Premier pas à Brazzaville

Km 33’378, Brazzaville, Congo-Brazzaville.

« Ce continent est trop vaste pour être décrit. C’est un véritable océan, une planète à part, un cosmos hétérogène et immensément riche. Nous disons « Afrique », mais c’est une simplification sommaire et commode. En réalité, à part la notion géographique, l’Afrique n’existe pas. »

Ryszard Kapuscinski, dans « Ebène »

 

Avant toute chose je vais commencer ce message afin de différencier les deux pays dont l’ont diminue souvent le nom en « Congo », les confondants parfois.

En effet si je dis « je vais au Congo » cela n’est pas très précis et peut signifier que je vais en « RDC », autrement dit la « République Démocratique du Congo », qui a pour capitale Kinshasa. Mais cela peut aussi signifier que je vais en « République du Congo », qui a pour capitale Brazzaville.

Pour les différencier je vais donc utiliser leur capitale comme ils sont parfois appelé, Congo-Kinshasa pour l’un, Congo-Brazzaville pour l’autre.

En effet ce sont deux pays bien distinct à commencer par leur géographie puisque le Congo-Kinshasa est le 2ème plus grand pays d’Afrique par la taille, soit plus de 4X la France et peuplé de plus 80 millions d’habitants, alors que le Congo-Brazzaville est tout de même 7 fois plus petit et peuplé de moins de 5 millions d’habitants. Au-delà des chiffres ce sont bien sûr les peuples et l’histoire de ces deux pays qui diffèrent mais pour ne pas tomber dans un copier-coller, je vais rendre aux historiens ce qui leur appartient et ne pas m’étaler sur la longue histoire de ces deux pays que je ne connais pas (encore?) et terminer ce paragraphe en ajoutant l’un de leur point commun : leur langue officielle est le français.

 

Je quitte la Zambie en avion

le 10 septembre 2016.

Après 1 mois passé à Lusaka, le mois le plus frustrant de tout ce voyage, je continue en avion. Un petit bout pour le moins, jusqu’à Brazzaville en République du Congo.

Comme un symbole, une information me retient l’esprit, celle parlant de la fusillade qui a eu lieu hier à la frontière principale entre le Congo et la Zambie, faisant 3 morts.

DSCF1905

je continue en avion.

Plusieurs raisons m’ont mené à faire ce choix:

Premièrement bien sûr l’impossibilité pour moi d’obtenir un visa pour traverser l’Angola. Malgré 3 mois d’essai, à Windhoek puis à Lusaka, malgré de l’aide obtenue pour l’obtention d’une lettre d’invitation et tous les documents nécessaire en plus d’une lettre officiel du consul de Suisse à Lusaka et malgré ma bonne volonté, 3 mois de frustration et de dialogue absurde avec les autorités angolaise aux comportement douteux, qui un jour te demande d’obtenir un document pour l’obtention de ton visa et lorsque tu l’obtient t’en demandent un autre et ainsi de suite pour finalement te refuser ce visa. Sans raisons valables.

Deuxièmement la situation du Congo-Kinshasa qui inquiète de plus en plus avec le refus de Kabila de tenir des élections. Elections auxquels il n’a pas droit de se représenter.

Ensuite le visa pour le Congo-Brazzaville que j’avais obtenu précedemment à Windhoek. Un visa qui se terminera mi-octobre et qui m’a poussé à me dire qu’il était temps de prendre l’avion et, à défaut de pouvoir effectuer l’entier de la route à vélo, de profiter du mieux que je peux de ce qu’il est possible de profiter.

La violence d’hier près de la frontière entre le Congo-Kinshasa et la Zambie est venue comme un symbole, dramatique certes, me conforter dans moi choix malgré ma déception.

C’est donc en avion que je m’apprête, d’ici quelques instants, à traverser le Congo -Kinshasaet plutôt deux fois qu’une, puisque j’ai escale à Kigali (Rwanda), à l’est du pays et terminerai mon vol à l’ouest.

Et bientôt reprendre la route à Brazzaville, dans l’autre Congo.

DSCF1908

Premiers pas à Brazzaville

le 13 septembre 2016.

Ce matin c’est à Brazzaville que je marche. Me voici en Afrique centrale, et ici on me parle de saison sèche car la pluie d’hier n’était que la troisième de la saison. Pourtant l’humidité est pesante et j’ai l’impression que chaque pas m’offre une goutte de sueur de plus. Parfois le soleil se fraie un court chemin entre les nuages, la température monte, à peine, l’humidité aussi et de mon front se met à perler une première goutte, puis une deuxième enfin mon dos s’humidifie lui aussi. Puis les nuages reviennent, un vent bienvenu me rafraichi. Je continue mon pas.

DSCF1937

a verdure déborde de chaque côté de la route,

Parfois, souvent, la verdure déborde de chaque côté de la route, comme l’eau déborderai d’un verre posé sous un robinet que l’on a mal arrêté et dont l’eau continuerai de couler. Les arbres s’élances parfois plus haut que la majorité des bâtiments et leurs branches couvrent la route jusqu’à plusieurs mètres. Moi je cherche la préfecture de Brazzaville afin d’y prolonger mon visa mais lorsque je la trouve elle s’est comme échappée. En réalité voici quelques mois qu’on l’a déplacée, à plusieurs km de son ancien emplacement. C’est donc en bus que je m’y rends. Un bus bondé où se mélange homme d’affaire, étudiant, des femmes vêtue de longue robe colorée verte, violette ou jaune lorsque ce n’est pas rouge. Enfin le bus s’engage dans la circulation, colorée elle aussi par le nombre majoritaire de taxis et de bus dont tous, ou presque, sont peint en vert et blanc. A peine entré sur la route que trois taxis, justement, nous coupent la route, presque à contresens, laissant quelques mots sortir de la bouche du conducteur du bus.
A chaque virage, changement de direction les voitures se croisent, se frôlent et la catastrophe semble imminente. J’en viens à penser que si ce bus était pirogue cette route serait le fleuve Congo et la circulation ses rapides en pleine saison des pluies. Me voici maintenant dans une machine quasi cubique de quelques mètres carré où se côtoient une bonne vingtaine de vies lâchées dans un univers hostiles, tels des gnous traversant une rivière infestée de crocodiles aux dents assérées qui n’attendent qu’un faux pas de l’un deux pour commencer leur petit déjeûner. Mais alors que le verre semble prêt à déborder, que la pirogue est si proche de se retourner face aux rapides, que l’arbre trop arrosé est monté si haut vers le ciel que ses branches vont le faire tomber, que le gnou a trébûché face au crocodile qui l’a repéré et que le bus va se prendre un taxi de face, le robinet est soudainement tourné, l’eau n’y tombe plus. La pirogue ne se retourne pas, elle a passé les rapides. Les branches et feuilles vertes énormes de l’arbre s’appuie sur un mur ou sur l’arbre d’à côté. Il ne tombera pas. Le gnou, comme investi d’une mission de survie, trouve au dernier instant, face à la mort, suffisamment de force pour s’échapper de justesse face à la gueule ouverte du croco qui avait déjà attaqué. Il survivra. Et le taxi frôle mon bus de quelques centimètres. Mais même le rétroviseur n’est pas touché. Tout rentre dans l’ordre. Un ordre qui pourtant n’existe pas. N’a probablement jamais existé.

Le verre quant à lui ne déborde pas. La goutte de trop ne tombe pas. Elle n’est pas de trop. Mais le verre est plein.

Brazzaville est vivante.

Et depuis trois jours j’aime chacun des pas qui me font l’a découvrir. Qui font me sentir vivant. Sans vraiment savoir -ni chercher à savoir -pourquoi. La vie colorée, celles de la végétation luxuriante, de ses habitants, le fait de pouvoir à nouveau parler français après près de 2 ans hors de la francophonie forment ce tout qui est souvent proche du trop plein mais qui ne me semble jamais déborder, qui au moment de la catastrophe à comme un reflexe de retenue salvateur. Et tout rentre dans l’ordre. Dans l’ordre mais en désordre.

Et plein de vie.

Finalement je trouve la préfecture, il est temps de prolonger mon visa. Là aussi le désordre est de mise et j’ai presque l’impression que chaque individu se déplace en famille ici. Mais tout rentre dans l’ordre encore une fois. Je trouve ma porte parmi la foule.

Mais finalement je ne peux pas prolonger mon visa. Mais je peux en refaire un autre. Un visa d’une durée d’un an multi-entrée.

C’est alors que je me laisse réflèchir avant de prendre une décision. Courir, traverser à bon marché, ou marcher, découvrir mais mettre le prix… Pourtant je sais que j’ai tort, c’est l’instinct, pas la réflexion, qui aura le dernier mot au final. Demain ici c’est trop loin. Pourtant ma décision me portera à choisir l’une de ces deux réalités : traverser le Congo-Brazzaville, ou le découvrir.

L’instinct, le sentiment intérieur décidera, même si comme toujours par ici il me faudra aussi une aide extérieure, celle du portefeuille.

Alors que je reprends le bus je me retrouve coincé, stupide et naïf : je n’ai plus de petite monnaie. Que des gros billets.

DSCF1945

Finalement j’obtiens un visa de… travail.

Persuadé de me faire arnaquer, de passer pour le friqué blanc du coin, un homme me vient pourtant en aide : « Ah non avec ce billet (2’000 francs CFA d’Afrique centrale) on ne pourra pas vous rendre la monnaie sur le prix d’un ticket (150 CFA). Vous n’avez rien d’autre ? ».

« Non, malheureusement mais je vais faire la monnaie ! »

« Non non, ce n’est pas grave ! » continue t’il avant de me payer le billet en insistant puis de me demander où je vais et de m’indiquer le chemin pour trouver l’ambassade du Gabon. Une attitude qui tranche avec celle d’hier a l’aéroport, alors que je récupérais mon vélo qui est arrivé à destination avec un jour de retard.

Enfin, après un court passage à l’ambassade du Gabon fermée en ce jour, je reprends mes pas, j’arrive sur la rive ouest du fleuve Congo, versant Brazzaville, et c’est maintenant Kinshasa que j’aperçois de l’autre côté du fleuve, le deuxième plus puissant d’Afrique et seule séparation entre Kinshasa et Brazzaville, les deux capitales les plus proches au monde.

Les buildings que j’aperçois me permettent encore une fois de mettre les yeux, à défaut des roues, sur le Congo-Kinshasa, un pays qui m’a toujours fasciné. Cet immense pays qu’il y a deux jours je survolais en avion y découvrant par moment l’immensité de la forêt tropicale ou encore le lac Tanganyika, plus long du monde.

DSCF1943

En face Kinshasa

Je me laisse rêver un peu avant de m’enfiler dans un café qui par bonheur est climatisé. Le football est toujours prioritaire sur les écrans mais la Ligue 1 a remplacé la Premier League, Canal + et TF1 ont remplacé les chaînes sud-africaines. On y propose des croissants au beurre, des pains au chocolat et j’ai l’impression d’être en France lorsque je m’égare, pour mon plus grand bonheur, dans un supermarché Casino où je ne peux résister face à l’appel d’une tomme de chèvre avec une baguette.

Et une mangue, bien sûr, pour le dessert.

C’est que cette fois ça y est, me voici bel et bien de retour en francophonie, ce qui me procure une émotion difficilement descriptible qui a, depuis mon premier pas sur le sol du Congo-Brazzaville, largement pris le pas sur la déception qu’avait constitué cette étape en avion.

Brazzaville est vivante. Brazzaville me plaît, enfin pour l’instant je m’y plaît. Le changement de monde, d’univers et de culture opère. Je n’ai pas changé de continent, mais certainement de dynamique. Dans 2 jours je terminerai ma deuxième année sur la route et Brazzaville et ses habitants m’offrent un nouveau souffle, de nouvelles motivations.

Mon seul objectif est d’y prendre mon temps, alors qu’il y a quelques jours encore l’impression que me laissait Lusaka était tout autre. Après 15 mois en Afrique australe, que j’ai par ailleurs beaucoup aimée, je sentais le trop plein, peut-être le mois de trop, le besoin de changer d’horizon, de cultures, de climat.

L’Afrique centrale que je prends en relais n’en sera que plus belle. Et avec un visa d’un an en poche inutile de préciser que je ne vais pas partir en courant.

Modeste, Alain, avec qui je refais le monde ce soir, me décrit sa ville, Brazzaville, comme un simple quartier par rapport à sa voisine Kinshasa, à elle seule plus peuplée que tout le Congo-Brazzaville. Soudain le bar s’embrase lorsque Bolasie, le joueur kinois* d’Everton, manque un but d’un petit rien. Sa frappe est repoussée de justesse par le gardien adverse.

Et puis je sors dans la rue. Une rue non climatisée où en un instant je me sens comme happé dans cette chaleur humide que je ne peux ignorer. A laquelle je vais devoir m’habituer. Ainsi qu’au moustique qui me bouffent.

Il fait nuit depuis longtemps mais pourtant Brazzaville est tranquille, souriante. On me la décrit sûre, à 1000 lieues de ce qu’écrivent trop souvent les médias qu’en Europe on écoute souvent comme hier on écoutait les prophètes. Alors que la plupart écrivent pour vendre et rien d’autres.

Souvent ils nous parlent d’Afrique comme si ce n’était qu’un pays, comme ce fut le cas lorsque le virus Ebola se développait dans 3 pays d’Afrique de l’Ouest (Sierra-Leone, Libéria, Guinée). Il a fallu attendre qu’un américain l’attrape pour qu’on en parle et combien de fois, alors que je traversais l’Afrique de l’Est, m’a t’on demandé: n’a tu pas peur d’Ebola? Sans que l’on cherche à se rendre compte qu’Ebola était bien plus proche de Paris ou Londres que la plupart des pays que je découvrais alors.

L’Afrique est bien trop vaste pour que je la découvre en deux ou trois ans. Ce ne sera là qu’une traversée. Bien qu’en réalité, à part la notion géographique, l’Afrique n’existe pas. C’est donc un pays, le Congo-Brazzaville, que je m’apprête à découvrir.

En français qui plus est.

DSCF1921

Une bière au Brazzaville

Olivier Rochat

*kinois= habitant de Kinshasa

Laisser un commentaire