Km 5516, Silifke, Türkiye.
Avec des « si » Papa moi tu sais d’ici j’irais jusqu’en Afrique à vélo…
Et pi un jour le « si » devient « c’est »… le « c’est » devient « là »…
« Là » c’est un port que j’aperçois presque. A peine 300 kilomètres encore et j’y serai. Le bateau partira. Si tout de même les tensions egypto-turque restent ce qu’elles sont (merci Erdogan). Si tout de fois Israël et la Syrie ne s’enflamme pas plus encore car le bateau passe tout près de là. Si encore la météo reste ce qu’elle est… enfin si tout ça quoi, le bateau partira. Et si tout va bien ben tu vois dans une semaine moi je dors en Afrique…Enfin si Cargo veut bien me mener jusqu’au port d’Iskenderun, mais il tiendra je crois. Et le Cargo partira.. ça fait quelques « si » mais pas si beaucoup ça… Me voici donc sur la route d’Iskenderun!
Rouler de nuit pour atteindre le port
Silifke… de nuit. 20 heures passée. 135 km au compteur aujourd’hui, dont 40 de nuit. Le vent souffle et siffle violemment mais pas suffisamment pour me décourager. Iskenderun est encore loin mais se rapproche. Encore émerveillé par les nombreux kilomètres « bord de mer » d’aujourd’hui, je me laisse pédaler malgré la nuit. Il y avait ces falaises et cette route qui monte, monte et surplombe ces mêmes falaises. Un panneau qui m’indique « attention pente à 15 %! »… Ouh là… Dur dur!Petite route sur laquelle se dessine ma route et je pourrai bien y tomber en cas de faux pas… 100 ou 200 mètres plus bas et m’écraser sur un rocher en contrebas… et puis c’est la descente… 15 % à nouveau jusqu’à la prochaine crique d’où je recommencerai l’opération… Et toujours ces vues incroyables à l’horizon.
Reprendre la route, un rêve qui se rapproche
Pas facile de reprendre la route après 5 jours de repos. 5 jour de repos complet à Antalya. 5 jours pour dormir et prendre du poids en gros ! 5 jour inoubliable dans la famille d’Ulas et encore une fois ces rencontres qui marquent nos vies. Je me souviens de Tavi à Timisoara , de Mihail à Armin Vulcea, de Nicolae Dimitrov dans le très pauvre village de Zvezdet (Bulgarie). Mais je pourrais aussi te parler de Vasilii Tabac dans une station service moldave, de ces deux gamins miséreux de la Transfăgărășan ou encore de Tulcin, à Istanbul. Il faisait nuit, il faisait froid. J’étais pas beau à voir mais elle m’a vu. Là, crasseux et sans lumière au bord de la route, un peu beaucoup perdu… Perdu au milieu d’une ville de 15 millions d’habitants ou tu peux mourir dans l’inaperçu… Elle m’aperçu et ce partage que je ne saurai oublier… Oui ces rencontres qui ne sont écrites que sur la carte de nos vies et qui l’une après l’autre deviennent les villes de la carte de notre vie. Un jour on rencontre une capitale auquel on devient accros et si ça tient … on part y vivre. Ou pas. Car généralement ça tient pas…
Alors on reste chez soi à rêver du Stelvio, d’un miteux Las Vegas ou de je ne sais quoi. De je ne sais quelle autre évasion… L’esprit carré comme une télévision. A compter les calories, attendre notre petit chèque de fin de mois, rêver devant des visages photoshopé, l’esprit bafoué par les réseaux sociaux, le coeur stressé par un héritage qui ne vient pas, si ce n’est celui du mal être…Moi j’pense qu’on ferait mieux de compter sur soi sans rien attendre des autres et rêver un peu devant l’inconnu qui est bien plus riche que ce que l’on croit, laisser notre esprit vivre un tant soi peu en liberté,… Ou plus simplement : croire en l’inconnu, et parfois même le laisser décider… Enfin je sais pas… si ce n’est que Timisoara, Armin Vulcea, Cahul, Zvezdet, Istanbul ou Antalya… Non aucun de ces lieux n’était sur la carte de ce voyage… Pourtant ils resteront à jamais gravé dans mon coeur…
Pluie et bivouac de nuit
Enfin toujours est-il disais-je qu’il n’est pas facile de reprendre la route lorsque l’on s’est habitué à cette vie de sédentaire… Longue ligne droite toute plate et ennuyante cette première journée s’est faite rapide. Moi je roule à vive allure, jusqu’au au coucher du soleil où là, enfin, comme par magie, j’aperçois la mer. A nouveau. La nuit tombe je cherche un toit et après 40 km dans la nuit je le trouve, au haut d’une falaise, au pied de la route. Le lendemain s’est sous la pluie que je me réveille. Une pluie faible qui mais ne fera que s’accentuer sur plusieurs heures. Moi si je veux atteindre le port d’Iskenderun samedi matin pour prendre le bateau de samedi soir, je dois accèlerer la cadence, donc je continue. Sous la pluie.
Galère en bord de mer
Ca se calme en fin d’après-midi, le temps de jouer avec quelques chiens au haut d’une falaise de bord de mer. Casser la routine. Et cette vue incroyable, entre nuage noir et accalmie qui habite le ciel de mer. La nuit tombe. Je suis au pied d’une crique. La pluie revient. Je grimpe. Ma route grimpe, grimpe. La pluie elle tombe, tombe, tombe… toujours plus fort. Il fait froid peut-être 8 ou 9 degré. Moi je suis trempe je continue sans vraiment croire en cet inconnu là…Celui du vagabond trempé galère… ben tu vois moi j’te dis que je rêve de traverser l’Afrique à vélo mais là en cet instant un p’tit café, rien qu’un p’tit café, au bord d’un feu… putain c’est trop demander? et la pluie qui augmente, la route qui se dresse encore un peu, ce camion qui me klaxonne putain bon dieu c’est la galère en bord de mer…
Puis j’arrive au col, trempé. Heureusement il y a un restaurant et ce kebab énorme que je me laisse avaler, le bide défoncé mais le cerveau rassasié et puis ma journée je la finirai en camion, histoire de tricher un peu. C’est cet inconnu qui est revenu. Mevut Yaman et son camion qui pour pas un sou même pas pourboire m’a poussé un bout. Jusqu’à la prochaine ville : Anamur. Moi vagabond je dormirai parterre, au pied d’un camion, arrêté là sans occupant, au bord de route. A écouter la pluie taper toute la nuit sur le toit du camion, ruisseler à quelques centimètre de mon être. Couché là, parterre, entre la roue avant et la roue arrière d’un camion devenu maison.
Le retour du soleil
Mais ce matin le soleil a refait son apparition, je roule en bord de mer et au loin j’aperçois la neige qui est tombé bien bas sur les montagnes. Elle n’est pas loin de moi… Ni de ces palmiers qui me côtoient. Ah là ben finalement je la verrai la neige dans ce voyage… mais seulement loin, sans pouvoir la toucher. … le soleil est donc bel et bien de retour refait. La vague de froid s’en est allée, laissant places aux vagues de mer et à une douceur qui peu à peu reviendra. Dans trois jours il fera quoi ? 20 degré minimum… Cet inconnu qui me plein, pas de quoi se plaindre si ce n’est se remplir de provision car Iskenderun est encore loin… J’ai encore un bout à pédaler. Et puis après… on verra bien !
Olivier Rochat