A dieu Kenya

Km 12’849, Kitale, Kenya.

Il y a trois jours une terrible attaque terroriste à eu lieu dans la petite ville de Garissa, à l’est du Kenya. 4 shebabs somaliens ont attaqué l’université  de Garissa, tuant aux passages 142 étudiants, 3 policiers et 3 militaires. Je me trouvais alors dans la ville d’Eldoret, à l’ouest du pays. Je venais de rejoindre la ville lorsque la nouvelle est tombée. Je fêtais également mon 200ème jour sur la route, et venais de récupérer mon appareil photo, enfin réparé…puis les images sont apparues. Le ciel s’est assombrit.

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Les images sont apparues

 Hier à Eldoret…

Le Kenya pleure, le ciel aussi.
148 morts… trucidés, dégommés. Simplement pour avoir étudié.

A défaut de savoir dessiner.

Cette fois encore ce fût une attaque, une vraie avec des morts, beaucoup de morts à la fin. Trop de mort comme toujours et ces récits effroyables, presque insoutenables, des survivants. Cachés parmi les morts. Barbouillés de sang… On a joué avec eux, on a joué avec la mort.

Certains corps ne sont pas identifiables, paraît-il. Mitraillée a bout portant, leur tête à explosé…Tel un vulgaire jeux vidéo.

On a joué avec la mort. Le fusil sur la tempe, certains étudiants ont été contraints d’appeler leurs parents,de leur supplier de retirer les troupes kényanes présentes en Somalie, avant de se faire tuer. Au téléphone…

Oui face à l’horreur, à la terreur et depuis hier le ciel pleure, pleure, pleure, ici au Kenya… De la pluie à n’en plus finir. Les rues d’Eldoret se remplissent de boue. Le Kenya quant à lui a fini de compter ses morts. 148. Mais pas de panser ses plaies. Sang par cent.

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depuis hier le ciel pleure, pleure, pleure, ici au Kenya

La vie reprend son cours

Moi aussi j’ai versé une larmes aujourd’hui. Une vraie toute mouillée, assis dans mon café à boire un thé au lait tout en mangeant un chapati. Rattrapé par le journal que je lisait, j’ai versé une larme. J’avais à peine fini de lire le titre. Oui une larme, Une vraie et à défaut de belles paroles, en fait je me suis mis à pleurer. Ce fût la première fois depuis longtemps. Trop longtemps peut-être.

Cette après-midi pourtant une douce et joyeuse musique répond à la pluie bruyante dans les rues d’Eldoret, et malgré les violentes menaces somalienne visant d’autres villes la vie semble continuer son cours. J’aperçois ce vendeur de disque atrophié qui galère pour gagner ses 2 dollars quotidiens, ce jeune cireur de chaussures qui me regarde passer avec l’espoir vain que je m’arrête ou lui donne quelques misérables shilllings. Cette « mama » qui vent ses bananes m’appelle « Mzungu » (homme blanc). Moi je l’appelle « mama »…

D’un grand rire elle m’invite à lui acheter une banane. 10 shillings (10 centimes d’euros)… plus 50 pour un morceau de pastèque. Je continue mon chemin les pieds boueux, évite ce pauvre chat. Un misérable, totalement saoul, dors par terre, je manque de lui marcher dessus, un autre homme m’appelle :

« Mzungu Mzungu ! Arrête-toi allez viens ici».
Il pue l’alcool je continue mon chemin. Puis je passe devant cet hôtel de luxe dans lequel j’attrape le wifi depuis 3 jours.

Le gardien est toujours le même, il a l’air ridicule sous son beau costume bleu et jaune pétant, mais bien sympa. Je déconne toujours un peu avec ce pauvre gars qui s’emmerde à longueur de journée. On se marre bien. Il tient avec lui un détecteur « façon aéroports » mais aujourd’hui il ne me contrôle plus. Il a confiance.

-J’ai une bombe dans mon sac !», lui dis-je. Il éclate de rire !!!
-Je suis sérieux ! Je continue. Pour me faire plaisir il me passe son vulgaire détecteur sur mon sac et autour de ma taille. Je n’ai pas de bombe mais son détecteur est rigolo. On dirait un jouet d’enfant. Bref…
J’entre dans l’hôtel. J’ai du wifi. J’écris. Je partage.

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La vie reprend son cours

Et pourtant…

Malgré l’horreur la vie semble continuer son court au Kenya l’occident quant à lui s’est dit indigné. S’est dit au soutien du Kenya. Oui. L’occident est triste.

Et moi aussi je suis triste et je me souviens qu’il y a peu des hommes étaient tués pour un dessin. Une attaque sordide, cruelle, stupide. Une de plus. En 3 minutes, incroyable, la télé était déjà là… Chaque mort était errigé en héros. Et les gouvernements avaient probablement ce qu’il voulait : l’opinion publique ! Et Charlie est né. Défenseur de la liberté d’expression. Flamby était content.

Mais voilà qu’à nouveau les extrémistes font parler d’eux. Peut-être pas de la même famille mais certainement du même camp qu’à Paris, ils sont réapparus. 18 X plus de morts cette fois. 2 jours plus tard moi je suis triste et je me demande bien, mais il est où Charlie ? Charlie a t’il une couleur de peau ? Ou est-il trop occupé par le choc terrible (devrais-je dire horrible ?) à venir : OM-PSG ?
C’est donc ça, sa liberté d’expression?

Il y a peu pourtant je me souvient l’avoir vu descendre dans la rue main dans la main pour moins que ça, disais-je. Il faisait froid. Et Charlie était fort, il était beau. Il était chaud. Il était fière. Il était le peuple, à marcher droit, fièrement (?) pour la liberté d’expression. Il a mélangé les couleurs de peau, les religions, les classes sociales. Et les gouvernements.

La France, l’Europe, l’Afrique pour certains pays, mais aussi Lavrov, Erdogan et tant d’autres ont marché avec lui. Ont marché avec Charlie pour la liberté d’expression.

Et ça ne choque personne…

Ca ne choque personne qu’un dictateur qui tue les journalistes qui parlent trop marche pour la liberté d’expression,…
Ou devrais-je dire : pour LA LIBERTE D’ETRE CON?

Moi ça me rend triste…

Personne n’a marché pour des 2000 morts du Nigeria et je me demande bien qui marchera pour les 148 morts du Kenya. Mort pour avoir étudié. A défaut de savoir dessiner…

Personne n’a jamais marché pour les 8 millions de morts du Congo – Mort pour être né sur une terre un peu trop fertile-. Faut-il attendre les 10 millions ou d’autres chiffres ronds ?

Moi ça me rend triste…

Un dernier adieu au Kenya

Mais voilà ce matin, déjà, j’ai séché mes larmes et continue mon chemin. Me voici déjà tout proche de l’Ouganda. Le ciel est toujours gris mais la pluie ne tombe plus. L’Afrique centrale est déjà là. C’est donc pour moi un triste au revoir au Kenya. Un kenya qui 12 jours durant m’a respecté, accueilli. Un kenya avec qui j’ai partagé, rigolé. Et pleuré également.
Je m’enfuis donc ainsi, sans pour autant l’oublier. Le remercier.

Et ce matin je suis triste. Triste que la barbarie se mélange si fréquemment au reste sur ce continent.

Triste que l’Afrique… au fond on s’en fout pas mal, c’est pas de notre faute si elle va mal… Non, pas de notre faute. A croire qu’on a oublié que le premier devoir du colon, comme le dernier, c’est de défendre sa colonie. Et visiblement ce n’est pas le cas…

Alors  ce matin au moment de quitter le Kenya  je ne suis pas Charlie mais je m’exprime, et à défaut d’être libre je suis con.

Mais je suis nègre aussi….

Que dieu bénisse le kenya, et si c’est trop lui demander, hé ben puisqu’elle a toujours raison, que la « science » l’aide un peu…

Olivier Rochat

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. Un kenya avec qui j’ai partagé, rigolé. Et pleuré également. 

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