Archives du mot-clé Cameroun

Le long de la Ring Road

Km 39’671, Abong, Cameroun.

C’est dans la région du nord-ouest que j’ai passé mes derniers jours au Cameroun.

Une région particulière puisqu’avec sa voisine du sud-ouest ce sont les deux seules régions anglophones du Cameroun, les 8 autres  étant essentiellement francophones.

Mais plus que ça c’est aussi une région montagneuse que j’ai traversé en découvrant notamment la spectaculaire et relativement isolée Ring Road. Une route dont le nom vient de sa forme puisque cette dernière effectue une boucle à l’intérieur de la région du nord-ouest.

DSCF4142

c’est aussi une région montagneuse que j’ai traversé

Lire la suite

De retour sur la route

Km 39’151, Bangangté, Cameroun.

Après un mois de pause à Yaoundé pour cause de paludisme, ce n’est qu’à la fin du mois de Janvier que je pédale mes premiers kilomètres de l’année 2017. Direction l’Afrique de l’ouest et en premier lieu l’ouest du Cameroun. Après plusieurs mois et milliers de kilomètres en pleine forêt tropicale, je la quitte enfin. J’entame mes derniers jours en Afrique centrale.

DSCF4026

plusieurs fois par jour on me demande à me prendre en photo, à tel point que j’en prendrai presque la grosse tête

Lire la suite

Un Noël à l’abri du consommant

Km 38’692, Abong-Mbang, Cameroun.

« Epuisé par le paludisme, l’isolement du lieu ou  la crise se sera déclarée, j’ai pu profiter de l’humanité des locaux qui peu à peu m’ont offert de leur générosité, leur soutien. De simple « blanc de passage » le premier jour, je suis devenu Olivier, voyageur malade et épuisé. Pour vivre finalement un Noël pas comme les autres avant de connaître un peu le quotidien, parfois dramatique, de ce petit village en pleine forêt tropicale. »

Olivier Rochat, le 29 décembre 2016

DSCF3951

Malade mais privilégié

Le paludisme. La fièvre typhoïde. Des maladies plutôt effrayantes aux oreilles d’européens. En tout les cas les miennes du temps où je préparais encore sagement mon périple africain. Deux maladies que je côtoie régulièrement depuis plusieurs mois avant de finalement les ressentir d’un plus près. Une expérience pour le moins épuisante. Physiquement bien sûr, mais psychologiquement également. Deux maladies qui, en me « terrassant », m’ont permis de prendre encore plus  conscience du privilège que nous avons en tant qu’occidentaux en ayant les moyens de se soigner. De rentrer chez soit ou simplement de trouver de l’aide sur place. Car se sont bien des maladies qui se soignent et pour pas très cher en soit mais qui, néanmoins, tuent encore aujourd’hui énormément de monde qui n’ont pas les moyens de se soigner, financièrement parlant ou à cause de l’isolement de leur lieu de vie. Le paludisme à lui seul tue plus d’un demi-million de personne chaque année, offrant au moustique le titre de « créatures vivante » la plus dangereuse pour l’homme, loin devant l’homme lui-même. Les victimes sont majoritairement des enfants, des personnes âgées, des femmes enceintes ou des personnes affaiblies, par-exemple par le virus du SIDA.

En m’isolant dans la forêt

Après mon entrée au Cameroun par une frontière assez isolée, au sud-est du pays, j’ai continué en remontant sur le Nord, découvrant un Cameroun sauvage, avec des pistes souvent mauvaises et que l’imposante poussière renvoyée par les grumiers et les incessantes collines ont rendues difficiles. Epuisantes.

DSCF3884

avec des pistes souvent mauvaises et que l’imposante poussière renvoyée par les grumiers et les incessantes collines ont rendues difficiles

Mais en bifurquant sur l’ouest par un raccourci afin d’éviter la grande route principale, je m’enfonce dans une région encore plus isolée, traversant néanmoins quelques villages le long de ma route, mais ces derniers diminuent de jour en jour. Ainsi après 7 jours au Cameroun couvrant près de 500 kilomètres je n’ai pas encore trouvé d’électricité, à l’exception de générateurs fonctionnant de 18 à 21 heures dans les plus gros villages que j’ai traversé.

DSCF3928

trouver des sources d’eau fraîches et potable est un véritable bonheur puisqu’il s’agit là de la seule et unique occasion de me rafraîchir

Dans ces conditions trouver des sources d’eau fraîches et potable est un véritable bonheur puisqu’il s’agit là de la seule et unique occasion de me rafraîchir. J’en profite bien évidemment pour me laver.

Un Noël pas comme les autres

Au soir du 23 décembre, alors que je passe ma nuit dans un petit village je ressens un très faible état grippal. Je suis très fatigué, je n’ai pas faim mais la journée à été longue et difficile, je m’endors sereinement. Au matin je me sens un peu mieux, un peu fatigué certes mais je décide de reprendre la route gentiment, de toute manière je n’ai pas le choix. Quelques village accompagnent ma route lors des 10 premiers kilomètres, puis je m’enfonce dans une forêt plus dense et à ce stade là il m’est impossible de savoir que le prochain village se trouve dans 80 kilomètres. S’enchaînent alors un vaste terrains de collines qui m’accompagneront toute la journée jusqu’à mon arrivée dans un petit village à l’entrée de Messok, le plus gros village du coin, alors que la nuit est déjà tombée. Je suis épuisé après une journée de plus de 100 kilomètres sur un terrain difficile.

DSCF3873

plus de 100 kilomètres sur un terrain difficile.

Nous sommes au soir du 24 décembre, je me dirige vers le chef du village qui, après vérification de mes documents m’autorise à planter ma tente en face de sa maison. Cette dernière est une petite maison de terre avec deux entrées et 3 pièces.

On trouve ainsi une chambre principale, une salle, sorte de salon, où le chef du village passe de nombreuses heures à discuter avec les villageois qui viennent lui faire part de leurs problèmes et différents. Ici le chef de village décide de tout ou presque et ce soir se trouvent quelques villageois venu discuter de différents problèmes de terrains ainsi qu’un homme qui s’est fait volé un sac de banane et vient se plaindre. On trouve encore une dernière chambre avec un vieux matelas qui, bientôt, me servira de lieu de repos salvateur. Mais je ne le sais pas encore et ce soir je suis simplement fatigué.

A une centaine de mètres de là se trouve le seul bar du village dans une petite boutique où l’on vend quelques bonbons, des bières, des biscuits, quelques feuilles et autres stylos et c’est un peu tout. Le majorité des villageois sont musulmans mais quelques petites lumières ont été installées pour éclairer le bar en ce soir de Noël et les enfants dansent sur la musique vivante qui tourne à plein régimes. Ici se mélangent adultes et enfants, femmes et hommes, bantous et pygmées et un seul blanc: moi. Mais les gens ne m’en tiennent pas rigueur et ce soir pas de remarque ni arnaques, je peux même dire que je suis à l’aise à observer avec un certain amusement les plus jeunes qui dansent à tour de rôle. L’un après l’autre, les jeunes s’avancent et dansent en face de tout le monde, comme sur une sorte de show. Les applaudissements et la joie se ressentent et ce soir Noël est simple. Mais Noël est beau. Pas de cadeau, pas de folie, le Dieu argent semble à la traîne dans cette région  et s’il est vrai que la famille manque, Noël est agréable.  Mais fatigué je reste un peu après m’être cuisiné un couscous accompagné du dernier concombre qu’il me restait ainsi qu’une boîte de sardine, une Guinness, bière répandue au Cameroun, pour seule « folie ». Je m’endors, pensant profiter d’une bonne nuit de sommeil pour repartir au matin.

DSCF3954

Je discute alors avec les femmes du chef

Mais il n’en sera pas ainsi. La fièvre débute alors accompagnée de gros grelotements, des douleurs au dos et aux membres. Impossible de m’endormir. Au petit matin la fièvre n’est pas très forte mais je n’arrive pas à me lever. Même un effort pour me retourner me paraît insurmontable et maintenant de gros maux de ventres accompagnent mes douleurs aux muscles. Ce n’est que pour aller aux toilettes  que je me lève et là débute une grosse diarrhée qui durera plusieurs jours. Dans ces conditions il m’est impossible de continuer mais heureusement il me reste des médicaments curatif contre la malaria qui font diminuer la fièvre. Heureusement car ici on en trouve pas d’hôpital. Je demande au chef du village si je peux rester me reposer et naturellement cela ne pose aucun problème.

Ainsi se passe ma journée de Noël. J’observe les villageois entrer et sortir de la maison du chef, passant le plus clair de ma journée couché, sans réussir à fermer l’oeil ni avaler quoi que ce soit, si ce n’est de l’eau et un soda qui ressort presque aussi rapidement qu’il était entré. Mais peu à peu mon rapport avec le chef du village s’ouvre alors que jusqu’ici j’observais une certaine méfiance, une certaine distance.

Le lendemain, après une nuit blanche mon état s’améliore mais je me sens un peu faible. Très faible même et bien sûr il m’est impossible de reprendre mon chemin. Je décide de me reposer et l’après-midi, de faire ma lessive. Je discute alors avec les femmes du chef – ce dernier à trois femmes- puis nous jouons à un jeu de société jusqu’à ce qu’un orage arrive, m’obligeant de plier ma tente à la hâte. Dès lors je profiterai de la 2ème chambre, laissée libre ce matin par le plus grand fils du chef qui est parti en ville.

Entre la vie et la mort

C’est alors que le chef rentre de Messok, nous apprenant alors une terrible nouvelle: le premier des fils d’une des femmes du chef est décédé. Ce n’était pas le fils du chef, puisqu’il était né d’un précédent mariage. Aussi sa mère ne vivait plus avec lui ce qui ajoute du choc à la nouvelle. Encore une fois je sens la mort rôdé autour de moi, comme c’est bien souvent le cas en Afrique où j’y suis souvent confronté de manière indirecte. Paludisme, accident de voiture, SIDA, les causes sont nombreuses et souvent on me dit qu’en Afrique la vie est bon marché. Pour un rien la mort emporte. A 20 ans n’avoir plus ses deux parents, c’est presque normal pour beaucoup de monde que j’ai rencontré. Avoir perdu un fils, une fille, pareille. Bien souvent lorsque je dors chez l’habitant on me pose cette question: tes parents vivent-ils toujours? Et lorsque ma réponse est « oui » on se surprend de mon voyage solitaire, sans but lucratif, qui n’a pas pour but d’améliorer la situation économique de ma famille. Le rapport à la famille n’est pas le même, le rapport à la vie, et donc à la mort, non plus. Au Congo j’observais de nombreux cimetière le long des routes, ces derniers étant disposé le long de la route, à proximité des villages, je ne passais pas une journée sans apercevoir une cérémonie d’enterrement, une tombe toute fraîche ou au moins des fleurs disposées à côté d’une photo d’un jeune homme récemment décédé. Et puis souvent lorsque je dors chez l’habitant je garde contact. Avec les réseaux sociaux les nouvelles vont vite et j’apprends régulièrement la mort d’une personne que j’ai rencontré récemment, de son frère, de son fils, des suites d’un accident de la route ou d’une crise de paludisme. La mort est omniprésente.

Le chef me dit que le jeune garçon est tombé malade voici  quelques jours. La malaria l’a emporté. Dans ces conditions j’ai l’impression de déranger mais nous voici dans la salle où le chef reçoit les villageois. Le chef m’invite à m’asseoir et j’observe les discussions dont je ne comprends pas toujours le thème. Parfois on me questionne sur ma présence, les raisons de mon voyage. Certains pensent que je suis un documentariste pour la télévision, d’autres me voient simplement comme un touriste et certains pensent que  cycliste est mon métier. La tristesse des femmes, qui se tiennent à l’extérieur se mélange à la distance des hommes, et moi je ne sais pas trop où me mettre mais paradoxalement c’est à partir de maintenant que nos rapports vont grandement s’améliorer, ou s’ouvrir car ils n’étaient pas mauvais jusqu’ici. Je fais maintenant presque partie de la famille, au soir nous mangeons du Fufu avec de la viande. Un repas très simple mais bon, bien que j’aie beaucoup de mal à l’avaler car que je n’ai absolument pas faim. Je me force mais il met impossible d’avaler plus que quelques bouchées. J’essaye de me reposer mais j’ai l’impression de me fatiguer, d’autant que je n’arrive pas à dormir depuis 3 jours. Quelques heures après la nuit tombée, un énième cri retenti, des pleurs, des énervements. Et puis j’entends une moto qui part. Un homme est venu chercher la mère de l’enfant décédé et l’amène chez son ancien mari.

Et puis la vie reprend ses droits, bien qu’elle n’aie jamais réellement cessé, ni freiner. Quelques larmes coulent parmi les nombreux enfants qui m’entourent dans cette maison. On s’occupe à tour de rôle du dernier né qui n’a que trois semaines. Les autres sont déjà tous très indépendant. La vie arrive et repart à une vitesse folle et, après une journée supplémentaire dans ce village, je décide de reprendre la route. Un  remède local, une sorte de thé au feuilles de goyavier et de deux arbustes dont je ne connais le nom, m’aura remis provisoirement sur pieds.

Après une journée pénible j’arrive enfin à Lomié, le plus grand village depuis mon arrivée au Cameroun où j’arrive brièvement à atteindre mes parents. La dernière fois que je les contactais j’apprenais qu’un proche, malade depuis de nombreux mois, venait de nous quitter. Aujourd’hui j’apprends que je suis oncle depuis près de 10 jours…

DSCF3948

On s’occupe à tour de rôle du dernier né qui n’a que trois semaines

La vie continue

Aujourd’hui cela fait plus de 2 ans que je suis en Afrique, alors que mon voyage initial aurait dû durer 2 ans en tout. Je ne sais pas encore que la maladie que je trimballe est bien le paludisme, et que ce dernier s’accompagne d’une fièvre typhoïde. Ce n’est qu’à Abong Mbang, que j’aurai rejoint en faisant du stop, que je pourrai enfin faire mes tests et débuter un traitement.

Pour accompagner ces derniers il me faudra du repos et encore une fois le voyage se prolonge suites aux imprévus. Mais en Afrique j’aurai appris que nous savons quand nous partons, mais jamais quand nous arrivons. Dans ces conditions l’Homme ne subit pas le temps, bien qu’il ne puisse le contrôler. Si la réunion a lieu à 14 heures, l’Homme va s’organiser pour se réunir à 14 heures. Il subit. Mais d’une certaine manière la réunion n’aura pas lieu à 14 heures. Elle aura lieu lorsque les gens se seront réunis. Ainsi l’Homme ne subit plus le temps. Peut-être est-ce  un aspect qui me manquera  lorsque je rentrerai et noterai mes rendez-vous dans un agenda. Car finalement nous écrivons nos actes sociaux sur un agenda, comme si nous avons peur de les manquer. Alors que c’est le meilleur moyen de manquer les vrais actes sociaux, qui se construisent et s’apprécient au fil des imprévus.

La critique est bien facile mais elle n’est pas mon but. Celui-ci est simplement de constater. Et de ne pas oublier, en ces instants où la famille manque et où je m’en veux profondément de ne pas être là, que nous ne nous retrouverons pas le 15 octobre ou le 18 décembre, ni même le 12 novembre, mais seulement lorsque nous serons réunis à nouveau.

Car ce qui compte finalement c’est le chemin, pas la destination. C’est ce qui trouve entre le point A et le point B car n’est-ce pas en perdant son chemin que l’on retrouve ses pas? Les objectifs sont bien sympa mais ils n’en restent pas moins des oeillères au monde qui nous entoure. Aujourd’hui je ne cherche plus à « faire » ni à « voir », ni même à chercher quoi que soit mais j’ai fait le choix d' »être » et peut-être est-ce pour ça que mon retour se prolonge.

Mais l’Afrique dans son ensemble est aussi là pour me rappeler que nous avons beau  être tous frères et soeurs, nous n’avons qu’une seule famille et qu’elle aussi fait partie du chemin.

DSCF3932

Les objectifs sont bien sympa mais ils n’en restent pas moins des oeillères au monde qui nous entoure.

 

Olivier Rochat

 

 

 

Cameroun: nouveau pays, nouvelles impressions

Km 38’435, Ngato, Cameroun.

Le 20 décembre 2016, après 80 jours au Congo-Brazzaville, j’ai enfin rejoins le Cameroun, 19ème pays de ce voyage.

Voici un texte écris le long de la route, quelques jours après mon entrée au Cameroun par la frontière séparant Ngato de Socambo, au sud-est du Cameroun:

DSCF3832

Me voici (enfin) au Cameroun, à l’extrême sud-est du pays que j’arpente depuis quelques jours.

Nouveau pays, nouvelles impressions

« Me voici (enfin) au Cameroun, à l’extrême sud-est du pays que j’arpente depuis quelques jours. Si c’est avec bonheur et sans regret que je laisse l’incroyable et fatigante bureaucratie congolaise derrière moi, ainsi que les problèmes et demandes de paiement « pour que cela fonctionne » qui vont avec, c’est avec plus de regrets que je laisse la quiétude et politesse des congolais derrière moi. En effet puisque dès mes premiers kms au Cameroun j’observe une grande différence dans la manière qu’ont les gens de m’aborder. Me voici visiblement redevenu « le Blanc », celui qui a l’argent. Au Congo c’était la police, ainsi que les commerçants et autres piroguier, qui étaient le plus regardant pour l’argent. Mais dans les villages les gens restaient très polis et accueillant, finalement assez paisible, bien que les rencontres restent à la fois belle, simple mais fatigante car la notion d’égalité entre noir et blanc en Afrique n’existe pas ou très rarement, amenant parfois beaucoup de superficiel dans les rencontres ou les gens ne se donnent pas toujours tels qu’ils sont.

DSCF3830

La bac entre Socambo et Ngato

Mes premiers jours au Cameroun me laissent l’impression inverse. Certes la police me laisse tranquille mais dans les villages,  la population m’accueille de manière presque brutale, ou rude, avec des mots à mi-chemin entre l’agressivité et la vulgarité. « Hé le Blanc, donne moi l’argent  » le blanc-ci, le blanc ça etc… » et des discussions qui pour un rien semblent vouloir dégénérer.

Après avoir traversé la frontière et obtenus mes tampons de sorties  et entrée  sans problèmes, je me pose dans un petit restaurant tchadien pour boire quelques chose et me préparer avant le prochain tronçon de 100 km qui me sépare du prochain village. Je demande à un jeune homme s’il connait les prix des hôtels bon marchés au Cameroun, en utilisant le terme « hôtel dans les villages ». Tout de suite une dame m’interrompt brutalement, haussant le ton: « On ne dit pas hôtel de village, on dit auberge ». Le jeune homme prend ma défense et lui répond que mon français est correct puisque j’ai précisé « hôtel de village ». Et ainsi la discussion s’envenime, le ton monte et je regarde ce jeune homme et cet femme s’engueuler pour une raison aussi insignifiante, l’une prétendant que mon français est mauvais, l’autre qu’il est correcte. J’ai presque l’impression que la femme va sortir un couteau lorsque soudainement, tout s’arrête. La discussion prend fin, sans crier gare, comme elle avait commencé. Et chacun reprend ses occupations normalement. 5 minutes plus tard la situation se repète, mais cette fois à propos de la distance pour rejoindre Yaoundé. Par la route du nord ou celle du sud? Là encore c’est presque à coup d’insultes qu’on débat pour savoir laquelle est la plus courte. Avant que tout finisse par s’arranger à nouveau. De manière encore plus subite que tout cela avait commencé.

C’est dans une ambiance assez « sanguine »  que je quitte Socambo; premier village camerounais de mon périple, et  me lance à l’assaut du 19ème pays de mon périple africain, le 28ème de ce voyage, avec l’intention d’arriver à Yaoundé pour la fin d’année et mettre un peu de clarté sur la suite.

DSCF3831

 

Retour dans la forêt

Très vite me voici à nouveau dans la forêt, à manger la poussière camions après camions. L’état de la route, qu’on me dit déplorable et impraticable plus de 6 mois dans l’année, n’arrange rien mais à vélo j’évite finalement les trous et autres bosses bien mieux que les camions.

DSCF3843

me voici à nouveau dans la forêt, à manger la poussière camions après camions.

C’est d’abord  le parc national de Lobeke que je traverse, mais cette fois pas d’animaux sauvages à l’horizon, si ce n’est ces singes toujours aussi agile et bruyant. Les nomades tchadiens qui amènent leur zébus au Congo sont les premiers humains que je croise le long de ma route au Cameroun.

DSCF3850

pas d’animaux sauvages à l’horizon, si ce n’est ces singes toujours aussi agile et bruyant

Un premier contact compliqué

Une fois le parc traversé j’entre enfin dans une région plus peuplée, des villages se trouvant de plus en plus régulièrement le long de ma route. Plus confronté à la population je m’acclimate peu à peu à ce nouveau pays, assez rude aux premiers abords mais qui finalement m’offre réflexion. En effet ce que j’ai  (trop) souvent observé en Afrique, et qui m’est très  pénible, c’est le complexe d’infériorité inconscient -par rapport aux blancs- qu’ont encore aujourd’hui bon nombre d’africains. Ici au sud-est du Cameroun j’observe un étonnant paradoxe, le complexe d’infériorité volant en éclat mais le « rêve européen » semblant plus fort que jamais.

DSCF3841

Les nomades tchadiens qui amènent leur zébus au Congo sont les premiers humains que je croise le long de ma route au Cameroun.

« En temps que blanc plus que je jamais je me sens désiré »

L’Europe fait rêver la majorité des africains que j’ai croisé mais jusqu’ici le tout avait été plutôt discret. « Tous les africains ne sont pas pauvres », cela semble être clair pour tous. Mais « tous les européens -blancs- sont riches », pensent de nombreux africains. Et ici au Cameroun on me l’exprime au quotidien. Tous les jours on me rappelle qui je suis: un blanc. Et on me rappelle d’où je viens: le monde des blancs, un monde où tout le monde est riche. Dans les grands villages -et plus tard dans les villes- je passe difficilement une journée sans me faire draguer de manière claire et directe. Oui on veut venir en Europe et on me le fait savoir. Mais là encore les camerounais me surprennent puisqu’en répondant négativement à leurs attentes j’ai tendance à les énerver; les vexer.

Les hommes aussi ont tendance à vouloir m’inviter  -ou demander de l’argent- quelques part (bar ou restaurant) dans l’attente, bien souvent, que ce soit moi qui paie.

En Afrique  de l’Est et Australe la mendicité était très fréquente, mais pratiquée généralement par les enfants. Ici il n’est pas rare de me voir demander de l’argent par les adultes de manière directe, pas toujours plus polis que les enfants.

Pourtant au-delà de ces « premiers rapport humains » parfois pénible se cachent beaucoup d’autres choses et notamment la curiosité qui poussent bon nombres de camerounais à me questionner et souvent m’arrêter le long de la route. Une fois le premier contact, souvent assez « brut », effectué, des discussions plus intéressantes prennent forment et l’accueil suit.

Parfois j’observe une grande fierté, une forte envie des locaux à se « débarasser » du blanc qui agit encore bien souvent -économiquement parlant tout du moins- en tant que colon ou qui profitent de la situation et des avantages qu’êtres blancs procurent en Afrique. Cette fierté est fortement ressentie et parfois la rancoeur qu’on certains camerounais à mon égards -et des blancs en général- est régulièrement observable. On me traite de « sale blanc » ou « sale peaux blanches » et quelques mètres plus loin on m’invite généreusement pour manger voire parfois…dormir à l’hôtel. En fait dans les quelques premiers gros villages que je traverse il m’arrive de traverser une rue en me faisant inviter pour une bière ou pour manger plusieurs fois, entrecoupé d’un ou plusieurs propos raciste et/ou désobligeant autres à mon égard. Les camerounais s’expriment, avec fierté et sans peur ni gène et si cela peut être épuisant voir blessant, j’en retire aussi qu’ici, le complexe d’infériorité est moins marqué, parfois inexistant et c’est peut-être là le principal.

Mais mes impressions sur ce nouvel environnement changent de minutes en minutes, m’offrant cette sensation que tout peut arriver, le meilleur comme le pire, à l’entrée de chaque virage.

En direction de Yaoundé

Après quelques jours de route, je bifurque sur un raccourcis, rentrant à nouveau dans une épaisse forêt poussiéreuse ou j’enchaîne les collines les unes après les autres. L’état des routes déplorables ajoutes un peu d’isolement à une région qui l’est déjà beaucoup géographiquement, isolée. Il en ressort  ces rapports humains si particuliers, dans les quelques petits villages que je croisent,  vécus déjà tant de fois en Afrique. Dans ces régions ou l’isolement géographique s’ajoute aux mauvais états des routes qui compliquent sérieusement les déplacements, les habitants que je croise se retrouvent souvent avec un horizon, une réalité,  bien différente du voyageur que je suis, voyageant pour le plaisir, avec un horizon changeant de jour en jour.

DSCF3919

Une fois le premier contact passé, je découvre alors des gens curieux et accueillant

Mais fière de mes 2 ans sur les routes africaines je décide de réagir différemment. De prendre le temps de vivre les rapports humains, de ne pas juger dès les premières sollicitations et au contraire prendre le temps de « m’attarder ». Une fois le premier contact passé, je découvre alors des gens curieux et intéressant et  très accueillant, comme le soir ou demandant pour planter ma tente dans un village on m’offre un lit, ou on m’envoie dans la scierie proche ou je peux dormir chez le grand patron, très accueillant.

DSCF3913

on m’envoie dans la scierie proche ou je peux dormir chez le grand patron, très accueillant.

Le regard que me porte bon nombre de villageois est également particulier. Assez rude, voir malpoli. « Le blanc, le blanc » s’écrie de nombreux hommes qui me regardent passer. Parfois on m’arrête même sur la route, de manière un peu agressive. « Ou vas-tu? » « Il faut t’arrêter à la chefferie du village » me dit-on. Et si je ne m’arrête pas on ne comprend pas, un peu comme si je fuyais. Alors je m’arrête, poli et souriant bien que sur mes gardes.

« Je fais le Tour d’Afrique à vélo. Je vais à Yaoundé ». Les visages se détendent, surpris mais amusé. Certains ont du mal à me croire, mais en montrant mon passeport et mon visa de tourisme, tout le monde se calme. Alors on me demande mon numéro de téléphone accompagné d’un « on est ensemble » et puis quelques questions plus tard je peux reprendre ma route. On me souhaite bon voyage.

Ainsi passe mes premières journées sur cette route assez isolée.

DSCF3878

l’isolement géographique s’ajoute aux mauvais états des routes

Au fil des jours je  m’acclimate gentiment au niveau « climat » qui m’entoure. Un climat ou la réalité, l’horizon, du voyageur que je suis, plus vaste et m’habituant -en m’obligeant- sans cesse à une relative adaptation, tranche de fait avec celle des locaux, dont le monde s’arrête parfois à quelques villages plus loin, dû à l’isolement du lieu et le manque de moyen de transports. C’est à dire qu’ici  l’horizon des locaux ne sort pas toujours de la forêt, ou seulement occasionnellement. Une forêt dense avec laquelle j’arrive gentiment au bout, l’ayant suffisant exploré.

DSCF3889

Ici l’horizon des locaux ne sort pas toujours de la forêt

 Olivier Rochat