Km 37’904, Bétou, Congo-Brazzaville.
Mes dernières semaines au Congo furent difficiles et spectaculaires et les deux semaines que j’ai passé dans le département de la Likouala, a l’extrême nord du pays, très spéciale.
Parfois magique et extraordinaire mais très fatiguante comme l’est bien souvent ce pays.
J’ai passé quelques jours dans une région particulièrement coincée, traversant une forêt dense et interminable jusqu’au village de Bétou, tout au nord du pays dans la lucarne droite du département de la Likouala.
A l’extrême nord du Congo-Brazzaville
Bétou est le village principale d’une région isolée du reste du pays et frontalière du Congo-Kinshasa, que j’aperçois de l’autre côté du fleuve Oubangui, et de la république centrafricaine à quelques dizaines de km au nord. Une région unique dans mon voyage, l’une des plus isolées puisque pour rejoindre Bétou j’ai pédalé 480 km de pistes avec seulement 2 villages en ravitaillement.
Toute la particularité du Congo-Brazzaville fut représentée dans ces kms puisque nature, misère, richesse, accueille et bureaucratie déplacées se sont mélangée à travers l’immensité de cette forêt ou j’ai croisé différents animaux sauvages unique dans mon aventure le long du parc national de Nouabalé-Ndoki, avant d’affronter le « génocide des forêts » à sa sortie puis de nombreux villages pygmées où il me fut difficile, parfois, de différencier misère et simplicité. Enfin tout le mystère de la bureaucratie congolaise puisque que j’aurai eu droit à 7 contrôles d’identité (entre autre) pour trois villages traversé.
« Quel est ton métier ? « Me demande l’officier.
» Touriste ! »
Au milieu d’un monde sauvage
Y croiser chimpanzé puis finalement 2 gorilles le même jour fut quelques choses de totalement unique, mystérieux. Un imprévu qui ne fut que le suivant du précédent, précédant le prochain.
C’est au soir d’une journée déjà longue de 110 km et qui en verra 35 de plus que j’aperçois une tâche noire quelques dizaines de mètres en face de moi, peut être 200. Tout de suite j’aperçois la tête, les pattes avant, la position. Pas de doutes, il s’agit bien d’un gorille. Sur le bord de la route, il ne s’enfuit pas. Je m’arrête, bien conscient que l’instant est rare dans une vie.
L’instant dure bien une dizaine de minutes durant lesquelles j’observe tranquillement cet impressionnant animal. Ce n’est pas là le premier que j’aperçois, mais le premier que je peux observer, de loin certes. Lorsque je décide de reprendre ma route gentiment, je l’apercois qui me regarde. Puis il disparaît dans la forêt. Comme si de rien n’était.
Autour de moi cette épaisse et vaste forêt bruyante du bruit de ces habitants, de nombreux singes que j’aperçois ici et là, des oiseaux et autres animaux qui me sortent de la torpeur de cette piste droite et ennuyante qui me mène à travers cet interminable forêt dont les distances routières me rappellent au Namib namibien. Mais l’horizon vaste du désert est ici remplacé par celui, court et net, du prochain arbre soit en gros 10 mètres à gauche, pareil à droite. Un horizon très différent de celui du Namib mais qui pourtant agit comme ce dernier car il m’oblige à revenir à la base: m’assurer de transporter suffisamment d’eau. Manger, trouver un endroit pour passer la nuit.
En regardant ce gorille dans so n univers devenu si fragile par les « besoins » boulimiques de l’homme « moderne et évolués », beaucoup de choses me viennent à l’esprit.Car ce gorille, voué a disparaître dans un futur proche si rien ne change, pour moi il ne s’agit pas d’un like ni même de réseaux sociaux, encore moins de photographie ni de littérature. Loin des barreaux d’un zoo, Il s’agit bien de Liberté.
Une Liberté qui s’étiole encore et encore pour tout être vivant souhaitant vivre indépendamment de la masse des 6 milliards d’humains qui peuplent notre planète à la manière où l’on peuple un cinéma ou un stade de foot un jour de match. En somme comme une bande de gosse à la maternelle. L’innocence en moins.
Peut-être l’Afrique m’a t’elle changé, peut être est ce le coup de l’émotion, la solitude ou encore la malnutrition malsaine que je voit sur la majorité des enfants de ces régions isolées, le ventre ballonné, côtes saillantes. Certaines images ne peuvent quitter l’esprit.
Peut-être un peu de tout, une faiblesse dans ce monde là, celui du plus fort.Mais ce soir et c’est comme ça, quelques larmes me montent aux yeux, comme cela m’est arrivé quelques fois ces dernières semaines. Pas celles de la haine ou de la rage, de la colère ou de la peur ni de la frustration. Plutôt celles de l’émotion, de l’impuissance, celles pour dire j’existe comme me le montrent certains de ces paysans, de ceux qui m’invitent après une journée contre mendicité et corruption. En plantant ma tente dans leur village comme bien souvent, puis partageant quelques mots, parfois repas lorsqu’il y en a. Ces paysans sucé depuis toujours comme la majorité de ce continent qui a tant de mal à partager ses richesses, mais qui pourtant sait si bien donner le peu qui lui reste.
Une chaise pour s’asseoir. Toujours. De l’eau pour se laver. Toujours. Un Lit ou un endroit pour planter ma tente. La suite dépendra de la « richesse » du paysan en question.
Peut-être est-ce une larme de vie?
Mais…
« L’Afrique était sensée faire de moi un homme Voici qu’elle m’offre l’une de ces larmes
On me disait: « elle sera sale besognes
N’y va pas sans armes
Ou tu n’y reviendra pas, jeune homme »
Est-ce larme du gorille génocidé sous les flammes ?
Celle du paysan, sucé, qui s’ivrogne?
Ou simplement en ai-je gagné une âme? »
Lorsque jatteint l’endroit où le gorille se tenait il y a un instant, plus de traces. Il a disparu dans cette épaisse forêt et peut-être oui qu’il m’observe à quelques mètres, sans même que je puisse le voir comme c’est souvent le cas lorsqu’en passant a leur proximité, des singes se mettent a crier, j’entends les arbres bouger, les branches virevolter. Mais je ne vois rien. Ou si peu. Une touffe de poil qui m’apparaît. Le craquement D’une branche. Puis qui disparaît. Avalée par la forêt.
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De mon regard, tout semble s’y arrêter à quelques mètres, alors que c’est là que la forêt débute.
Rattrapé par la nuit
Enfin je continue. Il est tard, il fait bientot nuit. Soudain je croise une femme et un homme qui se tienne debout et immobile au milieu de la route. Silencieusement. Patiemment.
« Nous attendons qu’une voiture passe », me dit la femme.
Et cela peut prendre des heures. J’y retrouve tout l’étrange de ce pays, de ce continent à la fois impatient et d’une patience hors norme. Capable d’attendre des heures assis ou debout sans bouger ni rien dire jusqu’à ce que le bus ou le bateau passe, mais si impatient lorsqu’il s’agit de penser sur la durée. De construire , de prévoir.
Peut être est ce parce qu’ici plus qu’ailleurs, on vit au jour le jour. Demain est trop loin. Par conséquent on ne peut prévoir. Et Lorsqu’il y a à consommer on consomme. Et lorsqu’il n’y a pas, eh bien on attends. On construit une maison pour la prochaine pluie. Pas pour la vie.
La seule chose que l’on sait finalement c’est quand le bus va partir : lorsqu’il sera plein.
Aussi on ne se pose pas la question de savoir quand il va arriver.
En Europe la réunion aura lieu à 14 heures. C’est le temps qui décide, l’Européen le subit. Ici la réunion aura lieu lorsque les gens se seront réunis. Et bien que le temps agisse toujours à son aise, indépendamment de l’homme, ce dernier ne le subit pas.
Mais qu’est ce que cet homme et cette femme font là ? Le prochain village est à 50 km d’un côté, 150 de l’autre ! Je les quittes avec tout leurs mystère.
Et puis la nuit tombe. Je continue jusqu’à la prochaine barrière d’écho garde, qui d’après ce qu’on m’a dit n’est plus qu’a quelques km. La bas je pourrais y planter ma tente en sécurité. J’y trouverai de l’eau.
Mais la barrière ne vient pas, la nuit s’avance, les kms passent. Toujours je m’enfonce dans cette épaisse forêt, de temps a autre une voiture passe. Peut-être une par heure. Et ainsi va la vie. Ainsi va la nuit . par le clair de lune, par quelques lumières furtive qui montent et descendent, celles de ces petits insectes brillants comme des lucioles. Parfois deux yeux brillants qui jaillissent dans la forêt. C’était un singe. C’est finalement dans l’anonymat de la nuit que deux yeux fixes et me Fixant m’échappent. Grimpant une petite colline lentement, me vient soudainement cette impression d’être observé lorsque je vois deux yeux en face de moi. Deux yeux qui m’observent depuis le bord de la route et dont je ne peux distinguer de quel corps ils sont le guide. Serein mais sans savoir pourquoi je m’arrête, comme hypnotisé par la bête. Par deux yeux immobiles dans la nuit.
L’instant dure quelques minutes avant que, changeant de position, la lumière de ma torche peut enfin se poser sur la bête, sur sa pelure. Une fraction d’instant m’est suffisante pour comprendre qu’il ne s’agit pas du chat sauvage que je pensais observer. Les tâches noires sur fonds jaunes, aussi belles quinquiétantes, m’indiquent clairement de quel bête il s’agit.
Le temps s’arrête. Se fige. Si l’Afrique m’a appris à ne plus le subir, j’ai soudain l’impression de ne plus y appartenir. De vivre indépendamment de lui. Un peu comme si tout s’arrêtait autour de moi, mais que je pouvais continuer à penser. Regard figé. Transporté par la pensée, influencée par l’idée finalement glaçante de cette rencontre soudaine ou bien vite je me souvient que la mort est imprévue. Elle ne prévient pas quand elle frappe.
Mais qu’y a t’il de mieux pour se sentir vivant que de regarder la mort dans les yeux ? De la fixer, de lui parler du regard. Un regard pour lui dire « c’est toi qui va mourir! » Mais je ne vais pas attaquer.
Un regard qui se fige et qui dure l’espace de quelques instants cumulés, comme une lente seconde qui avance au ralenti, et dont les centièmes sont des minutes. Un cumul d’un court moment qui tourne au ralenti. Et finalement le seul sentiment qui me traverse l’esprit, c’est la fascination.
Je suis fasciné devant cette bête magnifique, qui me rappelle à National Géographique. Et vu qu’il ne s’agit pas de la mort, mais d’une bête en vie, je n’ai pas peur. Je suis bien, peut-être là où je dois être. Que si cette bête avait du m’attaquer il y a longtemps qu’elle l’aurait fait. Tiraillé par la faim ou précédemment blessée par un homme, c’est la qu’une bête est dangereuse. Et elle n’attend pas comme ça. Par conséquent, le seul danger que je vois à l’horizon et malgré la nuit, c’est mon attitude.
Je ne suis pas spécialiste mais ce que je sais c’est que tout ira bien tant que j’agirai de sortes qu’il en soit ainsi. Aussi je fixe ces deux yeux, étincelles dans la nuit. Et je m’evade à travers eux. Éternel infini.
Bien loin de m’imaginer que les ennuis n’ont pas encore commencé, que le jaune et noir d’un félin vont bientôt être remplacé par celui d’insectes me rappelant mon passé et mon père apiculteur. Et qu’il est bien plus facile d’affronter une bête imposante que de petits insectes presque insignifiant a l’oeil nu. Face au premier on peut s’imposer, s’enfuir, tuer. Face aux deuxièmes, on ne peut imposer nulle férocité, en s’enfuyant on vous suivra, en tuant il y en a toujours qui survivront. L’insecte n’entrera pas dans votre jeu. C’est lui qui jouera avec vous. Car pour lui vous n’existez pas.
Mais loin de me douter des misères de demain, je m’evade encore un instant dans les yeux de la bête, du félin. Égaré dans son jardin. Puis avalé par les mystères de la nuit. Par deux yeux infini.
Olivier Rochat