Km 49’927, Bo, Sierra-Leone.
Me voici au Sierra-Leone. Et voici un petit récit de mes premières impressions, pour le moinscontrastées.
Bo, le 24 octobre 2017
Encore une fois j’ai pu varier les mondes ces derniers jours. Entre le confort offert par mon hôte à Monrovia et ces premiers kilomètres surréalistes au Sierra-Leone, le contraste est saisissant et c’est peut-être bien l’une des choses qui me fascine le plus en Afrique, ou en tout les cas en voyageant.
Oui, il existe des routes goudronnées en Afrique. Oui, on y trouve de la connexion internet, des hôpitaux, des voitures, des smartphones et toute sorte de « technologies actuelles ». Mais ce qui change beaucoup par rapport à l’occident c’est leurs fréquences. Combien de kilomètres goudronné pour 10 millions d’habitants? Combien d’habitants pour un seul médecin? Combien de voitures pour 1’000 habitants ? Aujourd’hui on estime que 20% des africains utilisent couramment internet mais dans certaines villes, ou quartiers de ces dernières, tout le monde ou presque est connecté. Vous pouvez vous balader dans une capitale entouré de tours, de supermarché occidentalisé avec des ATM à tous les coins de rues et des cafés avec Wi-Fi, puis droit derrière passer 500 km sur des pistes complètement défoncée, traversant des villages construits de huttes, où l’on va chercher l’eau au puits, où le réseau, qu’il soit faible ou rapide, ne profite à presque personne car la majorité de la population ne sait pas lire, où l’on vit avec 5 dollars par semaine, parfois moins, et où beaucoup d’enfants n’atteignent pas 5 ans.
On passe parfois de l’Occident à des villages où personne n’a encore vu le goudron.
Technologiquement parlant il y a 1000 ans d’écart. Culturellement certainement pas. La technologie est imposée, de la hutte on passe au gratte-ciel, du sentier à l’autoroute, du troc au compte bancaire. Certes « j’image » un peu mais la culture -les traditions, les mœurs- a certainement besoin de plus de temps pour s’adapter que la technologie. Et c’est peut-être la, dans l’utilisation de cette technologie qui est de plus en plus présente, que réside certains des plus gros défis de l’Afrique.
« Hier les tribus éthiopienne défendaient leur troupeaux, se battaient, chassaient, avec des lances. Aujourd’hui, elles ont des kalachnikov. »
En voyageant à travers ce continent je me suis habitué à ces deux réalités, ces deux mondes qui vivent côte à côte mais, dans certains cas, sans jamais se regarder.
A Monrovia, capitale du Libéria, j’ai profité d’un confort occidental, de l’électricité, d’eau courante, de wifi, de nourritures variées, de boissons fraîches et même, grâce à la générosité de mon hôte, au tendre goût d’une brève vie sociale, soirée entre amis, anniversaires fêtés et soirées films!
Mais ce qui pourrait être vécu comme normal en Europe est ici vécu comme un privilège. Un privilège de riche, d’occidentaux parfois. Un privilège toujours. Mais ce privilège à un prix. Un simple tour au supermarché vous délestera facilement de plusieurs jours de salaire au niveau local, un restaurant étranger peut coûter autant chère qu’en suisse, un hôtel au standard européen n’en parlons pas et le prix d’un visa peut coûter 3 fois plus cher que plusieurs mois de salaire moyen dans le pays dans lequel vous vous rendez.
Oui, voyager pour le plaisir c’est un truc de riche. Même à vélo, même à pieds. Posséder un vélo, une bonne paire de chaussure, c’est déjà être riche en soit par ici -matériellement parlant-.
En quittant Monrovia, pour le moins sont centres, où je manquaient de me faire renverser par des voitures dont le coût peut dépasser 5X celui de mes 3 ans de voyage, j’ai quitté ce monde des privilégié, et sans transition, jamais, me suis retrouvé dans l’autre.
Direction la Sierra-Leone.
Mais qu’en sais-je de la Sierra-Leone ? Eh bien pas grand chose. Si ce n’est qu’on le décrit souvent comme l’un des pays les moins développé au monde, parfois cité dernier au classement (?) des pays par espérance de vie, atteignant à peine la moitié de celle du Japon. Une bien triste statistique certainement influencés par une tout autant triste réalité, celle d’une guerre civile qui dura 11 ans, se terminant en 2002. Ceci vous rappellera peut-être un film mondialement connu, « Blood Diamond » -avec Leonardo DiCaprio et Djimon Honsou notamment-, film dénonçant le marché des diamants de conflits à travers cette guerre terrible, immonde, qui ravagea la population sierra léonaise.
Une guerre qui fit environ 120’000 morts, entraînant l’horreur bien loin, très loin avec elle. Plusieurs milliers de personnes furent mutilées délibérément, notamment par l’amputation des mains pour les empêcher de travailler, et surtout, de voter. Le tiers de la population ( 2 millions environ) fut déplacés.
En plus de cela, de nombreux enfants et femmes furent enlevés. Les garçons enrôlés de force comme enfants soldats, les filles et les femmes transformées en esclaves sexuelles.
Aujourd’hui encore de nombreuses stigmates sont observables, 15 ans après la fin de la guerre.
Je cite: « on constate notamment un effondrement des structures sociales. Les valeurs culturelles et le sens de la communauté’ sont effacés. De plus la pauvreté extrême des familles explique qu’elles sont incapables d’accueillir un enfant orphelin. » Ces même enfants, jeunes survivants, filles violées ou garçons soldats, souffrant pour la plupart de dépression, présentent une très mauvaise estime d’eux-mêmes, de faibles compétences sociales et souvent de stress post-traumatiques. Le taux de suicide, durant les années d’après guerre, fût extrêmement élevé dans cette jeune population. Plus d’un enfant observé sur deux avouant y avoir déjà assisté… »
Ces quelques lignes que je lis me glaçent le sang, mais certainement pas autant qu’elles me questionnent. Et au delà d’un « pourquoi » -l’argent-, d’un » qui » -ceux qui aiment l’argent plus que la vie apparemment- ou d’un « comment » -fusils, machettes…-, j’en viens, pour la 1’000 ème fois au moins, à me demander mais comment un être humain, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne (???) peut-il en arriver jusque là, à demander l’horreur en mariage et en remettre une couche une fois que cette dernière a refusé???
Ça ne va pas sans me rappeler le génocide du Rwanda et ses centaines de milliers de morts. Je l’avais étudié, à l’école puis de manière personnel, mais le Rwanda que je découvrais en 2015, organisé, goudronné et efficaces, n’avait rien à voir avec ce que la lecture d’un génocide vieux d’à peine 20 ans me laissait penser. Certes, 20 ans ont passé. Certes…
Visiblement ce n’est pas encore le cas ici, au Sierra-Leone. Une fois entré dans le pays, très vite, je découvre la dure réalité du terrain sur des routes complètement défoncée. Je n’ai rarement vu ça. En effet des routes comme ça, c’est quasiment « inespéré ». Mais pour la population locales, un véritable cauchemar.
Chaque trajet peut prendre des heures et certains véhicules n’y arriveront tout simplement pas. Le long de la route j’aperçois, de temps à autre, des camions qui pourrissent là, abandonné, condamné peut-être, dans un monstrueux champ de boue.
Le pire, c’est qu’il s’agit d’une route Nationale. Nationale vous avez-dit?
Il s’agit là de la principale route reliant la Sierra-Leone au Libéria voisin. Une catastrophe.
Pourtant, ou devrais-je dire heureusement, la route va petit à petit s’améliorer jusqu’à devenir une piste correcte, jonchée d’innombrables bosses et de trous dû à l’érosion de l’eau ainsi que de brefs passage boueux, mais correct. Les villages restent quant à eux assez rare et peu développé. Quelques femmes le long de la route vendent de grosses noix de coco dont le lait me rafraîchira volontier, me sortant brièvement de l’écrasante torpeur de cet après-midi ensoleillé à l’humidité écrasante.
Chaque effort c’est transpirer. La saison sèche arrive petit à petit, les pluies se raréfient, et les après-midi sont parfois difficilement supportable, dû à l’humidité. Plus loin c’est un groupe d’homme qui m’invite à boire le vin de palme. Une boisson locale alcoolisé, enfin fermentée, très prisée en Afrique de l’ouest. Là aussi on essaie de se rafraîchir, de résister un peu aux températures. Mais pourquoi la majorité des hommes sont-ils vêtu d’énormes doudounes et portent un bonnet? Il doit faire 33°C avec plus de 80% d’humidité ! Mystère…
Mais j’avoue ne pas comprendre.
Plus loin je m’arrête sur un petit marché. Je vais enfin pouvoir manger. Du riz avec des feuilles de maniocs, comme toujours ou presque ces derniers temps. Un homme m’approche depuis derrière, tenant fermement un petit bout de papier plié. Il m’adresse la parole:
Do you buy Diamond ? Me dit-il, montrant son diamant.
No I dont buy diamond! Lui dis-je.
But you have money for food!
Yes I do have money for food. But not for diamond. Il s’en va. Comme si de rien n’était. Comme s’il n’avait qu’essayé de me vendre des bananes plantains ou des cacahuètes.
Pourtant, si je décidais d’acheter ce diamant -ou même simplement de le toucher- alors que je n’en ai pas l’autorisation (puisqu’il en faut une), je risquerai une peine de prison.
La siuation me fait un peu sourire, mais pas autant qu’elle me rappelle le Congo et ces situations absurdes où trouver de l’or est plus courant que de l’électricité. L’éducation n’en parlons pas.
Je ne suis jamais allé à l’école me dira un autre, plus tard. J’ai toujours travaillé dans les diamants. Les blancs achètent ça si chère, c’est un bon business ! mais pourquoi ? Semble-t-il, me demander, comme s’il s’imaginait que je s’aurai lui répondre pourquoi une pierre (!) peut avoir autant de valeur.
« Moi je n’achète que ce qui se mange, les diamants ne m’intéressent pas. » J’invite cet homme, sympathique, à partager mon repas. Il refuse poliment.
Pourtant, malgré cette situation qui m’apparaît absurde -un diamant peu valoir facilement plusieurs milliers de dollars-, les locaux ne semblent pas avoir perdu toute joie de vivre, ni le sens de l’accueil. Les premiers soir il m’est toujours facile de trouver un abri sec, que ce soit chez le propriétaire d’un petit bar qui me laisse planter ma tente dans son entrepôt ou chez le chef d’un grand village qui m’offre un lit, comme si souvent, la majorité du temps, en Afrique de l’ouest.
De cette situation délicate, cette souffrance cumulée, les sierra léonais ont en probablement acquis beaucoup de sagesse. Malgré la forte corruption de la police et le sous-développement général du pays, on ne se plaint pas. On se contente de ce qu’on a. Et pour être heureux, il vaut mieux. Car ici, au pays des diamants, on ne possède pas grand chose. Si ce n’est un passé douloureux, un futur incertain et un présent accueillant.
Enfin, lorsque je retrouve le goudron, je change de monde à nouveau, ou presque. Ou peut-être d’époque. Ou simplement de notion du temps. Les jours redeviennent des heures. Les minutes restent des minutes. Les voitures passent.
Je crois que la force avec laquelle l’être humain peut se battre pour survivre, que ce soit dans un camp de concentration de l’Holocauste ou ici en Sierra-Leone, me fascinera toujours.
Plus, je l’espère, que la force avec laquelle ce même être humain peut s’acharner à tuer son prochain.
Au Sierra-Leone.
Olivier Rochat
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