Km 57’876, Anezal, Maroc.
Des paysages à n’en plus finir, aussi changeant que fantastique, un accueil tout aussi fabuleux, une piste traversant la montagne comme le font les sentiers, quelques rivières à traverser, quelques heures à pousser… Bref, les derniers jours au Maroc ont été fantastique. Plus encore qu’ils ne l’avait été jusque là.
Dans le classement des pays les plus touristiques d’Afrique dominé par les pays d’Afrique du nord et australe le Maroc arrive, avec plus de 10 millions de touristes -2015- et selon de nombreuses sources, en première position. Devançant notamment l’Afrique du sud et l’Égypte cette situation était difficilement imaginable il y a quelques années encore. Mais si le tourisme égyptien a beaucoup souffert du printemps arabes et du terrorisme grandissant dans la région, le Maroc a su éviter ces problèmes là et, au vu de ses multiples visages -mers, océans, montagnes déserts, oasis etc…- et ainsi que de son emplacement géographique, à deux pas de l’Europe pour ainsi dire, il n’y a rien d’étonnant à cela. Le pays tout entier semble miser sur le tourisme, s’organiser là autour pour montrer au monde entier sa stabilité politique, ses milles trésors naturels, sa richesse culturel ainsi que sa puissance économique. Villes et villages sont propres et électrifiées, la majorité des routes sont goudronnées, des bâtiments neufs poussent ici et là et l’impression de croissance économique que je découvre au Maroc, je ne l’ai découvert nulle part ailleurs en Afrique.
Pourtant je l’avoue, si j’ouvre un guide touristique un jour, c’est plutôt pour y lire où ne pas y aller. Pour faire court, plus un lieu est mis en avant, plus je vais avoir tendance à l’éviter, préférant la tranquille authenticité des lieux qui ne figurent sur aucun guide mais, tout au plus, sur une bonne carte routière. Là où la spontanéité est au centre des rencontres et la beauté d’un paysage ou d’un village arrive lorsqu’on ne s’y attend pas forcément.
Certes il y a eu quelques exceptions durant mon voyage, dont pour la plupart je ne garderai pas grand souvenir -j’y ai vu pas vécu-, et ce sera encore le cas ici au Maroc.
Mais jusque ici ma découverte du Maroc, et particulièrement de l’Atlas, c’était fait belle et sympathique. Ces derniers jours elle est devenue plus fantastique encore. Loin, très loin, des itinéraires les plus touristiques.
De retour sur les pistes
En quittant Taliouine, capitale proclamée du safran, je quitte la route principale et me dirige sur Askaoun, un village perché à quasiment 2’000 mètres d’altitude. Situé au pied même du Djébel Siroua, point culminant de l’anti-atlas (3’300 mètres d’altitude) et au sud-est du djébel Toubkal, plus haut sommet marocain (4’167 mètres) qui m’annonce mon arrivée prochaine dans le haut atlas, Askaoun n’est pas bien grand mais offre de nombreux points de vues sur les montagnes qui l’entourent. Malheureusement lorsque j’y arrive l’horizon est complètement bouché par une fine poussière, tel que c’est également le cas en Afrique subsaharienne lors des saisons sèches.
Mais ce soir il y a match, les habitants me sont sympathiques, aussi je passerai ma nuit dans le village, posant mon matelas dans un café après sa fermeture. Ce soir l’Espagne étrille l’Argentine comme jamais et le Maroc se rassure avec une victoire maîtrisée sur l’Ouzbékistan.
Et puis Askaoun retrouve sa tranquillité, la fraîcheur de ses nuits printanières. Et je m’endors les jambes lourdes par les près de 2’000 mètres de dénivellation positives de ma journée.
Au matin, l’horizon est encore plus voilé que la veille et je décide de rester encore, espérant le retour du ciel bleu. Mais, s’il ne viendra pas aujourd’hui, c’est Abdellah, dit Mike, déjà rencontré la veille dans l’un des quelques cafés du village, qui m’interpelle.
« Pourquoi ce drapeau mauritanien accroché à ton vélo ? » me demande-t-il.
« Oh pourquoi pas. Je pédale en Afrique depuis quelques temps. Le Maroc, le Sénégal, la Gambie, Sierra Leone, Ghana, Guinée et quelques autres encore. 33 pays en tout. Et maintenant le Maroc. Je rentre en Europe », en montrant tour à tour les autocollants qui décorent, dans un désordre profond et colorés, mon vélo.
S’engage alors une discussion qui en amènera bien d’autre avec ce jeune et fière retraité qui connaît l’Afrique politique et géographique comme très peu la connaisse. Finalement je passerai deux nuits supplémentaires à Askaoun, profitant d’explorer un peu des collines entourant Askaoun et du Souk hebdomadaire qui a lieu tous les jeudis. Soudain le village se remplit de vie, les quelques rues se chargent de stands d’oranges, de chaussures, d’outils en tout genre, d’épices délicieuses, de pâtisseries marocaines et les cafés se bondent de monde comme rarement. Le souk, c’est un peu l’événement de la semaine.
Et moi je le découvre avec plaisir, puis me laisse bercé par les histoires interminable de Mike qui m’explique la politique marocaine, le football, la musique tout en m’empêchant de payer ne fût-ce que mon café.
C’est peut-être en entrant chez l’habitant que l’on commence à s’imprégner d’une culture, la vivre et la partager. Que c’est lorsque l’aventure devient avant tout humaine que l’on se sent le plus humain, justement. Et que ses rencontres surgissent de nulle part, me prenant au dépourvus, faisant d’un vagabond un être à part, celui qui est bienvenu.
Avant de disparaître dans le précipice du temps qui passe. Et de nos différences. Éphémères mais authentique. Je ne suis que celui qui passe, les rencontres n’y sont que plus magique.
En quittant Mike et sa famille qui m’accueillirent deux jours durant, je retrouve très vite ma tranquillité animale, seul au milieu de quelques sommets qui m’entourent, poussant difficilement mon vélo chargé d’eaux et de nourritures pour gravir le prochain col, à plus de 2’500 mètres d’altitude. Des ruisseaux caillouteux viennent tour freiner mon avancée déjà bien lente alors qu’un troupeau de mouton s’enfuie à ma vue et le Toubkal, lointain, surgit tant bien que mal au fond de ce voile poussiéreux qui ferment l’horizon.
La piste est rude, remplie de cailloux qui font sauter mes roues à chaque mètre. Une voiture aura bien du mal à passer par ici. Un bon 4X4 ne suffit pas, il faut un bon conducteur également. Peu importe, je n’en apercevrai pas une seule, seul deux hommes, assis au dos de leur ânes respectif, croiseront ma route. Le temps d’un bonjour, de quelques mots d’amazigh volé à Mike qui me les as offerts le soir précédent. Puis d’un au revoir.
Enfin je redeviens animal, quelques temps encore, quelques kilomètres à peine. Avant de redevenir homme enfin, à l’approche du goudron. Et de passer ma nuit sur les pentes du djébel Siroua.
Inconnu face à des inconnus, on m’offre une miche de pain dans ce village où je remplit mes bouteilles d’eau. On m’offre une brique de lait (!) lorsque je ne demande rien d’autre qu’à dire bonjour.
Et ce matin, le ciel s’est éclairci.
Mi-animal mi-humain, je m’évade encore un peu au regard des montagnes qui m’entourent et se dévoile enfin.
Olivier Rochat