Un Noël à l’abri du consommant

Km 38’692, Abong-Mbang, Cameroun.

« Epuisé par le paludisme, l’isolement du lieu ou  la crise se sera déclarée, j’ai pu profiter de l’humanité des locaux qui peu à peu m’ont offert de leur générosité, leur soutien. De simple « blanc de passage » le premier jour, je suis devenu Olivier, voyageur malade et épuisé. Pour vivre finalement un Noël pas comme les autres avant de connaître un peu le quotidien, parfois dramatique, de ce petit village en pleine forêt tropicale. »

Olivier Rochat, le 29 décembre 2016

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Malade mais privilégié

Le paludisme. La fièvre typhoïde. Des maladies plutôt effrayantes aux oreilles d’européens. En tout les cas les miennes du temps où je préparais encore sagement mon périple africain. Deux maladies que je côtoie régulièrement depuis plusieurs mois avant de finalement les ressentir d’un plus près. Une expérience pour le moins épuisante. Physiquement bien sûr, mais psychologiquement également. Deux maladies qui, en me « terrassant », m’ont permis de prendre encore plus  conscience du privilège que nous avons en tant qu’occidentaux en ayant les moyens de se soigner. De rentrer chez soit ou simplement de trouver de l’aide sur place. Car se sont bien des maladies qui se soignent et pour pas très cher en soit mais qui, néanmoins, tuent encore aujourd’hui énormément de monde qui n’ont pas les moyens de se soigner, financièrement parlant ou à cause de l’isolement de leur lieu de vie. Le paludisme à lui seul tue plus d’un demi-million de personne chaque année, offrant au moustique le titre de « créatures vivante » la plus dangereuse pour l’homme, loin devant l’homme lui-même. Les victimes sont majoritairement des enfants, des personnes âgées, des femmes enceintes ou des personnes affaiblies, par-exemple par le virus du SIDA.

En m’isolant dans la forêt

Après mon entrée au Cameroun par une frontière assez isolée, au sud-est du pays, j’ai continué en remontant sur le Nord, découvrant un Cameroun sauvage, avec des pistes souvent mauvaises et que l’imposante poussière renvoyée par les grumiers et les incessantes collines ont rendues difficiles. Epuisantes.

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avec des pistes souvent mauvaises et que l’imposante poussière renvoyée par les grumiers et les incessantes collines ont rendues difficiles

Mais en bifurquant sur l’ouest par un raccourci afin d’éviter la grande route principale, je m’enfonce dans une région encore plus isolée, traversant néanmoins quelques villages le long de ma route, mais ces derniers diminuent de jour en jour. Ainsi après 7 jours au Cameroun couvrant près de 500 kilomètres je n’ai pas encore trouvé d’électricité, à l’exception de générateurs fonctionnant de 18 à 21 heures dans les plus gros villages que j’ai traversé.

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trouver des sources d’eau fraîches et potable est un véritable bonheur puisqu’il s’agit là de la seule et unique occasion de me rafraîchir

Dans ces conditions trouver des sources d’eau fraîches et potable est un véritable bonheur puisqu’il s’agit là de la seule et unique occasion de me rafraîchir. J’en profite bien évidemment pour me laver.

Un Noël pas comme les autres

Au soir du 23 décembre, alors que je passe ma nuit dans un petit village je ressens un très faible état grippal. Je suis très fatigué, je n’ai pas faim mais la journée à été longue et difficile, je m’endors sereinement. Au matin je me sens un peu mieux, un peu fatigué certes mais je décide de reprendre la route gentiment, de toute manière je n’ai pas le choix. Quelques village accompagnent ma route lors des 10 premiers kilomètres, puis je m’enfonce dans une forêt plus dense et à ce stade là il m’est impossible de savoir que le prochain village se trouve dans 80 kilomètres. S’enchaînent alors un vaste terrains de collines qui m’accompagneront toute la journée jusqu’à mon arrivée dans un petit village à l’entrée de Messok, le plus gros village du coin, alors que la nuit est déjà tombée. Je suis épuisé après une journée de plus de 100 kilomètres sur un terrain difficile.

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plus de 100 kilomètres sur un terrain difficile.

Nous sommes au soir du 24 décembre, je me dirige vers le chef du village qui, après vérification de mes documents m’autorise à planter ma tente en face de sa maison. Cette dernière est une petite maison de terre avec deux entrées et 3 pièces.

On trouve ainsi une chambre principale, une salle, sorte de salon, où le chef du village passe de nombreuses heures à discuter avec les villageois qui viennent lui faire part de leurs problèmes et différents. Ici le chef de village décide de tout ou presque et ce soir se trouvent quelques villageois venu discuter de différents problèmes de terrains ainsi qu’un homme qui s’est fait volé un sac de banane et vient se plaindre. On trouve encore une dernière chambre avec un vieux matelas qui, bientôt, me servira de lieu de repos salvateur. Mais je ne le sais pas encore et ce soir je suis simplement fatigué.

A une centaine de mètres de là se trouve le seul bar du village dans une petite boutique où l’on vend quelques bonbons, des bières, des biscuits, quelques feuilles et autres stylos et c’est un peu tout. Le majorité des villageois sont musulmans mais quelques petites lumières ont été installées pour éclairer le bar en ce soir de Noël et les enfants dansent sur la musique vivante qui tourne à plein régimes. Ici se mélangent adultes et enfants, femmes et hommes, bantous et pygmées et un seul blanc: moi. Mais les gens ne m’en tiennent pas rigueur et ce soir pas de remarque ni arnaques, je peux même dire que je suis à l’aise à observer avec un certain amusement les plus jeunes qui dansent à tour de rôle. L’un après l’autre, les jeunes s’avancent et dansent en face de tout le monde, comme sur une sorte de show. Les applaudissements et la joie se ressentent et ce soir Noël est simple. Mais Noël est beau. Pas de cadeau, pas de folie, le Dieu argent semble à la traîne dans cette région  et s’il est vrai que la famille manque, Noël est agréable.  Mais fatigué je reste un peu après m’être cuisiné un couscous accompagné du dernier concombre qu’il me restait ainsi qu’une boîte de sardine, une Guinness, bière répandue au Cameroun, pour seule « folie ». Je m’endors, pensant profiter d’une bonne nuit de sommeil pour repartir au matin.

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Je discute alors avec les femmes du chef

Mais il n’en sera pas ainsi. La fièvre débute alors accompagnée de gros grelotements, des douleurs au dos et aux membres. Impossible de m’endormir. Au petit matin la fièvre n’est pas très forte mais je n’arrive pas à me lever. Même un effort pour me retourner me paraît insurmontable et maintenant de gros maux de ventres accompagnent mes douleurs aux muscles. Ce n’est que pour aller aux toilettes  que je me lève et là débute une grosse diarrhée qui durera plusieurs jours. Dans ces conditions il m’est impossible de continuer mais heureusement il me reste des médicaments curatif contre la malaria qui font diminuer la fièvre. Heureusement car ici on en trouve pas d’hôpital. Je demande au chef du village si je peux rester me reposer et naturellement cela ne pose aucun problème.

Ainsi se passe ma journée de Noël. J’observe les villageois entrer et sortir de la maison du chef, passant le plus clair de ma journée couché, sans réussir à fermer l’oeil ni avaler quoi que ce soit, si ce n’est de l’eau et un soda qui ressort presque aussi rapidement qu’il était entré. Mais peu à peu mon rapport avec le chef du village s’ouvre alors que jusqu’ici j’observais une certaine méfiance, une certaine distance.

Le lendemain, après une nuit blanche mon état s’améliore mais je me sens un peu faible. Très faible même et bien sûr il m’est impossible de reprendre mon chemin. Je décide de me reposer et l’après-midi, de faire ma lessive. Je discute alors avec les femmes du chef – ce dernier à trois femmes- puis nous jouons à un jeu de société jusqu’à ce qu’un orage arrive, m’obligeant de plier ma tente à la hâte. Dès lors je profiterai de la 2ème chambre, laissée libre ce matin par le plus grand fils du chef qui est parti en ville.

Entre la vie et la mort

C’est alors que le chef rentre de Messok, nous apprenant alors une terrible nouvelle: le premier des fils d’une des femmes du chef est décédé. Ce n’était pas le fils du chef, puisqu’il était né d’un précédent mariage. Aussi sa mère ne vivait plus avec lui ce qui ajoute du choc à la nouvelle. Encore une fois je sens la mort rôdé autour de moi, comme c’est bien souvent le cas en Afrique où j’y suis souvent confronté de manière indirecte. Paludisme, accident de voiture, SIDA, les causes sont nombreuses et souvent on me dit qu’en Afrique la vie est bon marché. Pour un rien la mort emporte. A 20 ans n’avoir plus ses deux parents, c’est presque normal pour beaucoup de monde que j’ai rencontré. Avoir perdu un fils, une fille, pareille. Bien souvent lorsque je dors chez l’habitant on me pose cette question: tes parents vivent-ils toujours? Et lorsque ma réponse est « oui » on se surprend de mon voyage solitaire, sans but lucratif, qui n’a pas pour but d’améliorer la situation économique de ma famille. Le rapport à la famille n’est pas le même, le rapport à la vie, et donc à la mort, non plus. Au Congo j’observais de nombreux cimetière le long des routes, ces derniers étant disposé le long de la route, à proximité des villages, je ne passais pas une journée sans apercevoir une cérémonie d’enterrement, une tombe toute fraîche ou au moins des fleurs disposées à côté d’une photo d’un jeune homme récemment décédé. Et puis souvent lorsque je dors chez l’habitant je garde contact. Avec les réseaux sociaux les nouvelles vont vite et j’apprends régulièrement la mort d’une personne que j’ai rencontré récemment, de son frère, de son fils, des suites d’un accident de la route ou d’une crise de paludisme. La mort est omniprésente.

Le chef me dit que le jeune garçon est tombé malade voici  quelques jours. La malaria l’a emporté. Dans ces conditions j’ai l’impression de déranger mais nous voici dans la salle où le chef reçoit les villageois. Le chef m’invite à m’asseoir et j’observe les discussions dont je ne comprends pas toujours le thème. Parfois on me questionne sur ma présence, les raisons de mon voyage. Certains pensent que je suis un documentariste pour la télévision, d’autres me voient simplement comme un touriste et certains pensent que  cycliste est mon métier. La tristesse des femmes, qui se tiennent à l’extérieur se mélange à la distance des hommes, et moi je ne sais pas trop où me mettre mais paradoxalement c’est à partir de maintenant que nos rapports vont grandement s’améliorer, ou s’ouvrir car ils n’étaient pas mauvais jusqu’ici. Je fais maintenant presque partie de la famille, au soir nous mangeons du Fufu avec de la viande. Un repas très simple mais bon, bien que j’aie beaucoup de mal à l’avaler car que je n’ai absolument pas faim. Je me force mais il met impossible d’avaler plus que quelques bouchées. J’essaye de me reposer mais j’ai l’impression de me fatiguer, d’autant que je n’arrive pas à dormir depuis 3 jours. Quelques heures après la nuit tombée, un énième cri retenti, des pleurs, des énervements. Et puis j’entends une moto qui part. Un homme est venu chercher la mère de l’enfant décédé et l’amène chez son ancien mari.

Et puis la vie reprend ses droits, bien qu’elle n’aie jamais réellement cessé, ni freiner. Quelques larmes coulent parmi les nombreux enfants qui m’entourent dans cette maison. On s’occupe à tour de rôle du dernier né qui n’a que trois semaines. Les autres sont déjà tous très indépendant. La vie arrive et repart à une vitesse folle et, après une journée supplémentaire dans ce village, je décide de reprendre la route. Un  remède local, une sorte de thé au feuilles de goyavier et de deux arbustes dont je ne connais le nom, m’aura remis provisoirement sur pieds.

Après une journée pénible j’arrive enfin à Lomié, le plus grand village depuis mon arrivée au Cameroun où j’arrive brièvement à atteindre mes parents. La dernière fois que je les contactais j’apprenais qu’un proche, malade depuis de nombreux mois, venait de nous quitter. Aujourd’hui j’apprends que je suis oncle depuis près de 10 jours…

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On s’occupe à tour de rôle du dernier né qui n’a que trois semaines

La vie continue

Aujourd’hui cela fait plus de 2 ans que je suis en Afrique, alors que mon voyage initial aurait dû durer 2 ans en tout. Je ne sais pas encore que la maladie que je trimballe est bien le paludisme, et que ce dernier s’accompagne d’une fièvre typhoïde. Ce n’est qu’à Abong Mbang, que j’aurai rejoint en faisant du stop, que je pourrai enfin faire mes tests et débuter un traitement.

Pour accompagner ces derniers il me faudra du repos et encore une fois le voyage se prolonge suites aux imprévus. Mais en Afrique j’aurai appris que nous savons quand nous partons, mais jamais quand nous arrivons. Dans ces conditions l’Homme ne subit pas le temps, bien qu’il ne puisse le contrôler. Si la réunion a lieu à 14 heures, l’Homme va s’organiser pour se réunir à 14 heures. Il subit. Mais d’une certaine manière la réunion n’aura pas lieu à 14 heures. Elle aura lieu lorsque les gens se seront réunis. Ainsi l’Homme ne subit plus le temps. Peut-être est-ce  un aspect qui me manquera  lorsque je rentrerai et noterai mes rendez-vous dans un agenda. Car finalement nous écrivons nos actes sociaux sur un agenda, comme si nous avons peur de les manquer. Alors que c’est le meilleur moyen de manquer les vrais actes sociaux, qui se construisent et s’apprécient au fil des imprévus.

La critique est bien facile mais elle n’est pas mon but. Celui-ci est simplement de constater. Et de ne pas oublier, en ces instants où la famille manque et où je m’en veux profondément de ne pas être là, que nous ne nous retrouverons pas le 15 octobre ou le 18 décembre, ni même le 12 novembre, mais seulement lorsque nous serons réunis à nouveau.

Car ce qui compte finalement c’est le chemin, pas la destination. C’est ce qui trouve entre le point A et le point B car n’est-ce pas en perdant son chemin que l’on retrouve ses pas? Les objectifs sont bien sympa mais ils n’en restent pas moins des oeillères au monde qui nous entoure. Aujourd’hui je ne cherche plus à « faire » ni à « voir », ni même à chercher quoi que soit mais j’ai fait le choix d' »être » et peut-être est-ce pour ça que mon retour se prolonge.

Mais l’Afrique dans son ensemble est aussi là pour me rappeler que nous avons beau  être tous frères et soeurs, nous n’avons qu’une seule famille et qu’elle aussi fait partie du chemin.

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Les objectifs sont bien sympa mais ils n’en restent pas moins des oeillères au monde qui nous entoure.

 

Olivier Rochat

 

 

 

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