espoir fait vivre. L’humain est là… je reprends mon chemin, regarde partir Baboon au fond des bois. Madame devant monsieur, le cul haut, très haut. Rouge et laid à faire fuir les curieux mais pas Monsieur.
Goodluck
Enfin je reviens sur Terre. Je quitte la lune, plus de Baboon, plus de bête. Sauf moi. Toi. Et le reste de l’humanité. Celle qu’on dit humaine mais qui n’a d’humain que ce que l’on veut bien. Le nègre est toujours là. A quelques km de là c’est le Congo… Des millions de morts, beaucoup de maux. Mais si peu de mots dans les journaux. Même noir le président habite toujours la maison blanche. C’est écrit noir sur blanc depuis la nuit des temps mais même la nuit c’est le blanc qui prédomine.
Mais hier soir tant pis même blanc j’ai dormi chez l’habitant. Un habitant qui, c’est con, n’avait pas d’habitation. Il s’appelait Goodluck. Pas d’maman, pas d’papa. Un orphelin, un de plus. Alors lorsque je lui ai expliqué que mes kms sont parrainé pour venir en aide aux orphelins du Togo, il m’a aidé. Il m’a aimé. Il a espéré à travers moi. Oui, un orphelin qui n’a rien, pas d’maison, pas d’maman, pas d’papa, pas d’futur – et que dire du passé – qui travaille juste pour quelques dollars par mois, mais qui m’offre un toit. Et lorsqu’il se pointe chez moi… eh ben je lui crache dessus, parce-qu’il vient salir mes rues, salir mon trottoir, salir mon estime de moi…
Au fond j’aurai mieux de fait de rester sur la Lune à photographier mes babouins, non?
Oui! Car si tu t’appelles Goodluck c’est certainement parce que tu en as birn besoin. Et ici tout le monde pourrait s’appeler Goodluck…Mais tout le monde s’en fout…
Olivier Rochat