Km 38’435, Ngato, Cameroun.
Le 20 décembre 2016, après 80 jours au Congo-Brazzaville, j’ai enfin rejoins le Cameroun, 19ème pays de ce voyage.
Voici un texte écris le long de la route, quelques jours après mon entrée au Cameroun par la frontière séparant Ngato de Socambo, au sud-est du Cameroun:
Nouveau pays, nouvelles impressions
« Me voici (enfin) au Cameroun, à l’extrême sud-est du pays que j’arpente depuis quelques jours. Si c’est avec bonheur et sans regret que je laisse l’incroyable et fatigante bureaucratie congolaise derrière moi, ainsi que les problèmes et demandes de paiement « pour que cela fonctionne » qui vont avec, c’est avec plus de regrets que je laisse la quiétude et politesse des congolais derrière moi. En effet puisque dès mes premiers kms au Cameroun j’observe une grande différence dans la manière qu’ont les gens de m’aborder. Me voici visiblement redevenu « le Blanc », celui qui a l’argent. Au Congo c’était la police, ainsi que les commerçants et autres piroguier, qui étaient le plus regardant pour l’argent. Mais dans les villages les gens restaient très polis et accueillant, finalement assez paisible, bien que les rencontres restent à la fois belle, simple mais fatigante car la notion d’égalité entre noir et blanc en Afrique n’existe pas ou très rarement, amenant parfois beaucoup de superficiel dans les rencontres ou les gens ne se donnent pas toujours tels qu’ils sont.
Mes premiers jours au Cameroun me laissent l’impression inverse. Certes la police me laisse tranquille mais dans les villages, la population m’accueille de manière presque brutale, ou rude, avec des mots à mi-chemin entre l’agressivité et la vulgarité. « Hé le Blanc, donne moi l’argent » le blanc-ci, le blanc ça etc… » et des discussions qui pour un rien semblent vouloir dégénérer.
Après avoir traversé la frontière et obtenus mes tampons de sorties et entrée sans problèmes, je me pose dans un petit restaurant tchadien pour boire quelques chose et me préparer avant le prochain tronçon de 100 km qui me sépare du prochain village. Je demande à un jeune homme s’il connait les prix des hôtels bon marchés au Cameroun, en utilisant le terme « hôtel dans les villages ». Tout de suite une dame m’interrompt brutalement, haussant le ton: « On ne dit pas hôtel de village, on dit auberge ». Le jeune homme prend ma défense et lui répond que mon français est correct puisque j’ai précisé « hôtel de village ». Et ainsi la discussion s’envenime, le ton monte et je regarde ce jeune homme et cet femme s’engueuler pour une raison aussi insignifiante, l’une prétendant que mon français est mauvais, l’autre qu’il est correcte. J’ai presque l’impression que la femme va sortir un couteau lorsque soudainement, tout s’arrête. La discussion prend fin, sans crier gare, comme elle avait commencé. Et chacun reprend ses occupations normalement. 5 minutes plus tard la situation se repète, mais cette fois à propos de la distance pour rejoindre Yaoundé. Par la route du nord ou celle du sud? Là encore c’est presque à coup d’insultes qu’on débat pour savoir laquelle est la plus courte. Avant que tout finisse par s’arranger à nouveau. De manière encore plus subite que tout cela avait commencé.
C’est dans une ambiance assez « sanguine » que je quitte Socambo; premier village camerounais de mon périple, et me lance à l’assaut du 19ème pays de mon périple africain, le 28ème de ce voyage, avec l’intention d’arriver à Yaoundé pour la fin d’année et mettre un peu de clarté sur la suite.
Retour dans la forêt
Très vite me voici à nouveau dans la forêt, à manger la poussière camions après camions. L’état de la route, qu’on me dit déplorable et impraticable plus de 6 mois dans l’année, n’arrange rien mais à vélo j’évite finalement les trous et autres bosses bien mieux que les camions.
C’est d’abord le parc national de Lobeke que je traverse, mais cette fois pas d’animaux sauvages à l’horizon, si ce n’est ces singes toujours aussi agile et bruyant. Les nomades tchadiens qui amènent leur zébus au Congo sont les premiers humains que je croise le long de ma route au Cameroun.
Un premier contact compliqué
Une fois le parc traversé j’entre enfin dans une région plus peuplée, des villages se trouvant de plus en plus régulièrement le long de ma route. Plus confronté à la population je m’acclimate peu à peu à ce nouveau pays, assez rude aux premiers abords mais qui finalement m’offre réflexion. En effet ce que j’ai (trop) souvent observé en Afrique, et qui m’est très pénible, c’est le complexe d’infériorité inconscient -par rapport aux blancs- qu’ont encore aujourd’hui bon nombre d’africains. Ici au sud-est du Cameroun j’observe un étonnant paradoxe, le complexe d’infériorité volant en éclat mais le « rêve européen » semblant plus fort que jamais.
« En temps que blanc plus que je jamais je me sens désiré »
L’Europe fait rêver la majorité des africains que j’ai croisé mais jusqu’ici le tout avait été plutôt discret. « Tous les africains ne sont pas pauvres », cela semble être clair pour tous. Mais « tous les européens -blancs- sont riches », pensent de nombreux africains. Et ici au Cameroun on me l’exprime au quotidien. Tous les jours on me rappelle qui je suis: un blanc. Et on me rappelle d’où je viens: le monde des blancs, un monde où tout le monde est riche. Dans les grands villages -et plus tard dans les villes- je passe difficilement une journée sans me faire draguer de manière claire et directe. Oui on veut venir en Europe et on me le fait savoir. Mais là encore les camerounais me surprennent puisqu’en répondant négativement à leurs attentes j’ai tendance à les énerver; les vexer.
Les hommes aussi ont tendance à vouloir m’inviter -ou demander de l’argent- quelques part (bar ou restaurant) dans l’attente, bien souvent, que ce soit moi qui paie.
En Afrique de l’Est et Australe la mendicité était très fréquente, mais pratiquée généralement par les enfants. Ici il n’est pas rare de me voir demander de l’argent par les adultes de manière directe, pas toujours plus polis que les enfants.
Pourtant au-delà de ces « premiers rapport humains » parfois pénible se cachent beaucoup d’autres choses et notamment la curiosité qui poussent bon nombres de camerounais à me questionner et souvent m’arrêter le long de la route. Une fois le premier contact, souvent assez « brut », effectué, des discussions plus intéressantes prennent forment et l’accueil suit.
Parfois j’observe une grande fierté, une forte envie des locaux à se « débarasser » du blanc qui agit encore bien souvent -économiquement parlant tout du moins- en tant que colon ou qui profitent de la situation et des avantages qu’êtres blancs procurent en Afrique. Cette fierté est fortement ressentie et parfois la rancoeur qu’on certains camerounais à mon égards -et des blancs en général- est régulièrement observable. On me traite de « sale blanc » ou « sale peaux blanches » et quelques mètres plus loin on m’invite généreusement pour manger voire parfois…dormir à l’hôtel. En fait dans les quelques premiers gros villages que je traverse il m’arrive de traverser une rue en me faisant inviter pour une bière ou pour manger plusieurs fois, entrecoupé d’un ou plusieurs propos raciste et/ou désobligeant autres à mon égard. Les camerounais s’expriment, avec fierté et sans peur ni gène et si cela peut être épuisant voir blessant, j’en retire aussi qu’ici, le complexe d’infériorité est moins marqué, parfois inexistant et c’est peut-être là le principal.
Mais mes impressions sur ce nouvel environnement changent de minutes en minutes, m’offrant cette sensation que tout peut arriver, le meilleur comme le pire, à l’entrée de chaque virage.
En direction de Yaoundé
Après quelques jours de route, je bifurque sur un raccourcis, rentrant à nouveau dans une épaisse forêt poussiéreuse ou j’enchaîne les collines les unes après les autres. L’état des routes déplorables ajoutes un peu d’isolement à une région qui l’est déjà beaucoup géographiquement, isolée. Il en ressort ces rapports humains si particuliers, dans les quelques petits villages que je croisent, vécus déjà tant de fois en Afrique. Dans ces régions ou l’isolement géographique s’ajoute aux mauvais états des routes qui compliquent sérieusement les déplacements, les habitants que je croise se retrouvent souvent avec un horizon, une réalité, bien différente du voyageur que je suis, voyageant pour le plaisir, avec un horizon changeant de jour en jour.
Mais fière de mes 2 ans sur les routes africaines je décide de réagir différemment. De prendre le temps de vivre les rapports humains, de ne pas juger dès les premières sollicitations et au contraire prendre le temps de « m’attarder ». Une fois le premier contact passé, je découvre alors des gens curieux et intéressant et très accueillant, comme le soir ou demandant pour planter ma tente dans un village on m’offre un lit, ou on m’envoie dans la scierie proche ou je peux dormir chez le grand patron, très accueillant.
Le regard que me porte bon nombre de villageois est également particulier. Assez rude, voir malpoli. « Le blanc, le blanc » s’écrie de nombreux hommes qui me regardent passer. Parfois on m’arrête même sur la route, de manière un peu agressive. « Ou vas-tu? » « Il faut t’arrêter à la chefferie du village » me dit-on. Et si je ne m’arrête pas on ne comprend pas, un peu comme si je fuyais. Alors je m’arrête, poli et souriant bien que sur mes gardes.
« Je fais le Tour d’Afrique à vélo. Je vais à Yaoundé ». Les visages se détendent, surpris mais amusé. Certains ont du mal à me croire, mais en montrant mon passeport et mon visa de tourisme, tout le monde se calme. Alors on me demande mon numéro de téléphone accompagné d’un « on est ensemble » et puis quelques questions plus tard je peux reprendre ma route. On me souhaite bon voyage.
Ainsi passe mes premières journées sur cette route assez isolée.
Au fil des jours je m’acclimate gentiment au niveau « climat » qui m’entoure. Un climat ou la réalité, l’horizon, du voyageur que je suis, plus vaste et m’habituant -en m’obligeant- sans cesse à une relative adaptation, tranche de fait avec celle des locaux, dont le monde s’arrête parfois à quelques villages plus loin, dû à l’isolement du lieu et le manque de moyen de transports. C’est à dire qu’ici l’horizon des locaux ne sort pas toujours de la forêt, ou seulement occasionnellement. Une forêt dense avec laquelle j’arrive gentiment au bout, l’ayant suffisant exploré.
Olivier Rochat