Km 34’170, Mayoko, Congo-Brazzaville.
Après mes premières journées à la découverte du Congo-Brazzaville, je suis entré dans la forêt tropicale. Un chemin beau, parfois spectaculaire mais souvent difficile qui me voit grimper collines les unes après les autres sur des pistes toujours roulables et poussiéreuse, mais très bosselée. Un chemin particulier, ou se mélange constamment pauvreté et richesse.
La région est relativement isolée a cause de l’état des routes. Trouver de l’électricité n’est pas gagné d’avance, un simple restaurant local non plus. En effet je traverse parfois des dizaines de villages sans trouver une seule fois de l’électricité, ni même de quoi me ravitailler. Pas un seul petit restaurant, pas un fruit. Seul semble survivre quelques bars vendant majoritairement des bières chaudes et quelques sodas isolés sur les étagères.
Pourtant les gens restent majoritairement souriant et accueillant et parfois la traversée d’un village ressemble presque à une compétition de bonjours. Devant chaque maison on me salue « Bonjour Papa », « tu vas où « , « ça va ? » auquel je répond par un salut à mon tour.
Parfois un « c’est un touriste » ou « mundele » accompagne les salutations et chaque rencontre demande une certaine énergie, peu semblent rester indifférent à mon passage. En effet je suis un blanc et je représente pour beaucoup la chance de se faire un peu d’argent, et si tel n’est pas le cas, ma présence ici à vélo peut en surprendre plus d’un et dès que je m’arrête les questions fusent.
La bureaucratie est également assez… surprenante et varie d’un village a l’autre. Parfois on me dit qu’il faut que je me fasse enregistrer à chaque village qui possède une police mais lorsque que j’y vais de mon plein gré on me demande pourquoi je demande à m’enregistrer…
J’y vois surtout l’occasion de se faire un peu d’argent mais par chance à vélo je n’ai pas besoin de permis, ce qui n’est pas le cas des automobilistes qui se voient demander des dizaines de permis et autorisation différente. Hier, après m’être fait enregistrer dans un village, je demande au préfet qui m’a enregistré la route pour le marché histoire de me reposer et manger quelque chose. Plus tard, mangeant au marché je croise le préfet qui semble faussement surpris de me retrouver là.
« ah vous êtes là ? » commence til, avant de continuer sur quelques phrases de politesse. Puis d’ajouter: « un jus me ferait le plus grand bien ».
J’esquisse un sourire. « pardon? »
« Je disais qu’un jus me ferait le plus grand bien « répète til presque vexé que je ne lui ai rien offert. Je le regarde se dandiner sûr de lui dans son beau costume, ses chaussures polies et pointues semblent repousser la poussière qui chaque jour repeint la rue, les étagères branlantes où gîsent quelques poissons qui n’attendent que d’être mangé et les bien trop rustiques maisons de bois -quelques planches ajustée- qui forment la majorité des habitations que je croise. Elles semblent n’avoir qu’une espérance de vie très courte et le quotidien des habitants semblent trancher avec celui de ce préfet bien nourri et qui en redemande.
« les blancs réalisent leurs idées et ensuite ils s’assoient. Ils ne sommes pas comme nous « , répond il au gérant du petit restaurant, où il s’est assis, qui lui demandait ce qu’un blanc à vélo peut bien faire ici.
Après cet instant philosophique, je reprends ma route.
« Prend moi avec toi ! » me demande alors une femme qui me regarder partir. Je me demande bien comment elle peut me demander ça en face de 4 petits enfants dont certains sont probablement ces fils.
« mais je n’ai pas de place ! ». Et je n’ai pas envie non plus…
Plus loin un homme m’applaudit et m’offre un grand sourire en me souhaitant bonne route.
Puis quelques « bonjour » m’accompagne enfin je quitte le village, seul point de ravitaillement aujourd’hui.
Alors je m’enfonce dans la forêt sur une route est bosselée et les collines incessantes et humides m’épuisent. Ma transpiration se mélange à la poussière et les motos sont la majorité du faible trafic que je croise. Le reste sont de gros camions remplis d’énormes troncs de bois.
Le bois de la région est exploité par de nombreuses entreprises qui détruisent à grandes échelles la forêt équatoriale, deuxième plus grande forêt vierge du monde et véritable poumons de l’humanité.
En la tuant c’est tout un écosystème que l’on tue. Des milliers d’espèces que l’on extermine dont certaines sont essentiels à notre survie . C’est un suicide lent en quelques sortes.
Pourtant peut semblent s’en préoccuper et ici ce masse chinois, européen, sud-africain et bien d’autres encore. Creusant pour de l’or ou du diamant, coupant les arbres comme on coupe le foin chez moi, l’argent dicte ses lois. Dicte ses droits.
L’homme en devient son esclave, son sujet. Aussi, cruel, je m’aime parfois à le voir s’y perdre. À le voir construire son propre chemin de croix. L’argent le tueras.
Mais je me préfère à l’ignorer. Et le ventre creux, me nourrir des sourires qui accompagnent mon chemin dont je ne connais la fin. Mais qui passent des déserts les plus arides aux forêts les plus humides. Car si hier les vents des désert chantaient sous mes roues, aujourd’hui les chants infini des oiseaux les ont remplacé.
Ici ce cache des espèces et par milliers.
Un mille patte de la taille de mon pied me coupe la route. Je manque de l’écraser.
Et je continue ainsi, accueilli au soir par le chef du village de Singidi. Il m’offre un lit pour la nuit.
J’en repars sec et reposé, chanceux car cette nuit il a plu. La saison des pluies va sous peu commencer.
J’ai maintenant la forêt pour moi à l’orée du Gabon. Et même si ce n’est pas la première fois, je vois comme l’homme peut être bon.
Le problème c’est qu’il ne le sait pas.
ou alors ne le veut il pas?
Paul (1)
Je rencontre alors Paul, un sud-africain qui travaille au Congo-Brazzaville depuis plus de deux ans. Son travail: chercheur d’or. Je l’avais précedemment rencontré à Brazzaville plus d’une semaine auparavant. Se rencontrer ici, dans la jungle sur une route relativement isolée, est assez surprenant. La frontière gabonaise étant toujours fermée suite aux élections, Paul me propose de rester avec lui, à Komono. Je passe ainsi 5 jours avec Paul, généreux, qui m’invitera et me présentera à certains de ces amis.
Il travaille depuis plus de 14 ans dans ce milieu. Son truc à lui, c’est les diamants. Il a commencé au Libéria avant de s’enfuir après s’être rendu compte que son permis de travail n’était pas légal et qu’il travaillait avec une fausse autorisation. Ensuite c’est en Angola et au Congo-Kinshasa qu’il a passé le plus clair de son temps, dans des conditions pas toujours faciles, souvent dangereuse, mais en défendant la légalité de son travail et surtout luttant contre l’utilisation abusive des enfants pour chercher l’or ou le diamant, comme cela se fait encore aujourd’hui, notamment en République Centrafricaine et au Congo-Kinshasa.
Aujourd’hui et depuis 2 ans il travaille au Congo-Brazzaville, pour une compagnie française. Dans cette forêt pourtant les gens vivent avec peu, parfois presque rien. L’agriculture n’a jamais été développée et les grandes compagnies sont misent en avant. Ainsi de nombreuses compagnies chinoises viennent faire leur business ici. Il n’y a ni inégration, ni volonté de le faire. Pourtant le sol est plutôt riche, dans certaines régions on trouve du diamant, et souvent de l’or. Lorsque Paul se rend sur son chantier actuel, dans une région isolée proche du Gabon, il part avec quelques hommes. Ils emportent avec eux des sardines, des biscuits, de l’essence. Et avant même de commencer à creuser dans la jungle, la boue ou ailleurs, ils échangent ces biens contre ce qu’ils cherchent: de l’or.
Les locaux qui trouvent de l’or, s’ils ne sont pas engagés par une compagnie, ne pourront rien en faire. Et il faut plusieurs grammes pour pouvoir le vendre et en tirer quelque chose. Ainsi il est très facile d’échanger de l’essence, ou même une boîte de sardine, contre une petite pépite d’or. La dernière pépite qu’il a changé pesait 0.2 grammes, avec une valeur de 5’000 CFA (8 euros). La boîte de sardine en retour, n’en valait que 500 (moins de 80 centimes d’euros).
Puis nous allons voir une compagnie française qui vent l’entier de ces machines pour 2 millions d’euros. En effet, ils avaient misé sur le fer, mais le prix du fer a chuté durant l’année et cette compagnie a tout perdu. Maintenant en faillite, elle cherche à revendre ses biens, d’une valeur totale de 2 millions, alors qu’ils en avaient coûté plus de 20 X plus.
Le dernier matin, alors que je déjeune avec Paul, deux hommes arrivent. Ils tiennent une bouteille de verre, à l’intérieur de laquelle se trouve un liquide noireâtre, ressemblant d’aspect au Coca-Cola. Ils nous montrent un papier attestant qu’il s’agit là de Coltan-Uranium, radioactif au touché. Sa valeur est de 4,7 millions de CFA, soit près de 7’500 euros. Ne pouvant prouver sa provenance, les deux hommes s’en iront rapidement, essayant probablement de la vendre quelque part. Pourtant avec cette bouteille sur eux, ils risquent gros, surtout si elle a été volée.
Pendant plusieurs jours je découvre ainsi cette double réalité, celle d’une population pauvre qui vit sur un sol riche. Mais qui ne lui semble pas destiné. Ainsi Paul m’explique le jour ou il a augmenter un de ces travailleurs les plus fidèles, qu’il payait alors environ 150 euros par mois. 150 euros c’est déjà bien plus que la moyenne pour les locaux, ainsi en voulant l’augmenter la mairie lui a fait comprendre que c’était très mauvais, car ça casse le marché. Une hiérarchie semble installée: En haut on trouve les chinois ou les occidentaux. Puis les philippins et les malaysiens qui travaillent pour eux. Enfin au bas de l’échelle, se trouvent les congolais…Pourtant chez eux.
1. Paul=prénom d’emprunt
Olivier Rochat