Km 49’562, Monrovia, Libéria.
Au Libéria, petit pays d’Afrique de l’ouest, nous sommes en pleines élections. Le premier tour a eu lieu le 10 octobre 2017 alors que je me trouvais à Monrovia, la capitale. J’ai pu profiter de l’ambiance et de l’espoir suscité par ces élections.
Voici un petit récit écrit le 10 octobre, le jour du vote du premier tour:
Le premier tour a eu lieu le 10 octobre 2017
Aujourd’hui on vote au Libéria. C’est le premier tour de l’élection présidentielle et depuis 12 jours que j’ai rejoint ce petit pays d’Afrique de l’ouest, très peu connu en francophonie, je ne peux pas rester insensible aux innombrables affiches présentant les différents partis et candidats se présentant aux élections. Impossible.
je ne peux pas rester insensible aux innombrables affiches présentant les différents partis et candidats se présentant aux élections. Impossible.
Le long de la route qui m’a mené de Ganta, ville libérienne située à la frontière de la Guinée, jusqu’à à Monrovia, capitale du Libéria, il y en avait des centaines. Des milliers peut-être.
À tel point qu’invité par Richard, un anglais qui travaille au maintien de cette route, l’une des seules goudronnée de tout le Libéria, je venais à plaisanter : « eh bien si les candidats investissent autant pour construire de nouvelles routes que pour leur campagne présidentielle, le réseau routier va vite s’améliorer. »
Cette route, l’une des seules goudronnée de tout le Libéria
Phrase pas si anodine, autant quand l’on se rend compte de l’importance que peut avoir une route goudronnée pour le développement d’une région et des milliers-parfois millions- de gens qui l’habitent que quand l’on se rend compte du triste état de l’immense majorité des routes d’Afrique de l’ouest.
Rendez-vous compte, cette route longue d’environ 270 km vient d’être terminée. Il s’agit maintenant d’une excellente route qui permet de relier le nord du pays à Monrovia, sur la côte atlantique, en quelques heures à peine. Avec elle c’est l’agriculture locale qui reprend, délaissée depuis la longue guerre civile qui a forcé des milliers de personnes à quitter les campagnes. C’est ainsi une grande part de l’économie qui reprend et des business fleurissent ici et là. Greenville par-exemple, ville isolée le long de la côte, n’a pas eu cette chance. Distante d’environ 500 km, le voyage prend régulièrement 5 jours. Et parfois plus, en fonction des saisons.
Un gouffre. Un monde d’écart. Presque autant que les différences observées lors de mes derniers jours en Guinée et ceux au Libéria.
Grosse frayeur puis belle découverte
En effet ma dernière journée de route en Guinée s’est terminée dans la boue. Plusieurs kilomètres de boues, après avoir traversé une forêt dense où j’ai vécu l’une des plus grosses frayeurs de mon voyage lorsqu’un serpent, visiblement en train de chasser lui-même un « amuse-gueule » qui me coupe la route, surgit de l’herbe haute, à toute vitesse, ne me laissant le temps ni de m’arrêter ni de faire un « détour » pour l’éviter. Il s’en est fallu d’un rien mais j’ai évité le pire. Après avoir vérifié, bien qu’il me soit impossible de le certifier à 100%, il s’agissait visiblement d’un boomslang, ou serpent des arbres. S’il n’est pas le plus dangereux car très peu agressif, une piqûre peut vous tuer en quelques heures. Si la morsure n’est pas traitée, bien que peu douloureux durant plusieurs heures dû à la lenteur de son efficacité, le venin va coaguler votre sang. Ce dernier va sortir de vos orifices. Après quoi ce sera rapidement la mort. Charmant.
après avoir traversé une forêt dense où j’ai vécu l’une des plus grosses frayeurs de mon voyageait
Mais c’est bien vivant, et un peu effrayé, que je rejoint la frontière guinéenne où l’on vérifie mes papiers et tamponne mon passeport sans me créer de problèmes. Après quoi je traverse un pont, la pluie s’arrête et de l’autre côté du pont je découvre cette route très bien revêtue qui va me mener à Monrovia. Je découvre alors un nouveau pays, presque un nouveau monde: le Libéria.
En quelques instants je me sens comme propulser dans un autre monde. En traversant ce pont j’ai traversé une rivière. Moi j’ai l’impression d’avoir traversé l’Atlantique. Très vite je me sens comme attirer par ce pays, cette ambiance particulière « post-élection », la culture et l’histoire de ce pays si différente de son voisin guinéen avec son influence américaine très forte et sa langue singulière elle aussi, l’anglais-libérien, qui tranche avec « l’anglais-americain » également rencontré.
Une rue de Monrovia
Un pays singulier
En effet l’histoire du Libéria est singulière à plus d’un titre. Notamment en ce qui concerne son indépendance. Bien souvent j’entends dire que le premier pays africain à obtenir son indépendance fut le Ghana qui a fêté ses 60 ans d’indépendance ce printemps. Pourtant, dit comme cela, c’est faux.
Le Libéria a obtenu son indépendance en 1847
En effet, bien que le Ghana fut le premier pays à obtenir son indépendance lors de la « vague d’indépendance » du milieu du 20ème siècle, d’autres pays africains ont obtenu leur indépendance bien avant dont notamment l’Égypte, l’Afrique du sud ou encore l’Éthiopie qui n’a jamais été sous gouvernement colonial.
Et le premier de tous, si l’on excepte l’Éthiopie bien entendu, fut le Libéria qui fête cette année ses 170 ans d’indépendance.
Mais comment se fait-il que le Libéria a obtenu son indépendance plus de 100 ans avant la plupart des autres pays d’Afrique sub-saharienne ?
Pour mieux le comprendre il faut remonter le temps, jusqu’en 1820 lorsque des esclaves américains affranchis, dont beaucoup étaient les enfants métis de propriétaires blancs, s’installèrent au Liberia dans le cadre d’un mouvement abolitionniste de retour vers l’Afrique, et baptisèrent la capitale Monrovia, en hommage au président James Monroe.
En 1847, les «colons», comme on les appelle encore aujourd’hui, formèrent la République du Liberia en s’inspirant du système politique américain —jusqu’à instituer leur propre forme de ségrégation à l’américaine. Les Américano-libériens à la peau claire, arborant souvent chapeau haut de forme et queue de pie dans la chaleur tropicale d’Afrique de l’ouest, écrasaient de leur puissance les «gens du pays» —Africains autochtones à la peau plus foncée qui durent attendre 1904 pour bénéficier de la citoyenneté libérienne. Un vrai cas de pouvoir corrompant les anciens opprimés.
D’une certaine manière on peut parler là d’une colonie afro-américaine qui a colonisé les tribus locales. Et toute l’histoire du Libéria s’est formée autour de cette relation particulière entre les esclaves affranchis devenus colons à leur tour et les « locaux » se sentant méprisés.
Aujourd’hui encore les descendants afro-américain sont à peine 5% de la population mais contrôlent la majorité du pouvoir -et de l’argent- du pays.
Cette relation particulière est l’une des causes de l’histoire si violente du Libéria où se sont suivi coup d’État et contre coup d’État durant des décennies. Le premier président d’origine tribale fut Samuel Doe, qui fit massacrer l’ensemble du pouvoir qu’il venait de renverser. Une pratique qui ne lui réussit pas puisque quelques années plus tard il fut capturé par l’un de ses nombreux ennemis, Prince Johnson. Ce dernier le tortura en public, lui coupant doigts et oreilles avant de l’exécuter quelques heures plus tard d’une balle dans la tête et d’exhiber son corps en public. Le tout filmé puis retransmis dans toute l’Afrique de l’ouest (et sur YouTube de nos jours -mais je déconseille-).
Cette histoire date de 1990 et fut le début de 14 années interminable de guerre civile avant d’entamer une reconstruction fragile sur des bases démocratique faites de beaucoup d’aides internationales ,et notamment des « frères américains » dont l’influence se fait grandement sentir. Que ce soit dans son drapeau -copié du drapeau américain, presque à l’identique-, le nom de certaines de ses villes -ou état- tel que Maryland, Greenville, Harper ou Robertsport, ou dans l’utilisation de sa monnaie – on peut utiliser et le dollars US et le dollar libérien et les deux à la fois, si si!!! – un air d’Amérique se fait sentir au Libéria.
son drapeau -copié du drapeau américain
Après cette période trouble c’est Mme. Johnson Sirleaf qui fut élue en 2006 devenant ainsi la première femme élue au suffrage universel à présider un état africain.
Ayant cumulé deux mandats elle doit maintenant céder sa place et c’est ainsi que prennent place les élections actuelles. Des élections pleines d’attentes, de candidat-e-s, de ferveurs et d’espoir pour ce petit pays vraiment particulier dont la population a déjà survécu à d’innombrables traumatismes. C’est maintenant de nouveaux défis qui s’ouvrent à elle. Celui d’élections non-violente, du combat de la corruption, du droit des minorités, et pleins d’autres encore.
C’est ainsi que prennent place les élections actuelles.
Mais alors que le plus dur semble à faire, un simple regard en arrière rappellera aux libériens, je l’espère, que tant a déjà été fait. Suffisamment, c’est certain, pour ne pas perdre espoir et continuer de l’avant.
Pour ne pas perdre espoir et continuer de l’avant.
Aujourd’hui les rues de Monrovia était bien calme. La circulation très faible et seuls les bureaux de votes semblaient faire le plein.
Aujourd’hui on a voté à Monrovia.
Aujourd’hui on a voté à Monrovia.
Olivier Rochat