Km 10744, Mersa, Ethiopie.
Les gamins d’Ethiopie reste, pour tout cycliste qui s’aventure en Ethiopie, une aventure en soit.
Depuis mon arrivée en Ethiopie, voici déjà deux semaines, je découvre un pays magnifique. Magnifique certes mais pauvre certainement. La misère est quotidienne ici et les gamins, m’apercevant, ne se font pas prier pour me courir après et me demander de l’argent avec leur Money! Money! incessant. Parfois ils s’écrient youyouyou ou alors Farenje. Ce qui signifie étranger. De temps en temps, je leur donne un crayon, un caramel ou un ballon. Ensemble c’est alors quelques instants émouvants, la rencontre de deux mondes. Mais il arrive que les plus teigneux me lancent des cailloux et me poursuivent sur plusieurs kilomètres avec une énergie démentielle. S’en est devenu très fatiguant. Plus fatiguant que les routes pentues de l’Ethiopie certainement. Et puis J’ai aussi reçu une tomate et un coup de pied. Ainsi les gamins d’Ethiopie restent, pour tout cycliste qui s’aventure en Ethiopie, une aventure en soit. Mais pas que… Pour moi j’en ressors ce texte. Parce que le gamin, qu’il soit riche ou rien, c’est notre avenir. Notre demain…
Parce que le gamin, qu’il soit riche ou rien, c’est notre avenir. Notre demain… Gamin de rien. Celui d’Ethiopie. Gamin éthiopien. Celui qui crie. Moins que rien. A me balancer misère ces cailloux quand il me voit passer. A me crier « youyouyou », comme bébé j’pleurais alors devant biberon. Dans la misère de son être, pieds nus, t-shirt troué, shirt troué, le gamin de rien, l’humanité il n’y a pas droit. Quand il me voit, il me court après. Car moi je suis le Farenje. Je suis l’étranger, celui qui ne fait que passer. Celui qui vient de loin, qui va loin et qui écris pour exister. Et pédale pour s’exiler. Qui veut vendre du rêve. Car sa vie ? N’a aucun sens…
Oui je suis le Farenje. Je suis le blanc. Et lui, c’est le gamin de rien. Il est Black. Le gamin d’Ethiopie.
Je pourrais le haïr. Je pourrais le taper. Je pourrais le voir laid. Il n’en est rien. La violence paraît-il ne résout rien. Pardonne-moi si je m’énerve, mais c’est qu’il faut avoir des nerfs face au gamin de rien. Mais je me retiens juste à temps. J’attends, j’me calme. Mon bras reste bas. J’en sors mon appareil photo. Parce que le gamin de rien n’a rien, est laid, haïssable, et qui plus est : énervant ! Alors j’en sors mon appareil photo. Car moi mon rêve, plus que l’Afrique à vélo, c’est de le rendre beau. Et de lui rendre ce qu’on lui a pris où qu’il n’a jamais eu : une âme. Cette âme qu’on lui cache.
Parfois le gamin de rien devient quelqu’un. Parfois quelqu’une. Mais généralement pas. Généralement il crève comme il a grandi. De rien. Il crève et on a même pas besoin de l’oublier, car on y a jamais pensé. C’est plus facile au fond de l’éliminer plutôt que de l’accepter. C’est plus facile de le cracher plutôt que de le recréer. Et puis quel est le tort ? Le gamin de rien a toujours fait partie de la société. Oui de la société…
Et moi je suis le Farenje. Je suis l’étranger. Celui qui ne fait que passer, qui vient de loin, qui va loin. Et qui écris pour exister. Ma vie ? Je sais pas vraiment. Alors je pédale pour m’exiler… A défaut de société…
Mais aujourd’hui je m’arrête. Car j’avais promis un poème pour le gamin de rien. Il n’en est rien. J’ai juste un texte. Un de plus. Et quelques photos. Quelques unes de plus. Dans l’espoir de le rendre beau. Je parle du texte…
Oui de rendre beau ce texte qui parle du gamin de rien. Ce gamin de rien qui au fond n’est pas rien, vit d’une âme proche de la mienne, mais que j’appelle rien dans l’espoir d’être lu. Et de devenir riche. Parce que c’est ça mon rêve. Être riche et lu… En parlant de rien. Paraît-il que ça marche !
Toujours est-il que riche ou pas, lu ou pas, le gamin de rien lui s’en fout pas mal. Il reviendra vite. Au prochain virage, à la prochaine pente… Son cailloux me suivra et sûrement qu’un jour il me touchera. Tant pis je survivrai ! Ainsi j’en publie mon texte, dans l’espoir d’être lu. Et de devenir riche. Riche d’un nouveau sens que je me dois de trouver. J’y ai mis quelques photos, dans l’espoir d’être beau. Car j’ai besoin de cela pour être beau. Des belles photos. A défaut d’un texte au travers duquel je me test. Le gamin de rien lui est déjà loin…
Je lui avais promis un poème. Il n’en est rien. Voici déjà un texte…
Je le regarde au loin. Il veut de l’argent. Me lance un cailloux. Parfois je le hais. Mais parfois pas. Parfois sourire et sans cailloux, il est presque heureux d’être là… Puis je pose ma plume. Je lui offre un crayon.
Je lui offre un crayon parce que le gamin, qu’il soit ce petit rien, presque moins que rien ou gamin de papa pistonné sans même jamais aller au combat, le gamin c’est notre demain. Notre demain à tous. Et que tout le mal qu’il donne, lorsqu’il en donne, c’est parce qu’on le veut bien. Mais tout le bien qu’il donne, c’est parce qu’il le veut bien. Quoique qu’il en soit même ici, même comme ça, même ainsi, le gamin est notre demain. Et ça serait bien de pas l’oublier…
Olivier Rochat