Km 47’771, Man, Côte-d’Ivoire.
Peu à peu le temps passe, il continue sa route et moi je continue la mienne. À travers l’Afrique, vaste continent, enchaînant kilomètres et pays les uns après les autres.
Tout à l’ouest du pays
Aujourd’hui me voici à Man, ville située à l’ouest de la Côte-d’Ivoire. La Guinée Conakry n’est plus qu’à quelques dizaines de kilomètres. Si j’en décide ainsi. En effet la région est bien trop belle pour passer tout droit. Je risque bien de passer encore quelques jours dans cette Côte-d’Ivoire toujours aussi accueillante, fatigante par ses routes franchement très moyenne, ses collines incessantes et la curiosité presque inégalable, en tout les cas inégalées, de ses habitants.
Tous les jours des dizaines de questions qui forment la quasi totalité des discussions qui décorent, un peu, beaucoup, mes journées. D’où viens-tu? Où vas-tu ? Pourquoi n’as-tu pas de voiture ? Donne moi ton vélo! (?), Pourquoi pédales-tu? Et j’en passe…
Ensuite viendra l’accueil. Dormir chez l’habitant. Une fois à côté de la mosquée, une autre profitant d’un petit matelas chez un jeune homme dans un village esseulé, une autre profitant d’une chambre électrifiée dans une mission catholique. En ce soir de pluie c’est un luxe que l’on m’offre. Le lendemain matin, avant de m’aventurer sur les routes boueuses de la région, j’assiste à la messe.
Nous sommes là à quelques centaines de kilomètres de La Basilique de Yamoussoukro, plus grand édifice catholique au monde, que je visitais la semaine dernière. Mais ne vous y fiez pas, nous sommes aussi en région musulmane. Les chrétiens sont ici minoritaire, la messe est simple et surtout chantée. Nous ne sommes qu’une dizaine ce matin et moi je suis bien loin, très loin de m’imaginer de ce qui m’attend dans un village que je traverserai quelques heures plus tard, sous un soleil retrouvé.
Au coeur d’une cérémonie traditionelle
Le village de Tala fête la construction récente d’un nouveaux puits. Si j’y entre avec une jolie vue sur la mosquée, c’est bien les chants et dansent qui retiennent mon attention.
Mais impossible d’apercevoir quoique ce soit, la foule est trop dense, trop compacte et puis je ne me sens pas forcément très à l’aise au beau milieu d’une cérémonie animistes où se baladent des hommes masqués, déguisé en léopards ou en arbres qui font fuir les enfants et parfois la foule également.
Mais cette fois on m’invite. Aussi c’est différent. Dès lors c’est un autre monde qui défile devant mes yeux. Je dirais plutôt, c’est deux monde qui défilent à la fois, qui s’entrechoquent sans pour autant s’anéantir, ni même lutter l’un contre l’autre.
J’ai maintenant en face de moi des dizaines de chefs locaux, traditionnels, assis devant une foule impatiente qui regarde le spectacle. C’est maintenant les masques qui prennent place, sous le bruit des tam-tams et autres percussions.
Voici le Léopard qui se déplace, s’assied devant les chefs locaux, tourne sur lui-même, s’en va défier un autre masque et là, soudain, il vient me saluer. Mais qu’est-ce que je dois faire ? Il faut le saluer! me dit-on. Je le salue. Maintenant donne lui quelque chose! Bien sûr c’est de l’argent qu’il veut. S’il vient te saluer et que tu ne lui donnes rien, il te jettera un mauvais sort et gare à toi. Au contraire si tu lui donne quelque chose, une pièce, il te protégera et tu seras le bienvenu dans le village. Tout du moins c’est ce que j’en ai compris.
Je lui donne une pièce. Il m’invite à le photographier. La cérémonie continue et chacun la regarde attentivement, avec presque une pointe d’inquiétude, mais pour sûr d’excitation. Mais dans ce monde qui m’est autant inconnu que fascinant prend place un autre monde qui m’est plus familier, celui de la technologie. Les tablettes, androïds par dizaines sont brandis en l’air. J’aperçois même une perche à selfie et soudain, comble de l’ironie, un drone vient filmer le tout. Ici dans cette campagne le réseau routier est déplorable, l’électricité se fait rare et les hôpitaux pas vraiment accueillant et pourtant les Android se déplacent en masse. Voici un peu de l’Afrique de 2017, du moins celle que je découvre. Connectée à internet mais toujours pas, ou si rarement, à l’eau courante.
Sous la pluie
Aux imprévus de cette cérémonie surprise s’ajoutent ceux de la météo. J’ai quitté la côte qui vit en ce moment la petite saison sèche, celle que j’appelle le « faux climat » car la pluie se fait rare, le soleil encore plus et la fraîcheur est de mise. C’est nuages nuages et nuages. Non ici le soleil est bien de retour mais ce n’est que pour annoncer la pluie que parfois il se montre. Les orages se succèdent sans aucune organisation, à midi ou à minuit, fort ou violent, long ou cours, il n’y a pas de règles ici. Aussi il faut faire avec, impossible de prévoir et ce climat correspond totalement aux mentalités que je croise. On fait avec, au jour le jour et presque à l’instant. On réagis plus qu’on prévoit.
Et ce soir j’ai de la chance lorsque soudain j’entre dans un petit village. Alors que 2 minutes auparavant le soleil frappait, des nuages sombres arrivent, nous foncent dessus et moi j’ai juste le temps de m’abriter sous un avant-toit avant que le ciel ne nous tombe littéralement sur la tête.
Quelques secondes plus tard il pleut des cordes. Astérix nous dirait bel et bien que le ciel nous tombe sur la tête et allez le comprendre, en 5 minutes montres en main une rivière traverse ce village dans lequel la vie semble s’être arrêtée. Ou du moins abritée.
Tout le monde est maintenant caché à l’abri et ne ressortira probablement que lorsque la pluie le leur permettra. Dans 10 minutes ou dans 3 heures, personne ne le sait. Les quelques bananes et tomates vendues dans la rue principale sont vite rangée et seul quelques malheureux cyclistes, femmes et hommes, apparaissent après quelques instants de déluges. Certains sont pressés de rentrer s’abriter, les autres ont compris que cela ne sert plus à rien de se presser, trempé pour trempé. Sous une pluie telle, fendant le ciel ainsi, vous n’avez pas dix secondes devant vous si vous compter rester sec. Tous rentrent du champ. Tous sont trempé.
Une fois ces derniers à l’abri, le village est maintenant totalement à l’arrêt. Des groupes serré d’hommes et de femmes se tassent là où ils peuvent, où les toits le permettent. Là où je me trouve, moi aussi, en compagnie de Camino et de quelques jeunes aussi intrigués que bienveillant à mon égard.
La route est maintenant recouverte de deux petites rivières qui traversent la rue principale du village. Les enfants ont vite compris le monde potentiel qui s’offre maintenant à eux et se jettent sans hésiter dans cette eau boueuse. On me dit parfois que l’Afrique est le sourire que nous n’avons pas, nous les occidentaux. Moi je ne suis pas tout a fait d’accord. Tous les africains ne sont pas souriant, il serait naïf et réducteur de le croire. Nonchalant, paresseux, appliqué, volontaires… L’Afrique est un peu plus que ça mais peut-être qu’il est vrai que le rapport à la vie, à la mort et surtout aux imprévus est plus simple et direct que le notre. Ce qui est sûr et certain en tout les cas, c’est le sourire des enfants d’Afrique. Eux qui seront peut-être parmi les derniers, un jour, à dire leurs propres enfants « moi je jouais dans la boue et c’était bien ».
J’ai maintenant devant mes yeux des trombes d’eau en spectacle, j’attends que Noé viennent nous sauver mais je n’aperçois qu’un parfum d’innocence remplie de joie. Il y a là dans cette eau boueuse un crocodile, le gendarme et 3 voleurs, Sinbad un peu perdu, un hélicoptère et une princesse dans une robe brune foncée qui, il y a 5 minutes encore, était rose. S’y mêle avec douceur l’innocence et la joie qui me fait dire que les vrais enseignants, ceux de la vie pour le moins, ce sont eux, les enfants.
Et lorsque la pluie s’arrête enfin, au soleil couchant, ils sont les seuls à rentrer chez eux. La vie reprend dans le village. Devenu maîtres des lieux sous cette pluie battante car suffisamment fou pour cela, les enfants redeviennent ce qu’ils ne sont que provisoirement, des enfants.
Les ados se dirigent au terrain de foot, le petit kiosque du village rouvres et quelques hommes viennent déjà y boire le café ou manger l’omelette. Moi je m’en vais chez le chef du village afin de lui demander si je peux passer la nuit dans son village, qui s’appelle Bibita.
Après son approbation je retourne chez Bloh qui m’invite à manger le Futu, une sorte de pâte épaisse et nourrissante à base de bananes plantains. Accompagné de poissons et d’aubergines savamment trempé dans une sauce pimentée le repas me remplira et comble du bonheur, ce soir je dormirai au sec. Heureusement car la pluie reprendra de plus belle pour ne cesser qu’au milieu de la nuit. En me laissant seul, bien seul au matin à traverser cette campagne verdoyante où les routes ne sont finalement pratiquement praticable que sur ma carte.
1000 jours en Afrique, déjà!
Mais si la saison des pluies est bien dur c’est pourtant bien elle qui est la plus belle à mes yeux. C’est elle qui fleurit les fleurs, verdit les près, pousse les arbres et les champs. La saison des pluies c’est aussi la saison de la vie.
Aujourd’hui pourtant j’ai l’impression de me répéter. De raconter la même histoire pour la 1000ème fois et si je décide d’écrire en ce jour ce n’est que par plaisir. Le plaisir d’être là finalement.
Oui car aujourd’hui est mon 1000ème jour en Afrique et m’y retrouver satisfait, content d’être là, c’est peut-être là ma plus grande satisfaction. En choisissant de rajouter une troisième année en Afrique, viser aussi plus de 30 pays, 50’000 kilomètres sur ce seul continent, je craignais un peu de faire « l’année de trop ». Celle qui me mènerait à ne plus avoir de plaisir, à « faire pour faire » ou à pouvoir dire « je l’ai fait ». Il n’en fut rien mais aujourd’hui mon regard sur l’Afrique, mes origines et moi-même n’est plus le même qu’hier. Je ne peux plus voyager comme je le faisais hier et ce qui avait de la signification hier n’en a plus forcément aujourd’hui. Ce qui m’émerveillait hier est devenu banal aujourd’hui alors que parfois ce qui m’était banale hier me rend heureux, souriant aujourd’hui. Alors oui ce soir le soleil se couchera devant moi pour la 1000ème fois sur ce continent et je ne peux ni dire « enfin » ni dire « déjà ».
« Voyager c’est changer et voyager constamment c’est changer constamment. »
L’Afrique pour moi est un mélange de changements et de répétition. Et pour l’apprécier encore aujourd’hui il me faut changer moi aussi. La regarder sous un autre angle. Aux premiers mois d’impatience ont suivit ceux de patience. Des pauses à n’en plus finir. Aujourd’hui si les détours continuent je ressens de plus en plus un besoin de reprendre un « rythme d’avant », comme pour mieux boucler cette boucle qui gentiment se referme.
Mais l’usure me rappelle à moi-même tous les jours, dans chaque village que je traverse où des dizaines de regards se braquent sur moi, où la gentillesse des locaux est aussi dirigée par l’intérêt. L’intérêt que suscite le blanc. Je comprends que rien ne sera plus jamais comme avant.
Mais est-ce que demain sera mieux ou moins bien je ne sais pas, finalement cela dépend du regard qu’on donne aux choses. « La beauté de ce monde ne dépend que de ton regard ».
Ici la gentillesse, la bienveillance est toujours quelque part, encore faut-il avoir l’énergie, l’intelligence pour l’apercevoir. La saluer. Une nostalgie m’a gagné ces derniers mois et si cette dernière devait m’offrir un seul vœu, simple et réalisable, autre que voir des proches, j’hésiterai. Oui j’hésiterai entre une bonne fondue bien de chez moi. Ou alors simplement quelques heures, une journée peut-être où je pourrait passer mon chemin, continuer ma route, sans que personne ne me dévisage constamment, sans que l’on m’appelle » le blanc » à tour de bras, qu’on me demande de payer le double de ce qu’on demanderait à un noir. Simplement passer mon chemin. Redevenir anonyme quelques temps.
Mais aujourd’hui n’est qu’une journée comme les autres, où je profite de me reposer. J’y trouve un restaurant qui vend des pizza, semble-t’il. L’occasion est bonne, ce n’est pas là une fondue mais l’occasion est trop rare pour la laisser filer.
Méfiant je l’avoue, j’appelle le serveur: est-ce que vous avez tout ce qui est écrit sur votre carte?
Oui bien sûr! me dit-il, souriant et sûr de lui.
Alors je prendrai une pizza s’il vous plaît.
Ah nous n’en servons pas! me répond-il toujours aussi confiant.
J’esquisse un sourire car la scène est connue. Répétée même. Un menu long comme le bras dont seul sont disponible quelques articles, à peu près les mêmes qu’au maquis, mais au double du prix. Ou quand on essaie de s’occidentaliser. Mais qu’on y arrive pas. Un mal pour un bien peut-être. Oui ce soir est ma 1000ème nuit en Afrique. Demain ne sera rien d’autre que le 1001ème jour.
Et finalement, ça me va très bien ainsi. Fondue et pizza attendront, et j’aurai le temps, en rentrant, la vie entière même, pour retrouver l’anonymat.
Celui de l’Occident.
Olivier Rochat
l Afrique est une belle plante que nul ne peut le contourner .